Ou comment générer des émotions positives grâce à des actions de communication ? Une tribune Emmanuel Berne, Directeur des Études de l'agence heaven.
La notion de bienveillance est particulièrement en vogue ces derniers temps. Qu’il s’agisse de relations au travail, à l’école, de politiques publiques en général ou dans la sphère privée, la bienveillance semble être l’horizon vers lequel se tourner. On ne peut que s’en réjouir car par définition, la bienveillance induit l’empathie à l’égard des autres; elle contient aussi une dimension performative dans la mesure où sa finalité est d’agir de façon à procurer du « bien » à ses destinataires.
La communication des entreprises ou leurs plateformes de marque s’appuient de plus en plus sur des formulations qui relèvent de la bienveillance. La démarche consiste le plus souvent à insuffler du sens à l’action d’une organisation.
En revanche, le concept de bienveillance semble ne pas réellement exister au sein du marketing digital, étant plus largement englobé au sein de la question plus vaste du bien-être en général ou des effets émotionnels, positifs ou négatifs. La bienveillance correspond alors à une parcelle de cette « grammaire émotionnelle » ou « économie numérique des émotions » tel que l’évoque le sous-titre du récent ouvrage « Le Web affectif » signé par les chercheurs Camille Alloing et Julien Pierre.
L’absence de littérature spécifique à la question de la bienveillance dans le marketing digital (et en particulier sur les médias sociaux) justifie de s’y intéresser dans une logique opérationnelle. Il n’est ici pas question d’affirmer que produire un marketing digital bienveillant est aisé voire même forcément souhaitable pour tout annonceur, mais qu’un large éventail d’initiatives positives pour les audiences peut être considéré.
Du contenu bienveillant
- Définir un ton bienveillant dans ses prises de paroles revient à se montrer amical, prévenant, compréhensif à l’égard de ses publics. Dans le cadre des relations avec les consommateurs, notamment dans les discussions sur Facebook Messenger, de plus en plus souvent en partie automatisées donc déshumanisées, faire montre de considération pour le besoin exprimé puis offrir des pistes de solutions constitue les bases d’une interaction positive. A titre d’illustration, on peut s’inspirer de la construction des phrases utilisées par Google Assistant lorsque celui-ci se voit incapable de répondre à une requête “je suis désolé, j’apprends chaque jour”. Ces expressions s’avèrent être un renouvellement bienveillant de la forme des pages 404.
Page 404, d’Airbnb
- Produire du contenu dont la fonction est d’apporter une forme de bien être constitue une démarche bienveillante. On peut notamment penser aux applications de coaching ou de développement personnel, par exemple Adidas ALL DAY - Workouts, Healthy Recipes & Meditation lancée en juin 2017 ou à la minute de méditation qui était proposée dans les premiers contenus originaux de Snapchat Discover. Un contenu simple, mais totalement détonnant sur Snapchat et offrant une expérience mémorable.
Contenu Snapchat dans Snapchat Discover
- Les contenus créés en décalage de l’agenda commercial des annonceurs ont une plus forte propension à développer une forme de bienveillance auprès des personnes exposées du fait d’une absence d’objectif marchand immédiat. Ainsi ces contenus existent pour eux même et vont avant tout chercher à provoquer un affect positif auprès des publics. Cela concerne à la fois les contenus de prospectives, par exemple avec la diffusion des projets expérimentaux ou, plus communément, l’ensemble des contenus qui font appel à la nostalgie. Sur ses espaces sociaux, Peugeot propose par exemple depuis 2 ans une activation de rénovation d’anciens modèles de la marque auprès des fans, une démarche indirectement connectée à la promotion des véhicules en vente sur le moment.
Ma Peugeot Rénovée 2017
Du design bienveillant
- La technique du “nudge” ou de l’incitation douce s’applique à l’encadrement de la nature des interactions. Face aux problèmes de trolling voire de harcèlement qui peuvent apparaître dans les fils de commentaires et de messagerie, même si cela n’apporte pas de garantie d’efficacité, un rappel de la bonne conduite à adopter constitue au moins un vecteur de diffusion de la bienveillance. Cette technique est notamment visible par le biais des messages inscrits par défaut dans les champs texte d’un forum comme jeuxvideo.com ou sur l’application de messagerie anonyme Sarahah beaucoup utilisée pour Snapchat (même si l’effet espéré est loin d’être au rendez-vous).
« Ne postez pas d’insultes » sur jeuxvideo.com/forums
« Leave a constructive message : ) » sur Sarahah
- Cette démarche visant à configurer voire contraindre la nature des interactions peut même constituer le cœur d’un service. C’est le cas de l’application sociale TBH (To Be Honest), récemment rachetée par Facebook 3 mois seulement après son lancement, et dont le principe est que les utilisateurs ne peuvent s’envoyer que des gratifications, pré-définies dans le service, visant à développer la confiance en soi de celui qui reçoit le message.
Dans le premier écran, l’utilisateur choisit parmi les 4 contacts lequel il considère comme “étant toujours plus beau à chaque rencontre”, ce dernier sera notifié que quelqu’un a pensé cela de lui, les autres contacts ne savent bien sûr pas qu’ils ont été proposés comme choix.
Cibler de façon bienveillante
- La multitude d’options de ciblage à disposition sur les plateformes publicitaires des réseaux sociaux permet de prendre en compte certaines aspirations ou aspects de la situation économique des utilisateurs afin d’éviter de les exposer à des contenus qui au mieux ne les concerneraient pas et au pire pourraient leur provoquer des sentiments négatifs. Au-delà même de la bienveillance, il s’agit d’ailleurs de suivre ici une logique d'adéquation entre le produit promu et l’audience en utilisant l’exclusion de certains centres d’intérêt. Par exemple en évitant de promouvoir une chaîne de fast food à une audience déclarant un intérêt pour les régimes.
Facebook Ads Manager
Data bienveillante
- Si la bienveillance prend un sens qualitatif assez clair dans toutes les relations humaines, elle a déjà connue certaines formes de digitalisation quantitative. Au sein du jeu vidéo SMITE (un MOBA, jeu de type arène de bataille en ligne multijoueurs et dont l’objectif n’est donc pas vraiment de faire des câlins à ses adversaires) un score de bienveillance a été introduit au même titre qu’il existe des points XP. Il permet ainsi de gratifier les joueurs qui ont un comportement de jeu fair-play. C’est à dire concrètement qu’ils ne se déconnectent pas du serveur juste avant de voir leur personnage mourir et privant ainsi les autres joueurs du plaisir complet de leur victoire.
Capture d’écran du jeu SMITE
- En décembre dernier, un article publié par Facebook et intitulé Is Spending Time on Social Media Bad for Us? a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Cette publication revenait à reconnaître pour Facebook, qu’effectivement, passer du temps sur les plateformes a ou peut avoir un impact négatif sur ses utilisateurs. Le principal phénomène mis en avant étant celui de la comparaison sociale négative qui naît d’une exposition répétée à des posts faisant émerger l’idée que ses contacts ont une vie plus intense que la sienne (vacances ou jobs de rêves, sourires obligatoires, expressions de cohésion amicale ou familiale…). Alors que ces contenus peuvent être vus comme l’expression d’un narcissisme plus développé ou même paradoxalement d’un manque de confiance de soi. Dans tous les cas, si Facebook peut être mauvais alors comment y remédier de façon bienveillante ? Si dans ce même article la solution proposée par Facebook consiste à se montrer plus “actif” sur la plateforme et donc éventuellement d’y passer plus de temps, on peut aussi imaginer de promouvoir l’inverse. Accompagner les utilisateurs en leur apportant plus d’informations sur la nature de leur usage leur permettrait de gagner en maîtrise. Cela pourrait prendre la forme par exemple de notifications du type “Aujourd’hui vous avez passé 3h sur Instagram, et si vous faisiez une petite pause” à l’instar d’ailleurs de ce que proposait la Wii après un certain temps de jeu. Toutes les annonces de janvier sur la diminution du temps sur Facebook vont d’ailleurs dans ce sens.
Quoiqu’il en soit, nous avons voulu montrer d’une part que la notion de bienveillance peut s’exercer sur l’ensemble des composantes du marketing digital et d’autre part que la bienveillance constitue un axe de progrès qualitatif potentiel. Enfin, et comme il faut aussi être bienveillant pour soi-même, réfléchir et implémenter ce type de démarche doit pouvoir constituer une source de satisfaction personnelle.
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