À quoi ressemblent les angoisses de la génération Z ? On a posé cette question à Feldup, le youtubeur spécialiste des histoires étranges et horrifiques qui ont fait la culture web des plus jeunes.
Des espaces liminaux qui évoquent l’enfance, des cassettes VHS contenant des médias perdus, des jeux vidéo hantés par d’étranges fantômes, ou bien encore le visage défiguré de Michael Jackson... Si cet inventaire à la Prévert ne vous parle pas, c’est que vous avez plus de 20 ans. Tandis que les millenials et la génération X ont majoritairement nourri leur imaginaire dans les slashers du cinéma d’horreur, la génération Z a connu un autre parcours. Ses premières frayeurs sur le Web, elle les a eues sur le Web, un espace médiatique saturé d’informations où se mélangent des histoires fictives racontées à la première personne (les fameuses creepy pasta) et des vidéos montrant de véritables crimes.
Pour mieux comprendre de quoi on a peur quand on est jeune, on a donc fait appel à un guide. Feldup, un youtubeur de 21 ans, suivi par plus de 1,4 million de personnes. Sa série de vidéos, intitulées Findings est l’équivalent de l’émission Histoires Extraordinaires tenue par Pierre Bellemare. Mais là où on évoquait des rencontres avec des fantômes ou des histoires de survie dans la nature, on y trouve des scandales liés à YouTube, des histoires de dessins animés jugés traumatisants et retirés de la télévision avant de disparaître pendant des décennies ou des enquêtes collectives menées par des internautes sur des crimes perpétrés en direct sur Internet. Lui-même se définit comme « un enfant d’Internet » et explique qu’il a vu beaucoup trop tôt des choses qui l’ont marqué à vie. Sa chaîne a donc pour ambition de cataloguer les tréfonds du web, mais aussi de servir de tampon entre « des internautes voulant satisfaire leur curiosité morbide et du contenu beaucoup trop choquant pour être regardé. »
Faisant régulièrement appel à sa communauté pour lui indiquer les médias ou les histoires qui les ont traumatisés durant leur enfance, Feldup a sorti plusieurs vidéos sur cette thématique, montées sous le format bien particulier de l’iceberg. Dans la culture Web, cette image de l’iceberg permet de classer des contenus selon leur degré de popularité, mais aussi de noirceur. Les traumatismes les plus partagés, mais aussi les plus connus sont placés dans la partie visible du bloc de glace tandis que les histoires les plus sombres et les plus cryptiques sont situées dans les abysses. Véritable métaphore de l’insondabilité du Web, l’iceberg des traumatismes de la Gen Z est un véritable atlas des angoisses contemporaines dont nous avons évoqué les points saillants avec le youtubeur.
Dans ta trilogie de vidéos qui évoque les traumatismes de la génération Z, un point un peu anecdotique revient de manière récurrente : c’est la peur liée à Mickael Jackson. Pourquoi lui ?
Feldup : Je ne m’attendais pas du tout à ce que ce personnage soit évoqué et pourtant c’est l’une des peurs les plus partagées par les gens qui m’ont répondu. Ça m’a questionné et je me suis souvenu de toutes mes peurs personnelles liées à Michael Jackson. Je n'avais pas aimé le clip de Thriller. J’avais toujours été très mal à l’aise avec son visage modifié et je l’ai toujours associé à de très nombreux scandales pédophiles. Après sa mort en 2009, on a vu sortir beaucoup de vidéos bizarres où l’on voyait son fantôme errer à Neverland ou bien des screamers (des vidéos calmes qui se terminent par un hurlement et le surgissement d’un visage déformé qui font sursauter). On a tous vécu son déclin, sa mort et ses apparitions au même moment où la vidéo sur le Web s’est démocratisée, mais n’était pas encore filtrée par les algorithmes. Tout ça a contribué à donner à ce personnage une aura très mystérieuse avec tout un tas de théories du complot qui nous ont tous beaucoup marqués.
L’une des esthétiques les plus populaires de la Gen Z est celle des vieilles cassettes VHS. Pourquoi ces vieux supports médias provoquent de l’angoisse ?
Feldup : Quand je suis né, les DVD étaient déjà démocratisés, mais dès que j'allais chez ma grand-mère, je regardais des dessins animés sur VHS. C’était un univers totalement différent avec beaucoup de manipulations à faire, notamment le fait de rembobiner. C’était aussi un support d’enregistrement des médias qui passait à la télévision et qui a sans doute beaucoup joué sur la culture du bootleg (enregistrement pirate). Aujourd’hui, l’esthétique VHS est très utilisée dans l’horreur parce qu’elle permet aussi de simuler des vidéos de mauvaise qualité. C’est un élément qui était très présent dans notre enfance quand on regardait des vidéos de théories du complot en basse définition sur Internet. Aujourd’hui, nous n'avons plus les mêmes limitations techniques et la moindre vidéo amateur a une définition et une qualité presque parfaite. Donc ce retour à la VHS qu'on appelle aussi l’horreur analogique permet d’apporter cette petite distorsion et cette esthétique qu’on a à peine connue, mais qui nous parait un peu « Alien » et distante.
Ça croise aussi l’intérêt particulier pour les « lost médias » que l'on retrouve beaucoup dans tes vidéos. Peux-tu nous expliquer en quoi ça consiste ?
Feldup : Les lost médias sont des vidéos ou des musiques qui ont sans doute existé un jour, mais dont on ne retrouve plus la trace parce qu'ils ont été mal archivés ou bien volontairement détruits. Dans un contexte où tous les médias semblent accessibles sur le Web, il y a quelque chose de fascinant d'imaginer qu'une vidéo puisse être perdue. Il y a aussi de véritables histoires liées à des enquêtes d’internautes qui se sont lancés dans la recherche de ces médias perdus. L’une des histoires des plus connues est celle de Craks, un court métrage d’animation diffusé dans l’émission Sesame Street en 1975 qui avait terrorisé les enfants de l’époque.
Les gens ont pris connaissance de ce dessin animé en se le remémorant sur des forums. Un internaute a finalement réussi à mettre la main dessus en passant par une source mystérieuse qui lui a envoyé par la poste avec une interdiction de partager publiquement le contenu. Ce qui est fascinant, c'est de voir que le résultat final fait, certes, un peu peur, mais a surtout été magnifié par des souvenirs. Les lost médias fascinent parce qu’ils sont des souvenirs d’images qui ont été magnifiées et dont la disparition apporte une forme de frustration, mais aussi de fantasme à travers le temps.
On retrouve souvent ces enquêtes collectives au sein de jeux de pistes qui brouillent la frontière entre la fiction et la réalité.
Feldup : Oui, c'est ce qu'on appelle les ARG, les jeux en réalité alternée. C'est un format de narration qui se déroule sur YouTube ou sur des pages Web et qui demande aux internautes de trouver des indices ou de résoudre des énigmes. (Ndlr : en France on peut citer Eiffel1812 qui a été lancé par Thomas Hercouët ou bien Les mystères de l'Internet du vidéaste Antoine Daniel) C’est justement ce flou entre ce qui est vrai et ce qui est faux qui est fascinant. Ce format de narration se place automatiquement comme quelque chose de réel, ce qui donne envie aux internautes de s’investir dans ce genre d’enquête. Cette possibilité crée un sentiment déstabilisant qui est accentué quand on les envoie sur des pages Internet, qu’on leur fait déchiffrer des codes ou qu’on leur donne des vidéos à analyser. Ça donne cette impression qu’on est tout petits par rapport à la taille de la Toile et ça permet aussi de prendre conscience de l’aspect tentaculaire du Web.
Ces méthodes qui consistent à demander aux internautes d’interpréter des vidéos ont aussi été utilisées « pour de vrai », par exemple, par Britney Spears.
Feldup : Oui, c'est la raison pour laquelle les gens pensent que c'est vraisemblable. On sait que c’est déjà arrivé. Sur Internet, on a tendance à toujours partir du principe que tout est faux et c'est plutôt bien. Mais quand on se rend compte que certaines choses sont potentiellement vraies, ça met place à un imaginaire monstrueux. À mon sens, les ARG sont là pour montrer, de manière artistique, que la limite entre le vrai et le faux sera toujours floue pour notre génération.
L’un des phénomènes horrifiques les plus populaires du moment concerne les backrooms, ces espaces vides et infinis. Pourquoi un tel succès ?
Feldup : La première chose qui frappe c’est le sentiment profond et universel de solitude qu’on peut ressentir face à ces images qui présentent des espaces liminaux (Ndlr : des lieux de transition entre une destination et une autre comme des couloirs, des cages d’escalier ou une salle d’attente ). Elles semblent avoir été prises avec des appareils numériques de première génération et montrent des parcs pour enfant, des supermarchés ou des bureaux, totalement vides et sombres alors qu’elles devraient être pleines de monde. Beaucoup d’espaces liminaux sont liés à l’enfance, et je pense que ça rappelle aussi une peur enfouie où l’on se retrouve tout seul dans un couloir sombre. Ensuite, il y a eu les confinements qui ont permis à plein de gens de prendre ce genre de photos et donc d’alimenter cette tendance. Enfin, et c’est plus déprimant, ma génération pense qu’elle sera la dernière et ces images d’espaces vides portent ce sentiment d'apocalypse.
Parmi les autres angoisses que tu évoques, on retrouve beaucoup de jeux vidéo ou de dessins animés qui ont été détournés pour faire peur. D’après toi, l’un des points communs à toutes ces angoisses serait une subversion, voire la perversion de l’enfance ?
Feldup : Je pense que l'horreur de ma génération se base énormément sur le fait d'enlever les repères qui sont des points de confort. L'enfance, pour beaucoup de gens, c'est un endroit où l’on peut se réfugier quand on se sent vulnérable. Quand on déstabilise ou que l’on casse ces zones de confort, alors on peut plus facilement perturber. Je pense que la plupart de l'horreur qui habite ma génération ne se base pas sur le fait d’être effrayé. On n’a pas beaucoup de vampires, de loups-garous ou de fantômes. Ce qui nous fait peur, ce sont les images ou les vidéos qui sont situées dans ce qu’on appelle la « vallée dérangeante » et qui montrent des choses familières avec un détail ou un tournant qui va instiller de l’étrangeté.
je suis consternée de ce qu'est devenu le monde en quelques années... les réseaux sociaux ont complètement débilisé les jeunes d'aujourd'hui qui sont mis face à des contenus qu'ils n'auraient jamais imaginé.
leur imaginaire est celui d'une huitre, c'est déprimant