Le meme d'Elmo brûlant dans les flammes

Les gens vont très mal et se confient à la marionnette Elmo

L’équipe marketing du monstre rouge n’était pas préparée à tant de tristesse, suite à une question innocente posée sur X (ex Twitter). Une illustration de l’état de dépression générale aux États-Unis, et ailleurs.

« Le monde est en train de brûler, Elmo », « nous sommes fatigués », « j’ai l’impression que nous sommes tous morts en 2020 », « je suis déprimé et fauché »,  « Elmo, je viens de me faire virer », « je suis au plus bas », « Ma femme m’a quitté, mes filles ne me respectent pas, mon travail est une blague, d’autres questions Elmo ? »... Voilà le type de doléances qu’a obtenues le compte du personnage de Sesame Street. La question, posée fin janvier sur le compte X de la marionnette à ses 485 000 followers, était pourtant innocente : « Elmo prend juste des nouvelles ! Comment va tout le monde ? » L’équipe marketing gérant la com de la marionnette n’a pas dû être déçue du voyage. 

Emo Elmo

Le mood général des quelque 12 000 commentaires est sans aucun doute la dépression. Certains ont été particulièrement exhaustifs et inventifs dans leur réponse. « Elmo : chaque jour, l'abîme dans lequel nous regardons se transforme en une horreur unique. une horreur qui était auparavant insondable par nature. Notre destin inévitable, qui s'accélérait autrefois en années ou en mois, s'accélère aujourd'hui en heures, voire en minutes. Cependant, j'ai mangé un bon pamplemousse tout à l'heure, merci d'avoir posé la question », écrit par exemple le poète Hanif Abdurraqib.

Interrogée par le New York Times, Samantha Maltin, la directrice marketing de Sesame Street, explique être surprise du nombre de réponses à ce post. « Je pense que personne n'avait prévu à quel point cette question résonnait profondément (...) Mais nous sommes ravis de l'avoir posée. »

C’était pourtant un peu prévisible Samantha. Cet afflux de réponses correspond à un phénomène chiffré : l’explosion des problèmes de santé mentale aux États-Unis, relève Axios. Selon une étude publiée dans le JAMA Pediatrics en 2021, 1 adolescent américain sur 5 souffre de dépression. Mais seulement la moitié d’entre eux a reçu un traitement adéquat. Les autorités sanitaires ont par ailleurs noté une hausse des suicides en 2021, notamment chez les jeunes hommes, après deux années de baisse. 

Elmo suscite la nostalgie et sert de défouloir

La situation n’est guère plus reluisante en Europe, et notamment en France. Chez les 18-24 de l'Hexagone, la proportion des épisodes dépressifs a quasiment doublé pour atteindre environ un cinquième des personnes interrogées par Santé Publique France : 20,8% en 2021 contre 11,7% en 2017. Le rapport « Panorama de la santé » de 2022 a montré quant à lui que près d’un jeune Européen sur deux fait état de besoins non satisfaits en matière de soins de santé mentale. Face à ce constat, Margaritis Schinas, le vice-président de la Commission européenne (qui a mis 1,23 milliard d’euros sur la table pour régler le problème) parle carrément d’ « épidémie silencieuse » . Et nous n’avons même pas Elmo pour nous consoler. 

Le personnage serait particulièrement adapté aux confidences, note Jess Maddox, assistant professeur spécialiste des médias en ligne à l’Université d’Alabama, dans les colonnes du New York Times. Car il évoque, particulièrement aux États-Unis, l’enfance et la nostalgie. Imaginez Casimir, Oui Oui ou Vaness des Minikeums poser la même question. « C’est un personnage bien-aimé de notre enfance, que l’on associe à des temps plus simples », dit-elle. « Quand Elmo apparaît sur le feed d’un adulte faisant face au burn-out, à l’inflation et un contexte géopolitique complexe, c’est assez tentant pour lui de se défouler, de raconter à quel point sa vie a changé. » En plus, c’est une marionnette, donc l’enjeu est moindre, ajoute-t-elle. 

La culture du mème pour soigner ses maux

Ce n’est par ailleurs pas la première fois que les internautes font état de leur mal être sur les réseaux sociaux. Sur TikTok, le #anxiety rassemble près de 5 millions de publications, et l’on s’y affiche parfois arborant un sweatshirt à l'effigie de son anti-dépresseur préféré. En novembre dernier, l’expression « rock bottom autumn », qui pourrait se traduire par « automne au bout du rouleau » ou « automne au fond du seau » était le cri de ralliement de toutes les âmes en peine du web. Pour le psychiatre Jean-Victor Blanc, interrogé par L’ADN en 2019 (déjà ! ) au sujet de ces partages sur les réseaux, « la culture du mème et de l’ironie fait partie intégrante de notre époque et de notre usage d’Internet. C’est normal que la santé mentale passe à travers ce filtre. C’est même important, car ça montre que c’est un sujet comme un autre qui peut être abordé sous différents angles. »

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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