Un homme emprisonné dans son bureau

« Faites ce que vous aimez, et vous n’aurez jamais l’impression de travailler. » Bullshit !

© sturti via Getty Images

Cette citation est prêtée aux plus grands penseurs. Confucius, Einstein... Et récemment, Elon Musk. Sauf qu'en vrai, c'est n'importe quoi. Et on vous dit pourquoi.

La dernière perle d’Elon Musk en matière de théorie managériale fait un flop. L’entrepreneur a tweeté qu’on ferait bien de travailler « au moins 80h » par semaine pour sauver le monde.

Son argument principal ? « Personne n’a jamais changé le monde en travaillant 40h par semaine. » C’est culpabilisant et, surtout, un peu bancal comme raisonnement.  

Laëtitia Vitaud, experte des nouveaux usages au travail, nous explique pourquoi.

Elon Musk, cet Iron Man IRL

« Elon Musk surjoue le personnage mission-driven de la Silicon Valley », analyse Laëtitia Vitaud. Oui, parce qu’aux États-Unis, on travaille pour rendre le monde meilleur.

Le discours a été tellement à la mode qu’il en est devenu risible, et aujourd’hui les grands de la tech s’en prennent plein les dents. « Faire croire qu’on va changer le monde avec un smartphone ou une appli, ce n’est plus possible. »

Mais pour Elon, c’est différent.

L’homme d’affaires s’attaque à des problématiques plus tangibles. L’énergie, l’espace… ses missions à lui sont plus crédibles. Résultat, « il est plus épargné par le public sur ce sujet, et construit même une sorte de mythologie autour, une espèce de culte. Il joue au superhéros qui va sauver le monde en multipliant les déclarations provocatrices. » En ce sens, quand il affirme publiquement travailler 120 heures par semaine, « c’est une manière de continuer à jouer ce rôle de missionnaire. »

Il y a le côté religieux de la chose – on se rappelle les missions jésuites destinées à éveiller les peuples jugés primitifs – qui demande l’effacement de l’individu au service de la cause collective. « C’est très présent aux États-Unis et plus difficile à concevoir en France. »

« Faites ce que vous aimez, et vous n’aurez jamais l’impression de travailler. » Ben voyons !

À coups de citations un peu bidons – « quand on aime ce que l’on fait, on n’a pas l’impression de travailler », « personne n’a jamais changé le monde en travaillant 40h par semaine » -, Elon Musk aurait sa place parmi les meilleurs penseurs de LinkedIn.

Blague à part, ces considérations se placent évidemment… du côté des patrons. « Tout le monde ne peut pas être passionné par son travail, ça concerne une petite minorité de gens. Des chercheurs, des artistes… Dans l’univers corporate, qui implique des contraintes et des cadres non choisis, ça ne fonctionne pas. »

Par ailleurs, « Elon Musk oublie que pour détruire le monde, il faut aussi travailler plus de 40 heures par semaine. Tous les stratèges étaient – ou sont – des brutes de travail !  De Napoléon à Hitler, les dictateurs ne dormaient pas et tenaient le même genre de discours missionnaire, très culpabilisant pour les autres. Ils posaient la question - ‘‘est-ce que tu veux changer la société ? ’’ - et y apportaient des réponses destructrices.»

Elle analyse ainsi son attitude comme quelque chose de très conquérant, presque militaire. « Dire qu’on travaille comme un fou, c’est un peu s’accorder une sorte de badge d’honneur. »

Va dormir, Elon ! Ça te fera du bien…

Depuis quelques mois déjà, certains s’inquiètent pour la santé mentale d’Elon Musk. On l’a vu craquer dans une interview donnée au New York Times, fumer un joint à la radio… et débattre avec Arianna Huffington – la co-fondatrice du Huffington Post – sur le besoin de dormir. Il faut dire que selon les théories de cette dernière, pour réussir dans la vie, il faut dormir. Elle en a même fait un livre, The Sleep Revolution ! Forcément, quand elle voit que ce pauvre Elon travaille 120 heures par semaine, elle se dit qu’il ne doit pas lui rester beaucoup de temps pour se reposer correctement.

Dans une joute twitteresque comme on les aime, elle a enjoint le leader à dormir plus. « Tu en as besoin, Tesla en a besoin, et le monde en a besoin. »

Réponse de l’intéressé ? « Ford et Tesla sont les seules entreprises automobiles américaines à ne pas être en faillite. Je viens juste de rentrer de l’usine (à 2h30 du matin, un dimanche NDLR). Tu penses que dormir est une option ? Ce n’est pas le cas. »

« Le manque de sommeil contribuerait à l’épidémie d’obésité, la hausse des maladies mentales, et – comme le dit le neuroscientifique Adam Gazzaley –, la crise de la cognition, conclut Laëtitia Vitaud. Le taux de suicide est au plus haut depuis qu’on commence à le mesurer. C’est bien beau d’être mission driven… Mais est-ce que ce ne serait pas un peu bullshit ? Si on travaillait moins et qu’on était plus contemplatif, peut-être qu’on rendrait vraiment le monde meilleur. Parce que changer le monde, ce n’est peut-être pas envoyer une voiture en orbite et polluer un peu plus l’espace, après tout. »

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.

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