
Retour en grâce du microbiome, multiplication des références au spirituel et au mysticisme, introduction des nouvelles technologies comme la reconnaissance faciale : le secteur de la beauté est plus que jamais en mouvement.
De l’art de l’autoportrait à la culture du selfie, cela fait des années que l’on nous fait croire que la beauté se voit et se regarde. Pourtant, l’observation des signaux faibles de ces derniers mois montre que, désormais, la beauté se dessine par-delà le visible. Les propriétés régénératrices des bactéries sont redécouvertes, la lithothérapie qui vante les propriétés énergétiques des pierres précieuses explose sur Instagram, et les marques de niche qui parient sur des valeurs comme le « clean », la transparence et le respect des ressources naturelles se multiplient.
En parallèle, c’est toute une industrie qui tente de redéfinir ses standards. Exit la beauté à l’occidentale, figée et ultra-normée. Place à l’expression de beauté diverses, plurielles et décomplexées. Enfin, l’impact environnemental du secteur est de plus en plus scruté, du sourcing des matières premières à la production, en passant par le design des emballages.
Les 3 scenarii qui suivent ont été imaginés par l'agence FutureBrand. Ils développent les grands enjeux du secteur pour 2020, et les confrontent aux regards de trois expert·es du secteur.
#1 La beauté du futur sera algorithmique et technologique
Nanotechnologies, algorithmie, reconnaissance faciale : l’intégration des nouvelles technologies dans le secteur de la beauté est de plus en plus profonde. Au CES de janvier 2020, le groupe L’Oréal dévoilait ainsi Perso, le premier outil de personnalisation du maquillage et de soins de beauté, doté d’intelligence artificielle. Vous avez dit gadget ? Pas si sûr… Alors que la technologie de reconnaissance faciale soulève de vifs débats dans l’opinion publique française, la technologie pourrait bien s’immiscer jusque dans nos salles de bains. « Les consommatrices ont déjà pris l’habitude de confier leur routine beauté à des applications, comme celle de retouche du visage FaceTune, ou encore FaceApp, une application qui simule le vieillissement des traits. Et ce malgré les scandales autour des fuites de données des utilisateurs et utilisatrices, relève Anne-Charlotte Dancourt, rédactrice en chef du site et de l’app My Little Beauty. Je pense que ce mouvement peut donc s’accentuer, avec en filigrane l’idée que les diagnostics seront de plus en plus précis et personnalisés, comme par exemple pour le traitement de l’acné. »
En parallèle, les marques qui misent tout sur la « scientificité » de leur discours ont le vent en poupe. Gallinée a été la première marque à remettre à l’honneur les bactéries du microbiome humain. Dans la même veine, Algenist conçoit des masques qui, en changeant de texture, filent la métaphore de l’organisme vivant. Atolla mise sur la popularité des tests ADN et sur le regain d’intérêt autour de l’épigénétique, cette science qui montre que notre environnement influence l’expressions de nos gènes, pour proposer des diagnostics de peau sophistiqués. Enfin, la marque Augustinus Bader reprend les enseignements de la biologie cellulaire pour concevoir ses cosmétiques de luxe.
« En matière de beauté, tout change mais rien de change », rappelle Cédric Soulié, co-fondateur de la marque de cosmétique « démocratique » nidé.co. « N’oublions pas que le critère d’achat n°1 reste l’efficacité produit, et ce critère prime encore sur l'aspect "clean" ou naturel. À titre d’exemple, Filorga, la marque phare des produits anti-rides, a été rachetée 1,5 milliard de dollars par le groupe Colgate-Palmolive alors que la molécule de base est 100 % synthétique. »
Le signe que les aspirations à la naturalité et au moindre impact environnemental achoppent dès qu’il s’agit de beauté ? « Le principe actif représente 5 % du produit de beauté. Il reste aux fabricants la marge de manoeuvre pour changer les 95 % de la formule en la rendant plus clean, sans sombrer dans le greenwashing », conclut Alexis Robillard, qui a lancé All Tigers, une ligne de maquillage vegan et naturelle.
#2 La beauté du futur sera centrée sur le suprasensible et le spirituel
Co—Star, l’application qui délivre chaque jour un horoscope personnalisé, rassemble 5,3 millions d’adeptes dans le monde. Sorcières, la puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet se place en tête des ventes d’essais pour la fin de l’année 2019. Sur Instagram, les mèmes d’astrologie explosent les compteurs de likes. Bref, notre société en manque de transcendance vit une crise mystique profonde, qui se traduit par la résurgence de pratiques ancestrales comme l’astrologie ou le tarot divinatoire, et un regain d’intérêt pour les pratiques liées au développement de la spiritualité.
Au diapason des tendances sociétales, le secteur de la beauté vit donc son « new New Age ». La marque Herbivore mise sur de nouvelles gestuelles pour gérer son bien-être émotionnel avec ses rolls en pierres précieuses ou ses huiles à base de cannabis. Plus niche, Själ propose de condenser les propriétés vibratoires et énergétiques des pierre précieuses dans des cosmétiques de luxe. Quant aux marques Flow ou Seasonly, elles misent sur des formulations qui évoluent au gré des cycles naturels, comme celui des saisons.
Qu’est-ce que ces mutations racontent des évolutions des attentes ? « Si l’on observe ces nouvelles marques, on voit que ces aspirations se traduisent surtout à travers le storytelling », note Anne-Charlotte Dancourt. « Lorsqu’on crée les conditions d’une véritable conversation avec les consommatrices, on se rend compte qu’elles proposent des idées de produits pour lesquelles il n’y a pas encore de réponse marché », poursuit quant à lui Cédric Soulié. « L’astrologie fait partie de ces thèmes récurrents. Mais je pense également à un produit comme le « Oh my periods » de Nidé qui propose une réponse spécifique aux femmes en période de syndrôme pré-menstruel. » Se synchroniser avec les cycles physiologiques et s’ouvrir au spirituel…la beauté se récite donc de nouveaux mantras.
#3 La beauté du futur sera universelle et libérée des injonctions
On a beaucoup reproché aux grands groupes d’avoir contribué à diffuser, pendant des années, une image très monolithique de la beauté. Blanche, occidentale, mince. Une beauté excluante, donc, pour une très grande majorité des femmes. Or, les aspirations à la diversification de ces standards sont vraiment un marqueur de l’époque, et les discours de marque autour de l’inclusion pullulent. La plateforme My Beauty Brand se présente comme un antidote aux influenceurs et à leurs discours standardisés. À l’inverse, elle encourage ses visiteurs à miser sur leur singularité.
Même son de cloche chez de jeunes marques comme Plenaire ou Billie qui promeuvent un discours « body-positive » sur l’acceptation des poils chez les femmes, mais propose une solution à celles qui voudraient tout de même les raser. En matière d’inclusion, notons également le succès de Même, la première gamme de cosmétiques spécialement formulée pour les femmes atteintes de cancer.
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Doit-on considérer que la beauté de demain sera véritablement universelle ? « La polarisation très forte entre les marques traditionnelles sur le registre de la séduction, et les marques plus naturelles sur celui de la fragilité s’essouffle au profit d’une redéfinition des codes », analyse Alexis Robillard. « On assume de plus en plus volontiers l’idée que ces archétypes sont trop réducteurs. » Pourtant, les siècles d’injonctions qui pèsent sur le corps des femmes, particulièrement en matière de beauté, continuent d’exercer une influence.
« Je doute que 2020 soit l’année où on les remise complètement au placard », nuance Anne-Charlotte Dancourt. « Mais ce que j’aimerais voir ce sont des marques qui osent mettre en avant des types de corps différents. Sur My Little Beauty on montre de vraies filles, celles avec des poils, des vergetures, des grosses… »
Quid des réseaux sociaux dans tout cela ? Ils sont autant accusés de favoriser la haine de soi et la comparaison systématique que l’empowerment. « Sur TikTok c’est l’apologie du complexe, les grandes oreilles ou le nez trop allongé qui font que l’on a une gueule, et que l’on assume sa différence », note Cédric Soulié. L’affirmation de soi, nouveau paradigme de beauté ?
Cet article est un compte-rendu du petit-déjeuner/conférence « La beauté à l’épreuve du futur » organisé par l’agence FutureBrand, en partenariat avec L’ADN, le 16 janvier 2020. L’étude Future of Beauty de l’agence FutureBrand est disponible ici. Pour découvrir plus en détail les 3 nouvelles expériences de marques mentionnées dans l'article, vous pouvez contacter Stanislas Leroy.
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