Présentéisme et managers font toujours bon ménage

Il y a un problème avec les managers : ils ne prennent pas leur arrêt de travail

© sfe-co2 via Getty Images

37 % des managers n’ont pas pris ou que partiellement leur arrêt maladie cette année, contre 28 % de l’ensemble des salariés. Et c'est un problème.

Le présentéisme en France a encore de beaux jours devant lui. Une étude Malakoff Médéric Humanis souligne que les managers sont les champions de l’inobservance de leurs arrêts de travail et viennent travailler, même malades

Des managers plus exposés au présentéisme

« Le présentéisme est très caractéristique à la France. Les gens vont au travail alors qu’ils ne sont pas en état de le faire, qu’il s’agisse de leur état de santé ou de leur état psychologique, estime Kévin Dufrenoy, psychologue du travail à la Clinique du travail. On a intégré qu’il fallait être fort et montrer son engagement à l’entreprise en étant présent, quitte à banaliser la maladie. Alors que lorsque l’on est malade, on devrait faire l’inverse. »

On sait que le présentéisme est régulièrement épinglé comme un mal français et touche tous les salariés, mais les managers sont plus exposés. « On relève chez les managers une forte idéologie, une pression sociale qui laisse penser que s’arrêter serait se laisser aller, confirme Sabrina Rouat, maîtresse de conférences en Psychologie du travail à l’Université Lyon 2 et spécialiste de la prévention de l’épuisement professionnel. S’absenter serait prendre le risque d’être perçu comme faible ou déloyal envers l’entreprise ou de perdre sa place. J’ai rencontré beaucoup de managers qui, dans des phases d’épuisement professionnel, s’interdisaient de s’absenter, en particulier les femmes. Avec cette idée qu’en n’étant pas là, on pourrait nous oublier ou quelqu’un pourrait prendre notre place. »

Les managers craignent une surcharge de travail après un arrêt

Dans le détail, l’étude Malakoff Médéric Humanis soulève deux points clés pour comprendre ce qui pousse les managers à ne pas observer leurs arrêts de travail : l’impossibilité de déléguer ses tâches et la crainte de la surcharge de travail à son retour. Alors finalement, pourquoi prendre du retard ou s’ajouter inutilement de la pression pour « un petit rhume » ? Mais raisonner ainsi, c’est s’exposer à un retour de bâton plus grand.

« Venir au travail tout en étant malade a un impact sur la santé, nous sommes beaucoup moins efficaces et productifs, même pour un petit rhume, rétorque Kévin Dufrenoy. II y a donc un risque pour le collaborateur de voir sa santé se détériorer, ou pire : d’avoir un accident ou de faire un malaise. » Des études montrent également que venir travailler malade augmente le risque de rechute dans les mois qui suivent. « Cette logique ne fait que repousser le problème et peut même conduire à un autre arrêt de travail, plus long que le premier arrêt non pris », souligne encore Kévin Dufrenoy.

Du présentéisme au burn out

Ce comportement n’a rien d’anodin et doit alerter, sous peine de mener au burn out ou à d’autres risques psycho-sociaux. « Avant d’être épuisés à proprement parler, les travailleurs mettent en place un tas de mécanismes de résistance pour continuer à s’adapter à des exigences professionnelles lourdes, parfois contradictoires ou difficilement atteignables », avertit Sabrina Rouat. Bref, ils s’adaptent. Quitte à avoir des journées à rallonge ou à finir un truc urgent le soir ou le week-end, de chez eux, oubliant le droit à la déconnexion (et la limite légale des 48h de travail hebdomadaire).

Résultat : 56 % des entreprises ont eu au moins un salarié en arrêt maladie de longue durée au cours des 12 dernier mois, selon l’étude Malakoff Médéric Humanis. Et 24 % des arrêts maladie de longue durée sont dus à l’épuisement professionnel et/ou stress. « Les managers et les travailleurs sont très impliqués dans ce qu’ils font, ils ont envie de bien faire les choses. Cette conscience professionnelle, ce rapport au travail bien fait et au sens que l’on lui donne, est très important en France, note Kévin Dufrenoy. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a beaucoup de mal-être actuellement, parce qu’il y a une décorrélation entre ce que l’on fait et le sens que ça a. »

Pour être heureux au travail, soyons moins perfectionniste ?

« Le problème avec cette question, c’est qu'elle met sur le plan individuel des problématiques qui sont collectives, rétorque Kévin Dufrenoy. Or, le travail se construit collectivement, c’est bien son organisation et les possibilités que l’on donne aux travailleurs d’exécuter leurs tâches qu’il faut interroger.»

« Si les managers surinvestissent l’entreprise, c’est qu’ils ont appris à faire comme ça, via les écoles de management et toute cette norme sociale qui instillent que lorsque l’on est un bon manager, on est censé être dans le sacrifice et dans la dette vis-à-vis de l’entreprise, abonde Sabrina Rouat. Ce n’est donc pas un comportement individuel que l’on peut isoler d’un contexte plus large. » En attendant le jour où l'on pourra ne travailler qu'un seul jour par semaine, il faut changer les mentalités. Selon elle, pour prévenir  l'absentéisme des managers et son pendant, le présentéisme, il faut remettre du sens et du collectif au travail  « Aujourd’hui, l’instrument de prévention le plus efficace est de pouvoir se reposer sur un collectif de travail, de partager des pratiques managériales et de s’aider de ses pairs pour avoir des réponses à ses questions. »

Cet article a été publié initialement sur le site du Comptoir de la nouvelle entreprise

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commentaires

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  1. Avatar gogo dit :

    Ils ne prennent peut-être pas leurs arrêts de travail, mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'ils sont loin d'êtres des champions du travail. Et ce malgré leurs amplitudes de "présence" au travail. Les managers et ainsi qu'une large majorité de responsables en France, sont un vrai fléau économique car ils coûtent bcp trop chers, et sont en bonne partie responsable de la ruine de nos retraites.

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