
Cosmétiques bio et naturels s'imposent dans les salles de bains. Pourtant, ce marché en croissance reste instable et brutal, et les jeunes marques peinent à s'installer. Pourquoi ? Des éléments de réponses avec Fred Ghenassia, expert du secteur depuis 30 ans
Un contexte favorable, mais qui génère surtout beaucoup d'échecs ! C'est le contexte du marché français des cosmétiques bio et naturels qui devrait atteindre 1,2 milliard d'euros en 2025, selon Xerfi Precepta, spécialiste des études stratégiques. Pourquoi la foison de jeunes marques qui se lancent n'arrive pas à tenir plus d'une saison ? Éléments de réponses avec Fred Ghenassia, expert du secteur depuis 30 ans, cofondateur de Co-re-lab, fabricant de cosmétiques écoresponsables pour les marques.
Sur le marché des cosmétiques, les jeunes marques peinent à s'imposer. Pourquoi ?
Fred Ghenassia : Cela s'explique en grande partie par la facilité d'accès au marché. Alors qu'il fallait avant un diplôme, tous les « afficionados » de la tendance DIY (do it yourself) veulent désormais se lancer. Mais réussir à faire ses cosmétiques dans sa cuisine n'est pas un gage de succès. Autre facteur d'explication : une méconnaissance et une incompréhension des enjeux du marché. Enfin, le manque de moyens, et la confusion entre prix, coût réel etc. Résultat : une offre pléthorique avec peu de marques différenciantes, un marché qui sature et des prix de vente disqualifiés qui obligent à rogner sur les marges. À titre d'exemple, 80 % de ceux qui s'adressent à notre laboratoire ne renouvellent pas après l’épuisement de leur premier stock.
Le fort taux d'échec vient-il des fabricants ou du marché ?
F. G : En grande partie des fabricants. On peut se lancer avec seulement 10 000 euros, ce qui est impossible sur d'autres marchés. On le voit avec les DNVB (Digital Native Vertical Brands), des marques nées en ligne, qui émergent rapidement, dopées par l'effet communautaire et militant (naturel, made in France, local...) et s'essoufflent très vite. Pour pérenniser un business, il faut fidéliser. Autre frein : la notion de gamme. Faute de budget, beaucoup ne développent qu'un ou deux produits. Or, on ne vend pas de cosmétiques unitaires. Pour survivre et produire suffisamment de chiffre d’affaires, il faut miser sur l’upsell (ventes complémentaires).
Bio, naturel… Quelle est la différence ?
F. G : ll y a souvent confusion entre bio et naturel. Tous les deux bénéficient d'une certification (Cosmo bio et Cosmo Nat), mais le coût de départ n'est pas le même. Le 100 % bio est très rare car très cher. En résultent des produits « basiques ». La majorité des produits bio (certifiés ou labellisés) garantit un pourcentage d'ingrédients bio. Le reste est des ingrédients d'origine naturelle. Les cosmétiques naturels sont plus simples à mettre en œuvre et permettent d'avoir un prix d'entrée acceptable, aussi bien pour le fabricant que pour le consommateur. Les produits bio répondent à 3 exigences des consommateurs : santé, efficacité, environnement. Tous les ingrédients utilisés sont d'origine naturelle à l'exception d’une liste restrictive d’ingrédients approuvés (dont des conservateurs) autorisés en faible quantité. Aller chercher le bio pour le bio et essayer de le rendre efficace et financièrement acceptable est très compliqué. Le problème tient aux faibles volumes qui ne permettent pas de diminuer les coûts de revient des matières premières et in fine des produits. On se heurte à la sensibilité au prix des consommateurs et a l'acceptabilité. Tout le monde a envie du meilleur, même si tout le monde n'a pas les moyens de se l’offrir. Le naturel est devenu un acquis, ce n'est plus une innovation. Les cosmétiques dits « classiques » sont voués à disparaître.
Qui réussit vraiment sur ce marché ?
F. G : La clé, en particulier dans la cosmétique, c'est l'innovation. De nombreuses marques font du « me too product », un produit conçu non pas en fonction des attentes des consommateurs, mais directement à partir des caractéristiques d'un produit concurrent, généralement leader sur son marché. Évidemment, quand vous n'avez pas de compétences techniques, vous ne pouvez pas inventer un produit. Pour réussir, il faut trouver le bon mix produit : adéquation entre le type de produit fabriqué, prix auquel le consommateur est prêt à payer, circuit de distribution adapté à ce prix, type de clientèle que vous voulez toucher, et manière dont vous communiquez.
Au-delà de ces considérations, la cosmétique est un marché de marketing, et le restera. La plupart de ceux qui réussissent ont un savoir-faire en communication, en positionnement… Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce ne sont pas forcément des biologistes. Prenons l'exemple de la marque Typology, l'une des marques de cosmétique les plus vendues en ligne en France : Ning Li est un digital native qui a fait fortune dans l’e-commerce (MyFab et Made.com). Il maîtrise les codes de la vente directe et s'est lancé dans la cosmétique parce qu'il a identifié un marché à prendre. Il a d'emblée lancé de larges gammes grâce à des investissements qui dépassent les millions.
Quid des réseaux de distribution ?
F. G : Ils n’existent quasiment pas, par la faute du marché. Un marché qui évolue crée sa propre distribution. Les grands distributeurs s'adaptent et disposent de leurs propres marques de beauté bio. En outre, les grandes marques ont déjà leurs entrées dans les circuits de distribution et d'achat classique. Pour une jeune marque, la difficulté est d’être référencée et distribuée. Et quand enfin, l'une d'entre elles obtient une possibilité de linéaire, elle disparaît au bout de 6 mois. C'est tout le problème de la vente en libre-service. Il n'y a pas de conseil. Faute d'être connues, les nouvelles marques ne sont pas identifiables et ne ressortent pas. Il reste donc la vente en ligne. Or, il est là aussi difficile de se faire une place au soleil face à des mastodontes qui maîtrisent parfaitement les codes du marketing digital et ont des budgets colossaux.
Les jeunes pousses arrivent-elles à lever des fonds ?
F. G : Difficilement. L’Oréal, LVMH ou Estée Lauder sont de plus en plus déterminées à racheter et développer les jeunes marques qui percent. Ils ont la garantie de l’originalité du positionnement. C'est plus facile pour eux d'installer une marque (circuit de distribution, équipe de communication, connaissance du marché...) que de lui donner les moyens de se développer.
Que conseilleriez-vous à ceux qui veulent se lancer ?
F. G : Lancer une nouvelle marque est avant tout un projet d'équipe. Il faut réunir des compétences marketing, commerciale, vente terrain... C'est indispensable. Deuxièmement, si vous n’avez pas 50 000 euros, n'y allez pas. Comptez environ 25 000 euros pour fabriquer et concevoir une gamme de 4/5 produits, le reste sera destiné aux frais d'organisation, de logistique, de communication... Autre incontournable : identifier le marché et le coût d'entrée (benchmark, persona, besoins, prix...). Peu de jeunes marques prennent le temps d'aller au bout de cette réflexion. Ensuite, vient l'étape de la commercialisation. Combien de fabricants lancent leurs produits en ne s'y consacrant qu’à mi-temps (job à côté, congé mat…) ? Ce n’est pas structurant. Le fort taux d'échec est la conséquence de ces deux facteurs : incompréhension et impréparation.
merci pour cet article enrichissant .