Sur Snapchat, des arnaques au casino pullulent

Casino, trading, faux permis : comment les influenceurs arnaquent leur communauté sur Snapchat

© Bet_Noire via Getty Images

Le réseau social majoritairement fréquenté par des jeunes est le terrain de chasse préféré des escrocs. Voici leurs méthodes.

« Il y a grave des personnes qui ne font que gagner au casino en ligne, c’est grâce à Y.casino, je vais vous mettre son snap parce qu’il a grave des astuces pour vous faire gagner, vous avez juste à swipe up ». En janvier 2021 la chanteuse de RnB française Wejdene avait provoqué la colère des Internautes après avoir fait la promotion d’un compte censé aider les joueurs à gagner de l’argent dans les casinos en ligne. Diffusé à ses 2,4 millions d’abonnés, pour la plupart mineurs, la publicité réalisée par l’artiste elle-même âgée de 16 ans renvoyait vers les chaînes Telegram, une plateforme de messagerie privée et chiffrée, d’un internaute anonyme. Il était censé partager ses astuces permettant à chacun d'optimiser ses gains. Des publicités comme celle de Wejdene, Snapchat en est rempli. Et tous les jours, des millions de très jeunes utilisateurs visionnent des stories d’influenceurs faisant la promotion d’escroqueries en tout genre.

Ces arnaques, Julien* (son prénom a été modifié) en a fait sa spécialité. Sous le pseudo Signal Express, cet informaticien de 36 ans traque les influenceurs se livrant à de la publicité frauduleuse, puis constitue des dossiers qu’il envoie à la gendarmerie. « J’ai été moi-même victime d’une arnaque il y trois ans, explique-t-il. Je voulais faire du trading, et je m’y étais mis, mais sans grandes ambitions. Un collègue m’a proposé d’utiliser un robot de trading qui était vanté par un influenceur qui s’appelait DR Trader, plus connu sous le nom de Grégory Coin. J’ai misé 1 000 euros au sein d’un groupe qui comptait un bon millier de membres. En deux semaines, on a tout perdu. Quand j’ai voulu porter plainte, on s’est rendu compte que tout était basé dans des paradis fiscaux ». Sur une dizaine de dossiers déjà envoyés aux forces de l’ordre, il dit avoir été rappelé trois fois pour des enquêtes dont il ne connaît cependant pas les suites. 

Hameçonnage en règle

En attendant, Julien peaufine sa connaissance de ces arnaques en ligne. Les influenceurs du monde de la téléréalité constituent le premier rouage de la machine. La plupart sont basés à Dubaï ou à Malte, paradis fiscaux bien connus, et depuis lesquels ils peuvent promouvoir des services ou des produits interdits en France, sans être inquiétés. Sur Snapchat, ils produisent énormément de contenus vidéos dans lesquels ils se mettent continuellement en scène. Sebydaddy, Sébastien Dubois de son vrai nom, en est l’exemple typique. Actuellement, son arc narratif consiste à faire croire que sa petite copine va le quitter s’il ne perd pas de poids. On le voit donc déambuler dans des spas de luxe, faire des séances de sauna ou de sport. C’est entre ces « épisodes » qu’il cale de nombreuses publicités cachées pour des services ou des produits souvent louches. 

Sur un ton qui oscille entre connivence et excitation permanente, les influenceurs vont donner des conseils à leur communauté pour gagner beaucoup d’argent ou bien faire la promotion d’un compte humoristique avec des extraits de vidéo. La publicité se termine par une incitation à faire un swipe up, c’est-à-dire à balayer l’écran vers le haut pour activer un lien menant vers des fils Telegram. À partir de là, les escrocs qui ont commandé la publicité prennent le relais. 

Que trouve-t-on sur ces canaux Telegram ?

Parmi les arnaques les plus fréquentes, on trouve tout d’abord des publicités pour des produits de contrefaçon (chaussures ou montres), mais aussi des patchs et des compléments alimentaires minceur ou bien encore des dentifrices permettant de blanchir les dents. 

Viennent ensuite la vente de faux permis de conduire ou faux permis bateau, ou bien encore des carnets de Tickets Restaurant, des chèques volés ou des cartes de retrait soi-disant pleines d’argent « hacké sur le darknet ». C’est le cas du fil Telegram the.black.card qui a été mis en avant par Marlone.7710, un influenceur bien connu dans la Seine-et-Marne. Sur le chat regroupant plus de 1 700 abonnés, on trouve un mystérieux personnage, toujours masqué, qui se prétend être expert en informatique. Il vend des cartes de retrait qui sont supposées être encodées avec des données de comptes étrangers volés sur le darknet. Dans les faits, il s'agit de simples cartes vierges achetées en masse sur Amazon. « Très souvent, les arnaqueurs empochent l’argent et n’envoient rien en échange, explique Julien. Ils ferment alors le canal de discussion et en ouvrent un autre pour recommencer. »

Mais on trouve également des arnaques plus sophistiquées liées par exemple aux comptes professionnels de formation. Les influenceurs promettent une tablette numérique ou un iPhone gratuit en échange d’une inscription à une « formation gratuite ». Une fois que les internautes ont entré leurs données personnelles, l’argent de ce compte de formation est volé par une entreprise fantôme.

Enfin, les arnaques les plus sophistiquées – et les plus rentables – sont liées au trading ou bien aux jeux d’argent. Les escrocs produisent des vidéos soi-disant explicatives afin de donner leur « truc » pour hacker des plateformes de trading « très rentables » ou des systèmes de machine à sous virtuelles. Sur les jeux d'argent, pour convaincre les internautes, des influenceurs relaient des vidéos qui enchaînent des parties uniquement gagnantes sur des machines à sous.

Tout ce qu’ils demandent en échange, c’est que les internautes s’inscrivent en utilisant un lien qu’ils leur fournissent. « En fin de compte, très peu de personnes vont jusqu’au bout des démarches, précise Julien. Mais si un influenceur qui compte plus de 3 millions de followers arrive à convaincre 0,1 % de sa communauté, ça fait quand même 3 000 personnes bernées ». 

Combien ça rapporte ?

D’après les échanges que Julien a pu avoir avec certains influenceurs en se faisant passer pour un client potentiel, le prix de ce type de post sponsorisé se chiffre à 500 euros sur Snapchat contre 250 à 300 euros sur un compte Instagram. Pourquoi une telle différence ? D’après lui, ce qui se passe sur Snapchat sort rarement du réseau et reste dans les limbes du web. Par ailleurs, une arnaque amorcée sur Snapchat a plus de chance de fonctionner à cause de la crédulité des utilisateurs souvent jeunes. Quant aux escrocs, ils récupèrent l’argent de la vente de produits illicites ou bien bénéficient de programmes d’affiliation qu’ils ont signés avec des plateformes de trading ou de casino situées dans des paradis fiscaux. Grâce à ce système, ils empochent des commissions, parfois jusqu’à 50 %, basées sur les pertes des internautes. Et comme 9 clients sur 10 de ce type de plateformes sont perdants à coup sûr, d’après l’AMF, on comprend vite comment cette combine est juteuse.

Les influenceurs qui se livrent à ce petit jeu sur Snapchat savent très bien ce qu’ils vendent. Dans un échange de textos avec une influenceuse que Julien nous a fait parvenir, cette dernière explique que ce qui se passe après la publicité ne la concerne pas. « Si les gens ils misent et ils perdent, c’est leur problème. C’est leur responsabilité, pas celle de l’influenceur », indique-t-elle après que notre chasseur d’arnaques lui ait dit que les gens allaient perdre à tous les coups malgré les promesses de gains. 

Mais que font les plateformes ?

On pourrait penser que les entreprises comme Snapchat surveillent de près ce type de pratiques ? Dans la réalité, les choses sont plus compliquées. Suite à un article du Parisien datant du 11 octobre dernier, plusieurs comptes Snapchat ont sauté et notamment ceux de Jazz et Laurent Correia, un couple de candidats de téléréalité (la JLC Family) habitant à Dubaï qui avait fait la promotion d’une plateforme de trading. Mais d’autres comptes comme celui de @Sebydaddy restent encore en ligne alors que l’influenceur fait très régulièrement la promotion de ces arnaques. Contacté par mail, Instagram a répondu par l’envoi d’un courrier type rappelant ses règles, mais précisant que seuls les contenus passant par Discover et Spotlight (parties publiques de Snapchat) étaient visionnés par une équipe de modération avant de pouvoir atteindre un large public. Les très nombreuses stories dans lesquelles défilent ces publicités illégales passent donc facilement entre les mailles du filet et seul un mouvement massif de signalements pourrait faire bouger les choses. 

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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