Poupées hétéros

Étude : les Français et le porno, une relation qui fatigue

À l'heure de la restriction des conditions d'accès aux sites X, quels rapports entretenons-nous avec la pornographie ? Décryptage avec l'Ifop.

À la suite de la mise à l'index par l’ARCOM, les principaux sites pornographiques, censés être inaccessibles aux mineurs depuis juillet 2020, se verront peut-être prochainement bloqués par la justice française. L'occasion de faire le point sur la consommation de porno en France et sur la façon dont cette consommation impacte la sexualité.

Les jeunes et le porno : une consommation massive

Sans grande surprise, 74 % des consommateurs âgés de 18 à 24 ans sont des hommes, qui se connectent à Pornhub et consorts de plus en plus jeunes. Aujourd'hui, plus d’un jeune garçon sur trois (35 %) a déjà passé du temps sur un site X avant l’âge de 12 ans, soit trois fois plus qu’il y a dix ans. Si l’âge moyen du premier porno reste stable chez les jeunes femmes de moins de 25 ans (c'est-à-dire vers 16 ans), il a diminué en 10 ans chez les jeunes hommes âgés de 18 à 24 ans, passant de 15 ans et demi en 2013 à 14 ans et demi en 2023.

Comment le porno imprègne les imaginaires

« Pour des jeunes n’ayant pas toujours l’appareil critique pour prendre la distance nécessaire à l’égard des représentations sexuelles et corporelles véhiculées par ces vidéos X, leur vision peut devenir inhibitrice et prescriptive dans leur rapport au corps (ex : pénis, vulve, épilation) et à la sexualité (ex : pression à la performance) », souligne l'étude. En effet, plus d’un jeune sur deux âgés de 18-24 ans (53 %) reconnaît que les vidéos pornographiques ont participé à l’apprentissage de sa sexualité, nettement plus que chez les générations précédentes (35 %).

Notons que l'intégration de pratiques issues de l’univers du X dans le répertoire sexuel est plus forte chez les hommes : un adulte sur deux (50 %) et jusqu’aux deux tiers des jeunes garçons de moins de 25 ans (67 %) déclarent avoir déjà reproduit des scènes ou positions vues dans ces vidéos. En outre, la consommation de porno affecte l'image de soi et la perception des corps : 51 % des jeunes (soit + 17 points depuis 2013) sont complexés par la taille de leur pénis, et trois amateurs de porno sur dix (29 %, contre seulement 19 % des amatrices) admettent avoir déjà douté de leur capacité à faire jouir leurs partenaires. Chez les jeunes femmes, plus d’une sur trois admet avoir déjà été complexée par la taille de ses seins (39 %) ou la forme de leur vulve (39 %) en regardant un film X. Elles sont aussi deux fois plus nombreuses (54 %) que les jeunes garçons (23 %) à avoir déjà été complexées par leur pilosité après un porno.

Une consommation de porno vidéo qui s’essouffle

Si la consommation de vidéos pornographiques débute de plus en plus tôt, elle serait en train de légèrement décroître pour l'ensemble de la population. « Le "tassement" de la fréquentation des sites pornographiques classiques tient sans doute au succès de certaines alternatives tels que les sites de webcam (17 %) ou de sex shows payants à la OnlyFans (13%) », rapporte l'étude. Chez les jeunes hommes de moins de 35 ans, la proportion de personnes ayant regardé un sex show en live sur un site de webcam a doublé entre 2018 (21 %) et 2023 (38 %). Il faut aussi compter avec les podcasts érotiques, de plus en plus populaires, notamment chez les femmes se considérant féministes. Même histoire avec les livres érotiques, qui remportent autant de succès chez les hommes que chez les femmes.

L'influence de la pornographie sur la sexualité

D'après l'étude, la reproduction de gestes issus du porno reste massive chez les jeunes hommes mais tend à s’estomper chez les jeunes femmes. En effet, 45% des jeunes filles de 18 à 24 ont déjà tenté de reproduire des positions ou scènes vues dans des films pornographiques, une proportion en baisse depuis une dizaine d’années. L'étude souligne aussi que les hommes les plus enclins à reproduire des pratiques dites hard sont plus nombreux dans les catégories de la population généralement moins sensibles aux questions de genre telles que les ouvriers (60 %), les habitants des banlieues populaires (57 %), les musulmans (69 %) et les hommes rejetant l’étiquette « féministes » (50 %).

« Malgré la révolution féministe actuelle et l’essor des discours de type "body positif", le visionnage de films X laisse bien, chez les jeunes, des traces dans les corps comme dans les esprits… Car son impact sur la sexualité des Français ne se limite pas qu’à un visionnage passif d’images pornographiques. Notre enquête confirme le rôle des films X dans la construction de leur imaginaire sexuel, notamment chez des jeunes pour qui ils constituent une source d’apprentissage des pratiques et techniques sexuelles. Et si nombre de jeunes intègrent même les codes et scénographies de la pornographie dans leur répertoire sexuel, ils sont aussi nombreux à être perméables aux représentations du corps véhiculées par ces vidéos. En effet, l’impact de la culture porn transparaît aussi dans sa capacité à imposer ses représentations du corps et des organes sexuels telles que les formes de vulves "parfaites" et épilées totalement, indissociables d’un univers pornographique qui les ont popularisées ces dernières années. En cela, la restriction de l’accès au porn aux mineurs ne doit pas être perçue comme l’expression d’une "panique morale" des parents mais bien comme un moyen de réduire l’influence d’une culture porn génératrice d'anxiété, de complexes corporels ou de scripts sexuels sexistes », souligne François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle à l’Ifop.

Les effets d'une restriction aux sites pornographiques

Le gouvernement a annoncé la mise en place prochaine (septembre 2023) d’un dispositif permettant de restreindre l’accès des mineurs aux contenus pornographiques avec l'adoption d'un système d’identification. Une mesure plutôt bien accueillie par les Français : 74 % d'entre eux y sont favorables, dont les amateurs réguliers de ces plateformes. En effet, près des deux tiers (63 %) personnes consultant actuellement (3 derniers mois) des sites pornographiques soutiennent la mesure. Seul un utilisateur sur six envisage sérieusement de souscrire à un certificat de majorité pour consulter des sites pour adulte, une proportion qui monte à 44 % exactement chez les plus gros consommateurs de porno, les personnes consultant quotidiennement ou presque ces sites. Pour contourner le système, 30 % des utilisateurs envisageraient sérieusement de recourir à des alternatives, comme la recherche de sites non bloqués (21 %) ou le recours à des VPN (11 %) ou DNS (9 %).

« Alors qu’il aura fallu attendre quinze ans après l’apparition des premiers sites pornographiques en France (2008) pour que les pouvoirs publics s’attellent sérieusement à en interdire l’accès aux mineurs, force est de constater que ni les Français, ni les amateurs de ce type de contenu ne semblent vent debout contre une potentielle atteinte à la "liberté du Net". Au contraire, le dispositif de filtre – dit du double anonymat – envisagé par les autorités rencontre un assentiment massif de la population adulte, y compris chez ceux qui consultent régulièrement ces plateformes. Et dans l’hypothèse où elle serait réellement appliquée, une telle restriction d’accès au porn aurait un impact certain sur les comportements des amateurs de pornographie en ligne. On pourrait même parler de "petite révolution" au regard du nombre d’amateurs qui envisagent sérieusement soit de cesser de consulter les sites en question (un sur quatre), soit de contourner le système (un sur trois), soit de se plier aux nouvelles règles afin de continuer à visionner leurs contenus légalement (un sur six). Quant aux autres, sceptiques ou attentistes, ils trouveront peut-être une alternative dans d’autres médias à caractère pornographique de plus en plus en vogue comme les sites de webcam ou les podcasts érotiques », résume François Kraus, directeur du pôle Genre, sexualités et santé sexuelle à l’Ifop.

*Méthodologie : étude Ifop pour 01.net réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 13 au 17 avril 2023 auprès d’un échantillon de 2 006 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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commentaires

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  1. Avatar ouaibman dit :

    le problème est le décalage de l'Education Nationale avec la réalité des us et coutumes en 2023 des jeunes et des adultes qui connaissent les outils et les sites spécialisés dont on n'évoque jamais le danger dans les écoles, collèges et lycées
    Voilà un constat subit souvent par les parents qui n'ont jamais été formés sur ces moments de nos vies + intimes si importants et si peu pris au sérieux par un système éducatif archaïque et trop coincé ...

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