
Après le confinement, il va falloir apprendre à vivre masqués et surtout sans se toucher. Comment appréhender ce nouveau monde sans contact ? Réponses avec Claudia Ucros, psychologue.
Depuis le déconfinement, nous retrouvons peu à peu notre liberté de mouvement mais nous devons apprendre à vivre dans un monde sans contact physique. Quelle est l’importance du toucher dans notre vie quotidienne et notre santé ?
Claudia Ucros : L’importance du contact physique commence très tôt dans la vie, dès la naissance. Lorsque le nourrisson arrive, il a besoin de sentir un contact de peau à peau. Le sens du toucher permet de sentir qu'on est accueilli et qu'on a une place dans le monde. Être touché, pas seulement de manière fonctionnelle mais avec un contact chaleureux et attentionné, permet de construire un sentiment de sécurité chez le bébé. Ce sens du toucher se développe ensuite chez l’enfant sous la forme d’un attachement physique à ses parents. Le fait de savoir qu’on peut aller et retourner vers l'autre est extrêmement important. Ça détermine notre appréhension de l’espace physique et permet d’avoir une exploration de l’espace tournée vers l'expansion et non dans le retrait. Le toucher est donc déterminant pour le développement humain car les contacts, qu'ils soient directs ou avec une distance, sont régulateurs de nos émotions.
En anglais, on parle d’un phénomène de « skin hunger » ou de « touch starvation ». Peut-on être en état de « famine corporelle » ? Quels peuvent-être les effets sur notre santé mentale ?
C. U. : On peut effectivement être en état de « famine corporelle ». Ne plus se toucher est une forme de privation sensorielle qui peut donc engendrer un manque. Au-delà du toucher purement physique, il y a aussi ce qu’on pourrait appeler un « toucher affectif », c’est-à-dire le fait de pouvoir être près de l’autre, ou de sentir qu'on peut aller vers l'autre sans se poser la question de la distance. Dans le monde d’aujourd’hui, nous sommes coupés de cette forme de sensorialité avec l'autre. Et ça peut créer des troubles. On peut par exemple penser aux troubles de la perception de soi. Le confinement et la distanciation physique nous privent de l’autre et donc du miroir actif et dynamique qu’il nous apporte.
Nous devons vivre dans une société qui ne se touche plus et dans laquelle l’autre devient une agression par sa simple présence. Quels sont les risques ?
C. U. : L’éloignement physique nous protège mais c’est aussi un principe pernicieux car il active nos schémas de peur, d’évitement et réduit la richesse et le champ de notre interaction non verbale. Or, pour faire face aux changements, à l’insécurité, nous avons justement besoin de ce système d’engagement relationnel et social pour créer un champ de sécurité et de résilience qui provient du sentiment d’être ensemble. L’absence de contact peut être problématique pour notre immunité psychique, c’est-à-dire le filtre qui me permet de dire ce qui est bon ou non pour moi. Ça brouille notre capacité à accueillir le contact quand il est bon et le mettre à distance quand il n'est pas bon.
Des gestes comme la bise ou la poignée de main ont un rôle social et culturel, peut-on faire sans ? Faut-il inventer de nouveaux gestes, de nouveaux rituels sans contact ?
C. U. : C’est effectivement important d’utiliser des gestes, avec ou sans contact, pour se dire bonjour. On dit d’ailleurs que 80% de notre communication est non verbale. C’est une façon de montrer qu’on ne met pas l’autre à distance. Désormais, il n’est plus question de se faire la bise ou de se serrer la main mais ça me paraît important d’utiliser d’autres gestes qui n’impliquent pas de contact physique. On peut sourire – même sous son masque –, pencher la tête ou accompagner sa parole d’un geste sans toucher. C’est d’ailleurs ce qui se fait dans les cultures asiatiques.
Et lorsque l’on communique par écrans interposés ?
C. U. : Pour les communications en visio, les gestes permettent de compenser les expressions faciales qui sont moins visibles. Ce sont des gestes qui amènent à l’autre et qui expriment aussi un message et une part de notre affect. Au début d’une réunion d'équipe à distance, ce n’est pas superflu de prendre le temps de sentir physiquement qu’on est ensemble, en se saluant, en exprimant quelque chose de son climat émotionnel. C’est même important car ça va transformer la manière de se sentir ensemble et ça permet d’accéder à un contact affectif. Ça ne va pas complètement remplacer un contact ou une proximité physique mais c'est quand même une forme de contact.
On a beaucoup parlé de « distanciation sociale » pour évoquer l’éloignement physique, ce terme pose-t-il problème ?
C. U. : Le terme « distance sociale » fait référence à une distance codifiée propre à chaque culture. C’est en fait la distance habituelle entre des personnes qui ne se connaissent pas. Quelque part, la « distanciation sociale » implique la distanciation émotionnelle. Après le confinement physique, nous allons devoir faire face au confinement psychique, c’est-à-dire le fait de ne pas s'autoriser à être dans une relation affective parce qu'il y a le danger de la contamination. C’est d’autant plus délicat que la peur engendre un besoin de contact humain – pas forcément physique. On a donc affaire à des injonctions qui vont à l'encontre de notre régulation affective naturelle.
Pour faire face à ce confinement psychique, vous parlez de « présence sociale ». De quoi s’agit-il ? Et comment la mettre en place ?
C. U. : Je parle de « présence sociale » parce qu’il me semble important de réfléchir à la façon dont nous pouvons être conscients que derrière les masques et la distance que nous mettons, il y a toujours un être humain qui est là. Même si ça passe par des objets comme les masques qui font désormais partie de notre quotidien. Au-delà de la tendance et de la mode, c’est intéressant de se les approprier et, un simple dessin de cœur ou de sourire permet de signifier à l’autre qu’on ne le met pas à distance.
Claudia Ucros est psychologue, formée à l'analyse bioénergétique et spécialiste de psychotraumatologie. Après 10 années au sein de la police fédérale belge, elle a développé un approche du traitement des traumatismes par l'écoute et le travail avec le corps.
Merci pour cet article très éclairant.
Laurie Alet - Sophrologue