Longtemps perçues comme un espace de contre-pouvoir au sein duquel de grands mouvements sociaux sont nés, les plateformes sociales servent surtout de chambre d’écho au désespoir.

Depuis les messages cryptiques prévenant de l’arrivée de la police d’immigration dans les villes, aux réactions outrées face au démantèlement de l’État fédéral organisé par le DOGE, en passant par les commentaires et analyses multiples sur les saluts nazis ou une possible annexion du Canada, l’ambiance d’une certaine partie de TikTok oscille entre crises de larmes et accès de colère.

@krisgoldsmith85

JD Vance personally brought Marko Elez back into Elon Musk’s DOGE scams operation at the Trump Administration. #markoelez #doge #elonmusk #jdvance #stopindianhate

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Sur les autres plateformes comme X ou Facebook, les choses ne sont guère meilleures, avec des algorithmes mettant en avant du trolling d’extrême droite ou du contenu slop (des images médiocres générées par IA pour favoriser l’engagement). Autrement dit, le web grand public est devenu une chambre d’écho au bruit et à la fureur de l’administration Trump. Cette dernière suit la fameuse stratégie de « l’inondation de la zone » imaginée par Steve Bannon et plonge tout ce que le monde compte de citoyens éclairés et d’activistes connectés dans une sorte de brouhaha inaudible et sidérant.

Hurler en place publique

Il fut un temps où les réseaux sociaux étaient considérés comme le point de départ de grands mouvements sociaux pouvant s’opposer à un pouvoir en place. On se rappelle notamment du rôle des groupes Facebook dans la montée en force du mouvement des Gilets jaunes ou encore comme lieu d’organisation de manifestations durant les révoltes du Printemps arabe. Mais en 2025, les plateformes sociales semblent être devenues une impasse empêchant toute action collective constructive. C’est en tout cas l’avis de Katherine Cross, sociologue et autrice de Log Off: Why Posting and Politics (Almost) Never Mix (Déconnexion : pourquoi poster sur les réseaux et faire de la politique ne se mélangent (presque) jamais). Interrogée par 404 Media, elle explique comment le premier piège des réseaux est de nous avoir fait croire que poster une vidéo ou un texte était un acte d’activisme politique, alors qu’il ne s’agit que d’une réaction n’appelant aucune réelle action.

« En nous transformant en une sorte de « personnage principal » entouré de « personnages non joueurs », les plateformes nous font croire que nous pouvons changer les choses en hurlant devant une caméra, alors qu’elles ne font que nous atomiser et nous aliéner. Alors que dans n’importe quel autre contexte, des posts viraux mettant en scène Elon Musk pointé par des armes à feu ou attaché à une guillotine auraient de quoi inquiéter l’intéressé, ces derniers sont davantage une soupape permettant d’exprimer sa colère – sans conséquence.

Vive le dark social ?

Dans un article intitulé « How effective is online outrage? » (Quelle est l’efficacité de l’indignation en ligne ? ), les chercheurs William J. Brady et M.J. Crockett détaillent les effets des réseaux sociaux sur notre volonté politique. Si l’indignation peut avoir des effets positifs en catalysant l’action collective, elle peut aussi réduire l’efficacité de celle-ci en diminuant la capacité de prise de décision stratégique, essentielle pour atteindre des objectifs à long terme. Les auteurs notent que la colère, composante clé de l’indignation, peut altérer le jugement en simplifiant à l’excès des problèmes complexes et en favorisant la méfiance. De plus, la facilité avec laquelle l’indignation se propage sur les plateformes numériques crée un bruit de fond rendant difficile l’identification des causes les plus urgentes, diluant ainsi les efforts collectifs.

Face à cette impasse, 404 Media présente une alternative encourageante. Depuis l’annonce des rafles de l’ICE, des réseaux d’entraide se sont organisés sur des messageries chiffrées à Chicago et New York afin d’aider les migrants à fuir, à se nourrir et à rester propres lorsque leurs refuges ferment du jour au lendemain. À Los Angeles, des milliers de citoyens se sont coordonnés pour aider les personnes ayant perdu leur maison, et ces mêmes groupes tentent à présent de venir en aide aux migrants illégaux. Le 3 février dernier, des milliers de manifestants ont ainsi bloqué les autoroutes pour protester contre l’arrivée de l’ICE dans la ville. Dans ce cas, c’est la plateforme Discord, symbole de ces réseaux situés dans le dark social, qui a permis la mobilisation.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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