
C'est l'anti quiet luxury. On fait des économies, et on ne s'en cache pas.
La pratique plaît à toutes les personnes qui refusent de se faire avoir au moment de partager l'addition et n'en peuvent plus de faire des pieds et des mains pour dissimiler grossièrement leurs envies d'économies. Dans un contexte somme toute morose, de stagnation des salaires et d'inflation galopante, le loud budgeting s'impose comme l'antithèse du très élégant quiet luxury, qui intimait l'ordre d'être riche, mais discrètement.
« Désolé, je ne peux pas sortir dîner, j’ai 7 $ par jour pour vivre »
Derrière ce néologisme de loud budgeting, le jeune américain Lukas Battle. Fin 2023, il promet sur TikTok le loud budgeting à un brillant avenir. Aujourd'hui, il regarde avec un certain sarcasme l'empressement avec lequel des médias comme Business Insider et The Wall Street Journal ont voulu profiter de ses lumières pour décortiquer le terme. « Je n'ai pas dit que j'avais juste ajouté un adjectif devant un concept général », ironise-t-il, avant de remarquer, goguenard, qu'il pourrait tout à fait se reconvertir en économiste et prendre la place de Janet Yellen, secrétaire du Trésor des États-Unis. Mais peu importe l'intention de départ, les internautes ont adopté la notion.
Plus question de claquer toute sa thune façon doomspending, ou d’idolâtrer le luxe tranquille de maisons couvertes de lierre et de colliers de perle qui fleurent bon la vieille fortune (old money) transmise de génération en génération. L'expression loud budgeting pourrait se traduire par « tenir un budget, et ce, sans aucune discrétion » : le terme loud (bruyant) implique d'évoquer régulièrement le sujet, sans tabou, sans ambiguïté, ni gêne ni inconfort. Il est donc question de faire des économies et d'embrasser en toute transparence ce mode survie. « Je pense qu’être honnête et réaliste à propos de l’argent devrait être considéré comme élégant et cool », précise Lukas Battle à Buzzfeed. À ce titre, le jeune homme ne se contente pas de décliner poliment les invitations à dîner : « Je ne peux pas me permettre de sortir dîner ce soir. » Il préférera une mise au point plus lapidaire : « Désolé, je ne peux pas sortir dîner, j’ai 7 $ par jour pour vivre. »
Les joies du loud budgeting
Les adeptes du loud budgeting se sentiront certainement des affinités avec le recessioncore, l'esthétique de la crise économique qui fait l'éloge de la frugalité. Sur TikTok, le #loudbudgeting compte déjà plusieurs millions de vues. Souvent accompagné des #financialgoal (objectif financier) et du #payingdebtoff (rembourser ses crédits), le défi no buy va dans le même sens. Munies de stylos et de carnets, on découvre de nombreuses jeunes femmes aux cheveux relevés se soucient d'assainir leurs finances. Parmi elles, Allison. L'Américaine entend se débarrasser de ses différentes dettes (carte de crédit, achat de voiture et prêt étudiant) en suivant rigoureusement un plan de réduction de ses dépenses qu'elle exposera chaque semaine en ligne, histoire d'éviter de succomber à la tentation.
Car ce qui différencie le loud budgeting des autres pratiques en matière d’épargne financière, c’est qu’elle induit un engagement public doublé de la présentation d'un objectif clair et précis : remplir à ras bord son livret A, financer les études de sa fille, acheter le projecteur qui donne l'impression d'être immergé dans l'univers de Miyazaki depuis le fond de son lit. En bonus : le loud budgeting distillerait « un sentiment de camaraderie » vis-à-vis des décisions financières », explique Brian Ford, conseiller financier chez Northwestern Mutual, dans Life Hacker. Il s'agit de se libérer de la financial peer pressure (la pression financière du groupe), qui incite à reprendre un cocktail à 18 balles alors qu'on est dans le rouge, ou à partir en week-end en Bretagne alors que l'on aimerait économiser pour acheter un appart. « Le loud budgeting procure le même sentiment que lorsqu'on introduit en cachette des bonbons dans une salle de cinéma. Tu as l'impression d'avoir réussi quelque chose », se délecte Lukas Battle.
Participer à la conversation