
À l’heure où l’on parle d'envoyer des logos dans l’espace et où les sollicitations publicitaires font souvent plus de bruit que de d’effet, quelles mutations doivent envisager les marques ? Réponse avec Johanne Casagrande, Directrice générale adjointe de l’agence W. et Valentin Baumont, Directeur de création.
Bataille de l’attention, guerre de l’émergence… Ces termes, vous les connaissez. À l’heure où nos flux d’actualité sont saturés de sollicitations publicitaires (en moyenne 5 000 par jour dans une vie), où 8 000 marques se créent tous les jours dans le monde, tous marchés confondus, où seulement 5 minutes s’écoulent avant que nous ne cliquions sur notre premier logo le matin, comment hisser sa marque au sommet du panier ? Faudrait-il crier plus fort que tout le monde et brander tout ce qui bouge ou plutôt se mettre à chuchoter ? Quand on sait que l’expérience prime, ne devrait-elle pas être le nouveau levier des marques ? Autant d’hypothèses que Johanne Casagrande, Directrice générale adjointe de W. et Valentin Baumont, Directeur de création, ont désiré explorer lors de la masterclass « Brand me if you can » organisée par L'École de la Marque.
Vers une nouvelle économie des signes
Pour y voir plus clair, il faut revenir à la définition même d’une marque, cet agrégat de signes tangibles et intangibles, de couleurs, de typographies, et mêmes de sons qui n’existent que pour se différencier des autres. Il faut aussi revenir à l’étymologie du mot branding dont les racines viennent du mot « brandon », sorte de torche enflammée censée éclairer ou allumer un feu et utilisée pour marquer ou tracer le bétail. On l’utilisera, plus tard, pour différencier des objets entre eux et encore aujourd’hui pour distinguer des produits de consommation en rayon.
Pour Valentin Baumont, cette course à la différenciation se livre davantage sur le terrain des signes (couleurs, formes…) que des mots : plus ils sont simples, plus ils sont appropriables. Il cite, à titre d’exemple, une étude menée sur un panel aux États-Unis lors de laquelle des individus devaient représenter de mémoire les logos des marques Apple, Starbucks et Target. À l’issue du test, on comptait 25% de dessins parfaits pour Target, 20% pour Apple et seulement 6% pour Starbucks…
C’est simple, la reconnaissance d’une marque s’opère dans l’efficacité de ses signaux et dans l’immédiateté de leur lecture. Récemment, Mastercard choisissait même d’effeuiller son logo pour ne garder que son symbole historique : deux ronds juxtaposés et reconnaissables entre mille. Frugalité deviendrait mère de vertu et Mastercard n’est pas la seule marque à l’avoir compris. HSBC optait récemment pour la même stratégie et délaissait les mots au profit de son seul logo.
« Blanding » : vers un monde plus aseptisé ?
En vogue en ce moment, la notion de « blanding » (= fade, sans goût). Elle évoque l’épuration et la simplification de tous ces univers de marque, qu’il s’agisse de formes (les carrés et les ronds n’ont décidément pas fini de séduire), ou de typographies (elles se sont notamment simplifiées au fil du temps pour se délester de toute appartenance culturelle ou religieuse). Chez Google, Spotify et Pinterest, les typos à empâtements disparaissent peu à peu. Même les maisons de luxe et marques au patrimoine fort s’y mettent et rationalisent l’expression de leur nom, quitte à y laisser leur singularité en chemin.
Et le « blanding » sévit aussi côté couleurs. « Il suffit de prendre le métro à Paris pour le voir », souligne Johanne Casagrande en évoquant ces marques qui n’hésitent pas à utiliser une même palette de tons pour vendre des produits totalement différents.
« C’est aussi un phénomène que l’on peut lier aux start-up de la tech qui ont davantage besoin d’interfaces utilisateurs simples et de couleurs écran vives », poursuit-elle. Bref, un branding qui, sous couvert de plaire plus efficacement aux millennials, prend finalement peu de risques et se fait de plus en plus aseptisé. Là où il n’y avait que des marques différentes ne subsistent que des clones que l’on peine justement à différencier. En ce sens, le « blanding » n’aide pas à gagner la guerre de l’émergence.
Vers une économie de la sensation
Ici, l’expérience pourrait s’avérer clé et aider les marques à se singulariser. À ce titre, Johanne Casagrande cite un chiffre de l’ouvrage Thinking Fast and Slow de Daniel Kahnmann : 95% des décisions humaines se basent sur l’instinct et l’intuition. En effet, ce n’est souvent qu’à l’issue d’un choix que la raison vient justifier ce dernier. Lors de nos prises de décision, l’émotion serait donc clé ! Une aubaine pour les marques qui peuvent capitaliser davantage sur ce qu’elles nous font ressentir plutôt que sur ce qu’elles nous montrent.
En 1998, lors d’une interview pour The New York Times, le directeur de recherche de la marque Burger King allait jusqu’à affirmer que le Big Mac n'était pas qu’une simple icône américaine mais bien un goût, un goût si puissant qu’il est devenu un étalon de valeur, un standard édictant les règles. Quand on pense burger, on pense Big Mac. Simple. L’enjeu pour les marques ? Trouver notre Madeleine de Proust et faire perdurer sa nostalgie dans le temps en misant sur nos sens.
En France, les jingles sont par exemple devenus de véritables signaux culturels, à tel point que l’identité sonore de la SNCF atteint un taux de notoriété de 98% et un taux d’agrément et de reconnaissance de 94%. À l’heure où nos échanges se font de plus en plus dématérialisés, le sens du toucher connaît lui aussi un regain de vitalité. Bonne nouvelle, nous avons toujours besoin d’aller en magasin pour toucher, voir et sentir un produit, en particulier pour des achats alimentaires. Et le constat est le même du côté de l’odorat. Selon une enquête BVA, 97% des clients confrontés à une zone parfumée sont conquis par l’ambiance, ce qui a pour effet de consolider leur lien avec la marque. Certaines entreprises, même les plus insolites, optent pour une stratégie olfactive, à commencer par la Juventus (oui, oui) ou encore Thalys, qui lançait récemment un voyage sensoriel à Paris, Bruxelles, Amsterdam et Cologne.
Ce qu’il faut retenir
- Nous sommes passés d’un branding de puissance visible à un branding indiciel et expérientiel. Des marques comme Google et Amazon ne poursuivent pas une stratégie de « logo XXL » et sont pourtant extrêmement puissantes. La saturation visuelle pousse à développer un univers plus riche qui joue avec nos sens (voix, son, lumière, usages...).
- Il s’agit moins de trouver comment vendre un produit à une personne que d’identifier ce que l’on veut qu’elle ressente. Les émotions sont le ciment de le mémoire et offrent aux marques la possibilité de tous nous toucher. L'enjeu : créer des liens toujours plus personnalisés. Demain, les marques pourraient bien faire encore plus partie de notre vie intime...
C'est même tout le contraire. Pour "réduire" une marque il faut qu'elle existe. Nike est devenu le swoosh et non l'inverse.
Merci pour cet article fort instructif !
J’ai appris de nouveaux mots : blanding, l’origine de branding, indiciel ...
Merci aux interviewés