Serge Zaka avec son chapeau

Peut-on lutter contre le climatosceptisisme qui prolifère sur X ?

© Serge Zaka

L’agroclimatologue Serge Zaka a pris l’habitude de clasher les comptes climatosceptiques sur le réseau d’Elon Musk. Mais cette guerre médiatique fait-elle vraiment avancer les choses ?

Depuis le rachat de X par Elon Musk, on sait que le réseau social est devenu la scène centrale des comptes climatosceptiques. Grâce à son observatoire Climatoscope, qui analyse depuis 2015 les débats numériques sur le changement climatique, tant dans le milieu académique que sur les réseaux sociaux, le chercheur David Chavalarias, qui dirige l'Institut des Systèmes Complexes de Paris IDF (CNRS), a acté un tournant algorithmique et idéologique. Le 5 février dernier au micro de France Inter, il indiquait observer deux phénomènes : « Il [Musk] a réintégré des comptes extrêmement agressifs envers les scientifiques du climat qui, du coup, pour certains, sont partis. Il a donc laissé la voix aux climatosceptiques, et en trois mois, leur proportion dans l'ensemble des tweets est passée à 50 %. »

Mad Zarge

C'est en partie en réponse à ce climat délétère que la communauté scientifique participe massivement à l’initiative citoyenne HelloQuitX, qui propose aux utilisateurs du réseau de prendre leurs cliques et leurs claques vers des cieux plus bleus. Mais dans les décombres radioactifs de X, certains comptes continuent la lutte contre le climatoscepticisme. C’est le cas du docteur Serge Zaka, agroclimatologue, qui va régulièrement chercher le clash avec les comptes les plus virulents de la plateforme.

Spécialiste de l’impact du climat sur l’agriculture (son entreprise AgroClimat2050 conseille les industriels de l’agriculture pour s’adapter aux nouvelles conditions climatiques en France), Serge Zaka assure une forte présence médiatique depuis 2019. Beaucoup de gens l'ont découvert au cours de l'émission (plutôt controversée) E=M6 spéciale agriculture, au sein de laquelle il assurait la caution scientifique. Il est aussi très présent sur X, notamment à chaque épisode météorologique important. Son message est très fréquemment martelé : la question climatique n’est pas assez prise au sérieux, et la communauté climatosceptique est à la manœuvre pour manipuler l’opinion publique.

Soutenir les agriculteurs face au dérèglement climatique

Pour lui, X ainsi que les autres réseaux sont des terrains de guerre au sein desquels il tente de rétablir une certaine forme de vérité scientifique. « Mon objectif n’est pas de convaincre les climatosceptiques eux-mêmes – leur opinion est souvent fondée sur des croyances – mais plutôt d’éviter que leurs discours ne se propagent auprès des plus jeunes, comme les collégiens ou lycéens, qui n’ont pas encore le bagage nécessaire pour distinguer le vrai du faux, indique-t-il. C’est pourquoi j’interviens en apportant des éléments concrets : des chiffres, des graphiques, des études factuelles. Mon but est que ces informations soient visibles par le plus grand nombre, pour contrebalancer la désinformation. »

Pour mener à bien ce combat, cet entrepreneur compte sur sa communauté de plus de 97,5 k abonnés, qui lui rabattent les posts qui s'opposent à l'idée selon laquelle le réchauffement climatique existe ou qu'il serait le fait de l'homme, afin qu’il puisse les débunker. D’après lui, cette montée de la contre-vérité accompagne la montée du trumpisme, fortement mise en avant par l’algorithme de X. « C’est un peu comme ce qu’on a observé avec la montée du Front National en France. Lorsqu’il a obtenu des résultats élevés aux élections, cela a libéré certains discours racistes sur les réseaux sociaux. Avec Trump, c’est un phénomène similaire qui s’est produit sur la question climatique. Comme il partage lui-même des positions climatosceptiques, certaines personnes ont perçu cela comme une validation de leur opinion et se sont mises à s’exprimer avec une assurance décuplée. »

Outre les jeunes qu'il dit vouloir préserver des fake news, Serge Zaka trouve aussi sur X une autre communauté directement liée à son activité : celle des agri-influenceurs, qui sont présents en force depuis 2019 et qui sont aussi en première ligne face aux effets du changement climatique. « Pour eux, ce n’est pas une question d’opinion, mais une réalité tangible qui impacte directement leur travail, indique-t-il. Aujourd’hui, je travaille avec de nombreuses entreprises agroalimentaires et même avec l’État sur l’adaptation de l’agriculture aux nouvelles conditions climatiques. L’agriculture est entièrement régulée par le climat : les dates de floraison des abricotiers et des pêchers, les périodes de semis du maïs, la sortie des animaux en pâture… Ces enjeux sont économiques avant tout. »

Une menace mais aussi une opportunité

Si Serge Zaka se place clairement du côté des faits scientifiques et reconnaît bien volontiers la part de l’industrie agricole dans le dérèglement climatique, il estime que le phénomène est inévitable à l'horizon 2050 et perçoit ce dernier comme « une menace que l'on peut transformer en opportunité avec la bonne anticipation ».

Cette manière de voir les choses semble être proche des opinions d'une certaine communauté Twitter que l’on qualifiait en 2019 de « NoFakeScience ». Sous couvert de défendre la méthode scientifique et de lutter contre les antivax (puis rapidement contre les écologistes prônant la décroissance et les énergies renouvelables), ce groupement d'activistes et d'influenceurs, comme les journalistes Emmanuel Ducros et Géraldine Woesner ou bien encore le présentateur Mac Lesggy, militait pour la valorisation du nucléaire, des OGM et de l'agrochimie (notamment le glyphosate). L’agroclimatologue ne cache d'ailleurs pas son amitié avec Mac Lesggy, actuel présentateur du bulletin météo de la chaîne M6. Ce dernier a récemment fait référence aux tweets de Serge Zaka pour avancer l'idée selon laquelle rien ne peut être fait à court terme pour ralentir le dérèglement climatique et qu’il faut « une politique active d'adaptation permettra d'en limiter les conséquences. »

Cette façon d’aborder la crise du climat n’est pas vraiment partagée par Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, directrice de recherche au CEA et coprésidente au groupe no 1 du GIEC de 2015 à 2023. Dans un échange tendu de tweets relevé par un article d’Arrêt sur Image, elle indiquait que ces arguments sont considérés comme des « discours d'inaction » qui freinent l'action politique et ne vont pas dans le sens des conclusions du GIEC.

La nature a horreur du vide

Interrogé sur ce point, Serge Zaka, précise sa position : il estime que l'incertitude réside surtout dans la réaction politique. « Vu la réaction politique mondiale actuelle, je pense qu'il faut déployer des moyens d'adaptation jusqu'en 2050, notamment pour la partie agricole qui me concerne », explique-t-il en précisant qu'il travaille aussi à réduire les émissions de CO2. « Je fais des études à côté pour restocker du carbone par les écosystèmes, faire comprendre le rôle de nos aliments dans les GES et adapter nos pratiques agricoles et la géographie de nos cultures. »

Reste une méthode de communication et d'occupation de l'espace médiatique redoutable. En s'opposant aux climatosceptiques, Serge Zaka se fait le héros de la Science avec un grand S. Avec la défection de plus en plus importante de la communauté scientifique de X (Valérie Masson-Delmotte n'est plus sur le réseau par exemple), il ne semble plus rester que lui et ses amis pour endosser ce rôle et assurer, par la même occasion la domination de certaines idées proches de l'agro-industrie.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

  1. Avatar Anonyme dit :

    Il ne clash pas, il bloque simplement les gens quand on argumente sérieusement et qu'il ne peut pas donner de contre argument valable.

Laisser un commentaire