Alice Cordier, Thais d'Escufon et Estelle Red Pill

De TikTok à la télévision : la mécanique gagnante des influenceuses d'extrême droite

Estelle Red Pill, Thaïs d'Escufon, Alice Cordier… Depuis quelques années, ces influenceuses nationalistes tentent de conquérir un public plus jeune et masculin sur les réseaux. Et ça commence à marcher.

Depuis longtemps, l’extrême droite a gagné la bataille d’Internet. Réfugiée sur d’obscurs sites pendant son ostracisation médiatique dans les années 90 et 2000, elle a toujours su utiliser cette position stratégique pour gagner en force et en électeurs. La fachosphère, comme on l’appelle, a quasiment inventé le format du react politique avec les vidéos d’Alain Soral (le cofondateur de l’association politique Égalité et Réconciliation) et a réussi à imposer à certains médias mainstream ses obsessions sur l’islam et l’antiféminisme, grâce à la revue de presse ultra-orientée Fdesouche. À présent, elle embrasse les codes de l’influence et – évolution dans ce milieu – est incarnée par des jeunes femmes…, non sans quelques remous.

Parmi les têtes d’affiche, on trouve Alice Cordier, créatrice du collectif soi-disant féministe Nemesis, Estelle Redpill, une tiktokeuse fan d’Éric Zemmour, ou Thaïs d'Escufon, la youtubeuse qui brosse les incels dans le sens du poil. Pour Maxime Macé, journaliste à Libération et coauteur avec Pierre Plottu du livre Pop Fascisme (sorti ce mois d’octobre aux éditions Divergences), beaucoup de ces influenceuses commencent avec le même positionnement, celui des violences faites aux femmes. « Elles adoptent souvent une posture de princesses à sauver, indiquant qu’elles sont victimes des violences perpétrées par les immigrés, tandis que leurs camarades militants, souvent plus costauds, se posent en chevaliers protecteurs », indique-t-il. On peut ensuite les séparer en deux groupes. Il y a celles qui viennent de groupuscules déjà formés, comme Alice Cordier qui a fondé son collectif, ou Thaïs, issue de Génération Identitaire et qui s’est mise sur les réseaux suite à la dissolution du mouvement. Et puis il y a une nouvelle génération d’influenceuses plus jeunes qui surfent sur les mêmes créneaux de manière indépendante, sans appartenir à une organisation. C’est notamment le cas de La Lanterne sur TikTok, une jeune influenceuse qui a suivi la rhétorique des violences faites aux femmes de Nemesis. Même chose pour Estelle Redpill qui a émergé sur TikTok en donnant une touche plus moderne et plus accessible aux rhétoriques racistes ou nationalistes. « On est sur un bon mariage entre la provocation langagière et les codes de TikTok. »

Aïkido médiatique

Malgré cette multiplication, il ne faut pas imaginer que ces influenceuses parviennent toujours à dépasser le cadre du public d’extrême droite en ligne. Alice Cordier cumule près de 79k abonnés sur X, La Lanterne approche des 17k sur TikTok, tandis qu’Estelle Redpill a plus de 14k sur la même plateforme. Seule Thaïs d’Escufon performe avec 219k abonnés sur YouTube, faisant d’elle la plus grosse créatrice de contenu d’extrême droite. Mais pour en arriver là, elle a dû changer son fusil d’épaule. « En fait, il y a assez peu d’influenceuses féminines qui réussissent à percer, explique Maxime Macé. Thaïs a commencé sa carrière de youtubeuse sur des thématiques "classiques", comme l’assimilation ou la défense de la colonisation, mais elle a toujours souffert d’un déficit de crédibilité. Malgré toute la reconnaissance qu’elle a pu acquérir en tant que figure reconnue par les militants et sympathisants d’extrême droite, elle est toujours confrontée à la misogynie présente dans ces milieux. Elle a donc opéré un virage stratégique malin en visant surtout le jeune public masculin, qui représente une part de marché très importante. Plutôt que de se mettre dans une position de tradwife, elle vise plutôt les incels (célibataires involontaires) et leur explique, avec des discours pseudoscientifiques, que leur misère affective est due aux femmes et à leur soi-disant hypergamie. »

À cette stratégie, s’ajoute un vrai talent pour capter l’attention avec des positions tellement clivantes qu’elle oblige ses opposants à réagir, et donc à participer à sa médiatisation. « Quand elle fait un tweet dans lequel elle affirme que le viol conjugal n'existe pas vraiment, car il ferait partie du "devoir conjugal" de la femme, elle provoque une avalanche de réactions négatives. Ces réactions, souvent sous forme de retweets indignés, lui apportent encore plus de visibilité. En quelque sorte, elle utilise la colère légitime qu’elle suscite pour augmenter son audience, un peu comme une forme d’aïkido médiatique. Elle a parfaitement compris ce mécanisme. »

Les médias traditionnels comme seule échappatoire ?

Dans ce milieu compétitif et même hostile, comment se présente le futur des influenceuses d’extrême droite ? Il y a d’abord la multiplication des formats et des tentatives de monétiser leur communauté. Thaïs d’Escufon a, par exemple, multiplié les aventures entrepreneuriales avec la vente de séances de coaching téléphoniques payantes et la promotion d’un livre coécrit avec ChatGPT. Mais c’est surtout dans les médias plus ou moins mainstream que ces influenceuses tentent de se placer. Après plusieurs apparitions dans Touche pas à mon poste, on a pu voir Thaïs faire une brève apparition en tant que chroniqueuse dans l’émission Hanouna : On marche sur la tête de Cyril Hanouna sur Europe 1. L’expérience a tourné court, et notre égérie des incels a été licenciée après la publication d’un article très documenté sur elle paru dans L’Obs. Cela n’empêche pas Cyril Hanouna de continuer de tourner autour de ces figures d’extrême droite. Ce dernier avait notamment invité Alice Cordier dans son émission de radio après une tentative de happening au sein d’une manifestation organisée par La France Insoumise. De quoi lui donner une stature suffisante pour la voir ensuite dans le mensuel L’Incorrect, dans un débat face à Marlène Schiappa. Les débuts d’une prochaine aventure médiatique ?

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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