
Très loin des grandes rédactions, on voit à l’occasion du procès de Sam Bankman-Fried, ex-patron de FTX accusé d’escroquerie, des influenceurs cryptos passer en mode « édition spéciale ».
On pourrait comparer les adeptes des cryptos aux méchants des films d’action. Ils ne meurent jamais tout à fait. Après la chute vertigineuse des prix des NFT et du cours des crypto-actifs, les scandales en pagaille et les critiques acerbes, on pourrait s’attendre à ne plus trop entendre parler les cryptobros sur les réseaux. C’était sans compter sur une nouvelle flambée du cours de Bitcoin ces derniers jours. « We’re so back » (On est clairement de retour), se sont empressés de clamer les fervents défenseurs des actifs numériques. Mais ce n’est pas seulement le retour en grâce de Bitcoin qui leur permet de retrouver leur aura.
Depuis trois semaines, de nombreux influenceurs cryptos sont passés en mode « édition spéciale » pour couvrir en longueur le procès de Sam Bankman Fried, patron déchu de FTX. Sur les spaces X (chatrooms vocales), dans de longues vidéos YouTube, en mèmes, en threads ou sur des forums Discord, ils analysent chaque journée du procès, les témoins clés, les anecdotes... Pour rappel, le patron de la plateforme de trading FTX est poursuivi pour 7 chefs d’accusation, dont celui d'avoir menti aux investisseurs, et détourné l’argent de ses clients pour son enrichissement personnel. Il risque jusqu’à 110 ans de prison.
Mélange des genres
Certains acteurs craignent que ce procès soit, aux yeux du grand public, celui de l’industrie tout entière, et sont déjà las de son traitement médiatique, rapporte Wired. Pour d’autres, c’est l’occasion de montrer qu’ils se distinguent de cette escroquerie massive et qu'après cette période de spéculation et d'arnaques, l'industrie va retrouver sa raison. « Le discours dominant consiste à décrire FTX comme le vilain petit canard. Ce n’est pas la faille d’un système mais d’un individu, ou d’un groupe d'individus, qui est à l'œuvre, observe Nastasia Hadjadji, journaliste et autrice de No Crypto. L’autre pan de ce discours met en accusation le rouage de la plateforme centralisée qu’incarne FTX. Ce qui est très présent également c’est la croyance dans la fonction autorégulatrice du marché. Le marché a pu, à la faveur d’une crise majeure qui impacte des millions de personnes, identifier ces mauvais acteurs et désormais l’industrie va pouvoir repartir sur des bases plus saines.»
Décrypter ce procès est aussi un moyen pour la communauté de capter une nouvelle audience. Carly Reilly, qui tient la chaîne OverPriced JPG, traite plutôt des sujets liés aux NFTs et au métavers, mais elle se passionne désormais pour le suivi judiciaire de l'affaire FTX. Elle y consacre la quasi-totalité de ses vidéos depuis début octobre. Ses récaps quotidiens collectent parfois plus de 30 000 vues, contre moins de 1 000 pour les vidéos classiques de sa chaîne.
David Yaffe-Bellany, reporter pour le NY Times, raconte le mélange étrange entre cette faune de cryptofans qui oublie parfois de se conformer aux règles d’une salle d’audience – type retirer sa casquette ou laisser sa montre connectée à l’entrée – et celle moins bigarrée et plus habituelle des journalistes judiciaires, des juristes et des spécialistes des fraudes financières. Chaque jour, des influenceurs font la queue pendant plusieurs heures pour obtenir une place à ce procès du « siècle » pour l’industrie, explique-t-il.
Apologie du Bitcoin et « journalisme citoyen »
Certains ont même fait de cet évènement un business model. Pour 5,52 euros, le compte X baptisé “Autism Capital” propose par exemple un suivi au jour le jour du procès. « Chaque témoin, par ordre chronologique, est entièrement résumé, y compris les interrogatoires directs, les contre-interrogatoires, etc. Si vous souhaitez bénéficier d’un essai détaillé, pensez à vous abonner », précise le compte dans une publication.
En dehors de ces infos « fraîches » en direct du tribunal, "Autism Capital" qui se définit comme faisant du « journalisme citoyen » partage des mèmes, se moquant notamment du physique de SBF et Caroline Ellison, ex PDG d'Alameda Research (le fonds associés à FTX) et ex compagne de SBF, et se félicite de la montée en flèche du prix du Bitcoin.
Sur YouTube et X, la cryptoinfluenceuse Tiffany Fung fait elle aussi des comptes rendus précis des journées d’audience, sans oublier de mettre en avant les moments croustillants – le jour où SBF a changé sa coupe de cheveux, celui où l’on a appris que FTX avait usurpé l'identité de prostituées thaïlandaises... Ce procès est clairement la meilleure série Netflix de la communauté crypto et Tiffany comme d’autres parviennent à en suivre les innombrables rebondissements. Cette créatrice de contenu suit l’affaire FTX depuis plusieurs mois. Elle s’est fait connaître le 16 novembre 2022, après avoir obtenu une interview exclusive avec Sam Bankman Fried quelques jours après la chute de son entreprise, reprise par de multiples organes de presse dont Reuters, CNBC et le New York Times. Celui-ci l’a contactée après avoir visionné une vidéo YouTube dans laquelle la jeune femme se plaignait de s’être fait extorquer par Celsius, une cryptobanque qui a fait faillite en juillet 2022.
Le crypto drama
L’omniprésence de la communauté crypto pour couvrir cette affaire se fait parfois au détriment de la véracité des informations, pointait en janvier dernier le Washington Post. Si Tiffany Fung manipule avec précaution les documents qu’elle obtient, certains comptes, comme "Autism Capital" cité plus haut, partage parfois des informations fausses ou non vérifiées, tout en se revendiquant du « journalisme citoyen ». Pour le Washington Post, ces influenceurs reprennent surtout les codes des chaînes YouTube « drama », parfois appelés « tea pages », qui traitent et commentent les actus people, mais ici en version business.
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