Pancarte pendant une manifestation anti 5g

Pourquoi la 5G n'est pas une controverse technologique comme une autre

© Drazen Zigic via Getty Images

Les préoccupations autour de la cinquième génération de technologie mobile interviennent dans un contexte inédit et montrent que le numérique est devenu un sujet de débat politique.

Antennes qui brûlent, manifestations, demandes de moratoire, multiples débats médiatiques, prises de position politiques et leurs lots de petites phrases (du porno dans les ascenseurs aux Amish)… La 5G, dont les enchères pour l’attribution des fréquences se sont achevées jeudi 1er octobre, électrise le débat public depuis plusieurs semaines. Cette polémique n’est-elle qu’une controverse technologique de plus ? Un rejet inhérent à toute innovation, comme le suggérait Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État au transport, sur France 2, comparant les anti 5G aux Français effrayés par le chemin de fer au XIXème siècle ? Ou doit-elle, par son contexte inédit et les multiples questionnements qu’elle soulève, mobiliser particulièrement notre attention ?

« Il y a déjà eu des controverses de grande envergure lors de l’introduction de certaines innovations – le nucléaire, les OGM… – mais sur le sujet spécifique du numérique, c’est assez inédit d’avoir un débat de cette virulence », observe Kevin Echraghi, instigateur du collectif Hérétique, qui promeut la construction de nouvelles formes de numérique. Il faut dire que chacun peut y trouver son compte. « La 5G est un sujet fourre-tout qui contient plusieurs débats : sur les technologies de surveillance, sur la souveraineté numérique, sur la vie privée, sur l’impact environnemental du numérique…»

Pour Laura Draetta, les polémiques soulevées par la 5G ne sont pas totalement nouvelles. La maître de conférences en sociologie à l’école Télécom Paris voit certaines similitudes avec de précédentes controverses technologiques. Notamment celle entourant les compteurs communicants Linky, qui défrayent encore la chronique. La 5G relance la discussion autour de l’exposition humaine aux ondes électromagnétiques et l’impossibilité de s’y soustraire. Linky était aussi controversé, comme la 5G, pour ses implications environnementales : on lui a reproché de remplacer de millions de compteurs encore en état de fonctionnement en les transformant en autant de déchets électroniques, alors que la 5G préoccupe pour ses futures consommations énergétiques liées à la production des équipements et à leur utilisation.

Mais la controverse Linky, surtout portée par des associations environnementales et anti-ondes, n'agite pas autant la sphère politique que les polémiques autour de la cinquième génération de mobile.

La 5G, point de départ d'un nouveau récit politique

Depuis la rentrée, la 5G s’est imposée comme une nouvelle ligne directrice politique. Dans son numéro du 29 septembre, Libération en faisait son point de départ pour réinterroger le rapport de la gauche au progrès. Médiapart y voit le sujet qui permet aux socialistes et aux écologistes d’écrire un nouveau récit politique. « La 5G est un exemple extraordinaire pour interroger la définition du progrès et la décorréler des nouveautés technologiques. C’est même la porte d’entrée pour un nouveau récit politique ! », s’enthousiasme notamment l’eurodéputé David Cormand, interrogé par le média.

Pourquoi un tel emballement ? Une question de contexte sans doute. La crise environnementale planétaire, le contexte géopolitique explosif, les crises sanitaires, la méfiance vis-à-vis des géants d’Internet, la surveillance des citoyens accrue et le complotisme ambiant favorisent l'émergence de résistances à la technologie, explique dans un rapport sur la controverse 5G le designer et chercheur Gauthier Roussilhe.

Une histoire d'idéologies

Pour Kevin Echraghi, le débat prend de l’ampleur car le sujet est idéologique. « Les arguments avancés pour développer la 5G, comme l’accroissement du nombre de données et le développement des voitures autonomes, incarnent un numérique excessif, en voulant conquérir tous les territoires et tous les usages ; intensif, en offrant un niveau de performance maximal pour tous les usages ; invasif, en cherchant à monopoliser le maximum de temps possible ; et obsolescent, en obligeant à changer de téléphone en permanence. Les motivations mises en avant pour développer la 5G ne convainquent pas car elles témoignent de cette idéologie, responsable d’impacts sociaux et environnementaux néfastes. »

Un projet de société mené comme un projet industriel

Si la 5G fait autant controverse, c’est aussi qu’elle a été lancée sans consultation citoyenne. « La 5G - comme Linky, StopCovid, ou encore Alicem - est un projet technologique impulsé par l’État qui vise un déploiement généralisé auprès du grand public. Dans ces conditions, le projet change de statut, de projet industriel devient projet de société. Les avis des experts techno-scientifiques ne suffisent pas pour une évaluation en prévision du déploiement. Une consultation citoyenne en amont me paraît nécessaire, comme cela a été demandé aussi bien par les milieux associatifs que par différents acteurs institutionnels. » Cette absence de consultation mène tout naturellement vers la controverse, qui « devrait être appréhendée comme un mode d’évaluation publique informelle » explique la sociologue. « Les doutes et préoccupations soulevés par les citoyens lors d’une controverse n’ont pas la prétention de s’assimiler à des démarches scientifiques mais devraient tout de même avoir place dans le questionnement de l’acteur public car ils participent à la construction des savoirs. »

Pour l’heure, le gouvernement ne semble pas décidé à les prendre en considération. La proposition de moratoire formulée par les 150 participants à la convention citoyenne n'a pas été retenue par le président. Le mot d’ordre du gouvernement est désormais de faire plus de pédagogie sur les avantages de la technologie pour tenter de la faire accepter par les citoyens.

« L’argument du déficit de connaissance, qui consiste à attribuer la défiance ou l’opposition des citoyens à un manque d’information est assez régulièrement utilisé en communication - politique, industrielle, et même scientifique. Or dans les coulisses de l’opposition, il y a toute une activité de recherche et de production d’information que l’on ne perçoit pas forcement », pointe Laura Draetta.

De la tech à la prochaine présidentielle ?

Pas de grand débat national prévu donc, mais à l’échelle locale, des consultations citoyennes s’organisent comme à Paris.

« Le débat autour de la 5G aura au moins servi à nous rendre compte collectivement que la technologie est un sujet qui se discute, que ce n’est pas une force autonome, conclut Kevin Echraghi, optimiste. Si la 5G est malgré tout lancée aujourd’hui sans débat, peut-être que ses usages– les objets connectés par exemple – seront eux de nouveau débattus et refusés par certains citoyens. Il est probable qu’à la prochaine élection présidentielle, on parle de technologie, ce qui n’était pas du tout le cas en 2017. Rien que ça, c’est une avancée assez conséquente.»

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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