Data center de Google liberant de la vapeur d'eau au matin

Malaise : l’intelligence artificielle a de plus en plus soif

© Google

L'essor du marché de l'intelligence artificielle entraîne mécaniquement une hausse de la consommation d'eau. Et ce n'est pas comme si on en avait trop.

Logiciel de streaming, conduite autonome, système de navigation, assistants vocaux, reconnaissance faciale, moteur de recherche... L'intelligence artificielle s'est installée dans notre quotidien, et nécessite de plus en plus de puissance de calcul. Résultat : des légions d'ordinateurs fonctionnant à puissance maximale 24h/24. Autant de machines à maintenir au frais pour éviter la surchauffe : soit grâce à des systèmes de ventilation (comme ceux utilisés dans les ordinateurs personnels) soit avec de l'eau, le procédé le moins coûteux.

La soif insatiable des data centers

Le média El País nous raconte l'histoire des habitants de The Dalles, petite ville de l’Oregon, qui vivent un paradoxe. Bien que l'endroit se trouve au pied du fleuve Columbia, son climat est pratiquement désertique : les précipitations sont rares et à l'été 2021, la température atteignait près de 48°. La menace de restrictions d'eau pèse depuis longtemps sur les 15 000 habitants de la ville. Mais quelle ne fut pas leur surprise en apprenant que plus de 25 % de la consommation totale de cette précieuse ressource va au centre de données de Google. Pour quoi faire ? Refroidir ses data centers. Selon le média local Oregon Live, l'installation a presque triplé sa consommation d'eau au cours des cinq dernières années et la multinationale prévoit d'ouvrir deux autres centres de données le long du fleuve Columbia.

Un projet qui pourrait affecter la flore et la faune, et provoquer des pénuries d'eau pour les agriculteurs, alertent les écologistes. The Dalles n’est pas un cas isolé aux États-Unis, pays qui concentre à lui seul environ 30 % de tous les data centers du monde. L’Arizona, la Caroline du Sud et l’Utah sont aussi concernés par la soif insatiable des centres de données. Aux Pays-Bas, Microsoft a été impliqué dans un scandale après que des investigations ont révélé que l'une de ses installations consommait quatre fois plus d'eau que celle déclarée dans un contexte de sécheresse. En Allemagne, les autorités du Brandebourg ont refusé à Google l'autorisation de construire un centre de données dans la région, car une gigafactory Tesla y consommait déjà trop d'eau.

L'impact environnemental de l'intelligence artificielle

La consommation d'eau de Google a augmenté de 20 % en 2022, et celle de Microsoft, propriétaire à 75 % d'OpenAI, l'entreprise derrière ChatGPT, de 34 %. Dans les deux cas, les chiffres proviennent directement des deux entreprises concernées et recouvrent uniquement les ressources en eau utilisées pour refroidir les data centers, excluant la génération de l’électricité qui alimente les serveurs et le processus de fabrication du matériel. Meta, qui a augmenté sa consommation d'eau de 2,7 % par rapport à 2022, prévoit selon El País d'ouvrir un « hyper datacenter » à Talavera de la Reina en Espagne. Une infrastructure qui devrait consommer plus de 600 millions de litres d’eau potable par an. De son côté, Amazon, qui contrôle avec Google et Microsoft près de la moitié des hyper data centers (ceux comptant plus de 5 000 serveurs) du monde, et dont la filiale AWS est leader sur le marché du cloud computing, a choisi ne pas rendre ses données publiques.

Comment expliquer cette augmentation de la consommation d’eau des entreprises technologiques ? Pourquoi est-il plus faible pour Meta (+ 2,7 %) ou Apple (+ 8.5 %) que pour Microsoft et Google ? Interrogé par El País, le chercheur Shaolei Ren, professeur agrégé de génie électrique et informatique à l’Université de Riverside en Californie et spécialiste de la durabilité de l’IA, pense que la réponse à ces questions tient en deux mots : intelligence artificielle. Selon lui, les efforts supplémentaires visant à développer de grands modèles d’IA pourraient avoir fait monter en flèche la consommation d’eau de Google et de Microsoft, les deux entreprises technologiques qui ont le plus investi dans cette technologie. « Nous ne pouvons pas le dire avec certitude puisque les entreprises ne fournissent pas de données concrètes, mais l'augmentation en 2022 a été assez importante par rapport à 2021, et nous savons qu'à cette époque, elles ont investi massivement dans l'IA générative, ainsi que dans d'autres services d'IA liés », explique-t-il par e-mail.

Une explication plausible puisque l'IA a été intégrée dans presque tous les produits quotidiens de Microsoft et de Google, y compris leurs moteurs de recherche. Une hypothèse à laquelle adhère Ana Valdivia, professeure d'intelligence artificielle à l'Oxford Internet Institute, dont les recherches les plus récentes portent sur l'évaluation de l'impact environnemental de l'IA. « Ce que nous savons, parce que le directeur d'une de ces infrastructures me l'a confirmé, c'est que les puces utilisées dans la formation en IA consomment beaucoup plus que celles des serveurs courants », a indiqué l'experte au média espagnol. En réponse, les entreprises concernées avancent d'autres arguments. Une porte-parole de Google a notamment déclaré que la forte augmentation de la consommation d’eau en 2022 « correspond à la croissance de l’entreprise », position également adoptée par Microsoft.

Un problème insoluble ?

L’industrie parie clairement sur l’intégration de l’IA dans de nombreux produits et services. Selon une étude récente de Javier Farfan et Alena Lohrmann prenant en compte les données de consommation actuelles et les perspectives de croissance économique, l'Europe aura besoin en 2030 de plus de 820 millions de mètres cubes d'eau par an rien que pour pouvoir utiliser Internet. Mais existe-t-il un moyen d’entraîner des modèles d’IA sans consommer de grandes quantités d’eau ? Shaolei Ren ne le pense pas. « Des systèmes de séchage électriques pourraient être utilisés pour refroidir les ordinateurs, mais ils consomment beaucoup d'énergie, de sorte que la consommation d'eau nécessaire à la production d'électricité augmenterait considérablement. Sur le papier, il est possible de ne pas utiliser d'eau dans le processus, mais je pense que c'est très difficile », conclut l'universitaire.

Face à la diminution de la ressource, certaines voix commencent à réclamer une diminution du recours aux outils numériques au motif que le seul moyen efficace d’inverser la crise climatique est de réduire les niveaux de production et de consommation. Ana Valdivia quant à elle ne pense pas que la décroissance numérique soit la solution. « Il me semble que tenir les gens pour responsables de cette consommation n’est pas une bonne approche. En outre, les centres de données sont bien plus utiles et socialement nécessaires que, par exemple, les voitures électriques. Il existe des alternatives à la mobilité : vous pouvez laisser la voiture et prendre le bus ou le train. Mais il n’y a pas d’alternative aux centres de données. »

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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