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Jeux ou altercations ? Les attaques d'orques intriguent les scientifiques

© Sauvez Willy

Depuis 2020, les interactions entre orques et voiliers sont en recrudescence. Des comportements étudiés de près par les spécialistes.

Depuis début 2023, le Groupe de Travail sur les Orques de l'Atlantique (GTOA) a recensé 53 interactions dans la zone du détroit de Gibraltar : 12 rencontres ont endommagé des bateaux, 31 n'étaient que de simples rapprochements. Si la fréquence des attaques est en augmentation depuis 2020 (plus de 500 assauts), les scientifiques ne savent pas expliquer ce qui motive ces comportements. En ligne, les tweets vont bon train, prêtant notamment des intentions vengeresses aux cétacés.

Des bateaux attaqués par des orques

2020. Sentant quelque chose tirer sur le gouvernail de son yacht, Justin Crowther croit à une défaillance du pilote automatique. Alors que le marin britannique s'apprête à débrancher le système, un membre de son équipage se met à crier : « Orcas ! » Une fois le bateau remorqué par les équipes de sauvetage, qu'il a pu constater les dégâts causés au Beautiful Dreamer. « Ce n'est qu'alors que vous comprenez que vous avez eu beaucoup de chance », a-t-il déclaré à El País. Depuis, les attaques se sont enchaînées. Au large de Brest, Ester Kristine Størkson, une Norvégienne de 27 ans, et son père, voit en 2022 leur voilier se faire éperonner par cinq orques. « Ils frappaient avec régularité, on avait l’impression d’une attaque coordonnée », raconte la jeune femme. En 2023, Sébastien Destremau, skipper du Vendée Globe, est pris pour cible par un groupe de huit orques au large des côtes espagnoles. « On les a vus arriver d’assez loin et on a tout de suite compris que cette fois c’était pour nous. Ils ont attaqué la coque sans relâche pendant 55 minutes », rapporte le site du marin Face Ocean.

Des attaques ciblées

Alberto López, biologiste marin et porte-parole du GTOA, explique dans El País qu'initialement seuls trois spécimens étaient particulièrement actifs. Depuis, le groupe s’est agrandi. Il est désormais constitué d'une quinzaine d'individus appartenant à au moins deux familles. Selon le biologiste qui observe le groupe depuis les premières altercations, les animaux s'approchent furtivement du bateau, examinent en détail la coque, puis frappent le safran (une partie du gouvernail située sous l’eau) pour faire tourner le navire. « Ils savent que c'est ainsi que le bateau tourne et qu'ils peuvent le diriger », explique-t-il. Plus la vitesse est élevée, plus la résistance du gouvernail est grande, plus les orques poussent fort. Ils peuvent aller jusqu'à le casser le gouvernail entraînant la dérive du bateau voir son naufrage comme cela s'est produit à trois reprises.

Mesures préventives ou jeu ?

Interrogé sur ce qui pousse ce groupe à adopter un comportement aussi inhabituel, Alberto López avance une hypothèse. Celle d'un comportement développé par l'orque adulte à la suite d'un évènement traumatique qui aurait ensuite été transmis au reste du groupe. D'après le biologiste, la mauvaise expérience aurait pu impliquer des filets de pêche à l'arrière d'un voilier dans lesquels l'animal ou l'un de ses petits seraient restés accrochés. Selon cette hypothèse, les altercations avec les voiliers pourraient s'inscrire dans une démarche préventive.

Pierre Robert de Latour, président fondateur d'Orques Sans Frontières, évoque quant à lui la piste d'un jeu. Selon lui, la cible serait le bateau et non ses passagers. Celui qui plonge régulièrement avec les cétacés n'y voit aucun signe de prédation et rappelle que les orques ne s'en sont jamais pris aux êtres humains en milieu naturel. Une hypothèse partagée par Christophe Guinet, directeur de recherches au CNRS, auteur d’une thèse sur les animaux : « Seule cette population a ce type de comportement, qui a démarré probablement par un individu un peu téméraire il y a des années, avant que ses congénères ne l’imitent peu à peu, et qu’il ne s’installe comme une habitude », indiquait-il dans le journal Le Parisien. Alors, jeu ou attaque délibérée ? « S’ils voulaient percer la coque, ils le feraient sans mal avec leur rostre (le museau des cétacés). Or, ils ne s’attaquent qu’au safran ! », répond le chercheur.

Les scientifiques appellent à la vigilance

D'autres groupes sont-ils concernés ? Selon Renaud de Stephanis, coordinateur de l'organisme Conservation, information et étude sur les cétacés (CIRCE), ce n'est pas le cas. « Le comportement, pour l'instant, n'a pas été transmis aux autres familles de la péninsule ibérique (environ 45 spécimens) avec lesquelles ils ont des liens plus faibles. C'est comme dire, j'enseigne la culture à mes enfants mais pas aux autres », indique le chercheur. Toutefois, compte tenu du réchauffement climatique, les scientifiques appellent à la vigilance, et pas uniquement en Méditerrané. « La mer se réchauffe, les thons remontent plus au nord, et les orques [le groupe concerné par les interactions] suivent », indique Christophe Guinet.

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier l'environnement et les tendances conso.

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