Du flirt avec la culture populaire au culte, souvent opportuniste, de la diversité, les marques de luxe jonglent avec les tendances et explorent des horizons esthétiques volontairement subversifs. Retour sur la conférence « Exploser les Canons du Beau » organisée par M Publicité.
Dans l'industrie du luxe, la transgression ne date pas d’hier. En réalité, remettre en question les « canons du beau » serait même un phénomène cyclique voué à se décliner dans le temps, explique l’historien spécialisé en mode Pierre-Jean Desemerie en ouvrant la conférence. « Revenons 700 ans en arrière, au 14ème siècle... À cette époque, une jeunesse aristocratique initie la mode du pourpoint, un veston court et près du corps qui vient s’opposer à une mode unisexe et à des vêtements traditionnellement longs et amples. On crie alors à l’excès, on reproche au vêtement de déformer le corps humain, de transformer l’homme en un animal difforme… » Déjà, l’idéal du corps est malmené, le désir de choquer bien présent.
Même chose dans les années 80, lorsqu’une poignée de créateurs japonais sont conspués pour faire « l’apologie de la laideur ». Sur les podiums, Rei Kawakubo fait porter des haillons à ses mannequins.Et personne ne la comprend. « Quel est l'intérêt de vouloir ressembler à un mendiant ? Si je porte les mêmes vêtements que mon voisin, moins fortuné que moi, qui du riche ou du pauvre est le mieux vêtu ? Comment puis-je encore me différencier ? » Autant de questions que soulève le secteur luxe quand ce dernier tente de bouleverser nos repères. En transgressant à travers un vêtement, on touche au corps mais on touche surtout aux symboliques sociales qui l'entourent.
À gauche : Automne/Hiver 1982 - The Victoria & Albert Museum ; À droite : Automne/Hiver 2008 - Firstview
Pour les marques de luxe, le fait de choquer et de scandaliser est aujourd'hui une nécessité à la fois commerciale et créative, d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux. Il faut vendre, mais il faut en parallèle savoir se réinventer en épousant les codes et les rébellions d’une époque. Vouloir « exploser les canons du beau » n'est pas sans danger. Jusqu’où peut-on réellement aller dans la prise de risques créative ? Quels écueils se cachent derrière les tendances que l'on veut suivre à tout prix ?
Retour sur deux mouvances phares du secteur.
L’incursion du populaire dans le luxe : attention au « foutage de gueule » !
Souvenez-vous. L’année dernière, Balenciaga avait dévoilé un sac à main ressemblant étrangement au sac de courses bleu IKEA. Un pastiche qui avait rapidement fait le buzz, car si la copie est quasiment conforme, son prix diffère : comptez 1 695 euros la pièce. Et la Maison de luxe n'avait pas l'intention pas s’arrêter en si bon chemin. Peu de temps après, elle lance sa version chic des « Crocs », chaussures populaires en plastique au style peu raffiné. Ici et selon le Bureau de tendances Martine Leherpeur, une philosophie opère : celle de « la mode du beau pour tous, et du beau au prix du laid » . Une mouvance qui vient interroger la définition même du luxe. « Douteux, ringard, incongru… le sac illustre une certaine autodérision post-pop laquelle rappelle à quel point les réseaux sociaux bouleversent et rendent le pouvoir au "peuple" », poursuit une porte-parole du bureau. Le luxe descend de son piédestal et vient alors « disjoncter le quotidien » , le plus souvent de façon kitsch, rendant parfois même hommage à une certaine esthétique de la contrefaçon.
Mais dans ce courant du ringard-chic, jusqu’où peut-on aller ? En faisant comme Balenciaga, une marque risque de ne pas se faire comprendre et surtout de mettre en péril l’authenticité et la sincérité de son message, car la condescendance et le buzz mal placé ne sont jamais loin. « En utilisant ce levier à outrance, on frôle le foutage de gueule », souligne Sandrine Pannetier, directrice du Bureau Martine Leherpeur. « Mais est-ce que ce foutage de gueule ne ferait pas, lui aussi, partie intégrante de l’objet… ? » questionne-t-elle.
Un entre-deux à maîtriser et sur lequel méditer...
Imperfections assumées, éloge de la singularité, représentation accrue de la diversité… le luxe jongle entre philanthropie et opportunisme
De nouvelles générations d’icônes sont en train de naître, elles sont noires, blanches, parfois même les deux (jetez un oeil à Winnie Harlow), sont bien en chair, ont des taches de rousseur, le nez de travers et les cheveux crépus… les critères esthétiques traditionnels sont brusquement bouleversés. « Ce qu’a fait Kenzo avec son film Kenzo World est d'ailleurs particulièrement intéressant… », rebondit André Mazal, Directeur du planning stratégique chez BETC Luxe. « …il y a cette idée de prêter un aspect monstrueux à une figure de beauté traditionnelle, par la danse et par la désarticulation du corps », poursuit-il.
Ici,la beauté telle qu’on la connait est totalement écartelée et mise à mal.
KENZO World, le nouveau parfum
La maladie, le handicap sont aussi beaucoup plus représentés. Melanie Gaydos, mannequin atteinte de dysplasie ectodermique, fascine pour sa plastique inquiétante et enchaine les shootings photos à travers le monde. La question du genre, elle aussi, tend à être adressée au profit d’une expression esthétique plus neutre... Et à mesure que chacun crie sa singularité, « l’hystérie de la perfection, du photoshop et du botox tend à s’atténuer » , poursuit André Mazal.
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Mais attention, il ne faut pas non plus se leurrer, prévient-il. « Les marques n’ont pas ‘redécouvert les imperfections’ au sens esthétique du terme. Pour elles, c’est une façon d’adhérer à des communautés et de s’adresser à elles. On peut très simplement le résumer de cette manière : ‘Je peux entendre et cautionner tes imperfections seulement, et seulement si elles ont une appartenance communautaire, une résonnance…’ C’est une communautarisation de la ‘laideur’ en quelques sortes. » Une stratégie opportuniste qui pourrait rapidement se retourner contre une marque. L'enjeu ? Trouver la bonne équation sans tomber dans les faux-semblants, ni perdre de vue son territoire de marque initial.
Diplômée en marketing et publicité à l’ISCOM après une Hypokhâgne, Margaux Dussert a rejoint L’ADN en 2017. Elle est en charge des sujets liés à la culture et la créativité.
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Bonjour merci pour votre article. Ce que je retiens c est que la notion du beau se déplace,change de point de vue.Comme chez Baudelaire, ou encore chez Sarah Moon.changement intéressant car il va avec l air du temps...ce qui semble intéressant la dedans c est que la" perfection" fait place a "la diferrence".une différence approprié par communautarisme ou plus, ce qui précisément me rends optimiste...vers un certain empathie.ce qui est plutôt réjouissant.Riyadoll
Bonjour merci pour votre article.
Ce que je retiens c est que la notion du beau se déplace,change de point de vue.Comme chez Baudelaire, ou encore chez Sarah Moon.changement intéressant car il va avec l air du temps...ce qui semble intéressant la dedans c est que la" perfection" fait place a "la diferrence".une différence approprié par communautarisme ou plus, ce qui précisément me rends optimiste...vers un certain empathie.ce qui est plutôt réjouissant.Riyadoll