L’interview du président russe par Tucker Carlson a donné le coup d’envoi à la nouvelle stratégie du réseau social : celle de devenir un média vidéo qui pèse au niveau politique.
Le ton était décontracté. D’un côté, Tucker Carlson, ex-animateur star de Fox News qui buvait les paroles de son interlocuteur. De l’autre, Vladimir Poutine qui donnait pour la première fois depuis l’invasion de l’Ukraine, une interview à un « journaliste » occidental. Pendant deux heures, le président russe a pu dérouler tranquillement sa rhétorique, se payant le luxe de faire un cours d’histoire de 20 minutes permettant « d’expliquer » son invasion armée. Le message était limpide : « Arrêtez de donner des armes à l’Ukraine et ce conflit qui ne serait qu’une affaire interne à la Russie, s’arrêtera rapidement ».
Vendue par Carlson comme « l’interview que les médias occidentaux (et de gauche) n’avaient jamais osé faire » (une assertion fausse, de nombreux médias ont demandé des interviews à Poutine avant lui), cette vidéo de deux heures a été diffusée en exclusivité sur le réseau X où elle a fait plus de 125 millions d’impressions. Nous n’avons pas les chiffres exacts du nombre de vues (le nombre de fois qu’une vidéo est regardée plus de trente secondes) car cette donnée n’est plus publique sur la plateforme. Quoi qu’il en soit, ce chiffre est présenté comme une réussite totale pour le réseau social qui amorce un nouveau tournant médiatique.
Quand X recrute les parias de la télé
Depuis la nomination de Linda Yaccarino au poste de CEO, X a entamé une véritable mue en embauchant à tour de bras des créateurs de contenu vidéo. Il faut dire que Linda Yaccarino est une femme de télévision qui connaît les codes de l'entertainment, et la manière de séduire les annonceurs. Avant de travailler pour Elon Musk, elle est passée par la case Turner Entertainment et NBC Universal où elle a occupé des postes de direction de la publicité et des partenariats. Aux créateurs de contenu nouvellement recrutés, elle propose donc de l'audience et du cash : une prime de bienvenue et une part de 45 % des revenus publicitaires, soit un tarif équivalant à ce que peut offrir YouTube. Côté ligne éditoriale, il s'agit surtout d’attirer des déçus du système, quelles que soient leurs opinions politiques, mais qui penchent le plus souvent du côté des extrêmes, et plutôt à droite.
Nous trouverons donc sur X, Tucker Carlson, qui est très apprécié des conspirationnistes pro-Trump et des suprémacistes blancs et qui y a vu une occasion de rebondir après son éviction de Fox News ; éviction justifiée après qu'il a soutenu de fausses preuves concernant l'hypothétique trucage de l’élection présidentielle américaine. Mais également Don Lemon, ancien présentateur charismatique de CNN qui penche plutôt du côté démocrate, mais qui a été viré pour des propos sexistes sur les femmes de plus de 40 ans. On compte aussi Tulsi Gabbard, une ex-candidate démocrate à la présidentielle qui avait été soutenue par le néonazi Richard B. Spencer après des positions très anti-Israël et pro russe. Enfin, Jim Rome, un présentateur sportif lui aussi épinglé pour des propos sexistes. Et pour finir cette galerie d'animateurs, n’oublions pas la papesse de tous les médias, Paris Hilton, qui évolue depuis longtemps dans le milieu de la crypto et qui a toujours été très présente sur X. Elle va désormais y présenter une émission de Live Shopping.
À la différence des plateformes vidéos qui capitalisent sur des influenceurs jeunes qui gagnent en popularité, en embarquant des vétérans du système médiatique, X joue clairement dans une autre ligue. Pour le New York Times, il s’agit d’une stratégie pour faire revenir les annonceurs échaudés par les propos antisémites et conspirationnistes de Musk en novembre 2023. Si ce dernier tente de se faire pardonner en allant visiter le camp de concentration d’Auschwitz en janvier 2024, il a clairement établi une ligne éditoriale de droite dure anti-woke sur X. De quoi préparer le terrain pour la présidentielle de 2024.
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