Des colis sur des rails automatiques qui s'enchevêtrent.

La fausse bonne idée d’Amazon : transformer le travail en jeu vidéo

© Bet_Noire via Getty Images

Déplacer des colis Amazon toute la journée n’a rien de réjouissant. Pour réduire la pénibilité du travail de ses salariés et gagner en productivité, le géant du e-commerce transforme leurs tâches en jeu vidéo.

Ce n’est un secret pour personne : travailler dans les entrepôts d’Amazon est terrassant. Selfie obligatoire, bracelet connecté pour mesurer la productivité... Les méthodes de management du géant de la logistique ont souvent été pointées du doigt. Pour rendre les tâches de ses salariés moins pénibles et ennuyeuses, la firme de Jeff Bezos a trouvé la solution : faire jouer ses salariés à des jeux vidéo, raconte le Washington Post.

Plus tu gères de colis, plus vite ton dragon avance

La mesure, expérimentale pour le moment, concerne des centaines de salariés dans cinq entrepôts au Royaume-Uni et aux États-Unis. Chouette : des heures de Fortnite rémunérées ? Pas du tout ! Les salariés ne jouent pas vraiment. Ce sont la réalisation de leurs tâches habituelles qui sont retranscrites en jeu vidéo. Plusieurs formules sont disponibles : courses de voiture ou de dragons, construction de châteaux en équipe... À chaque colis bien placé, à chaque code-barre bien scanné, le salarié progresse et gagne des points et des badges, voire des jetons pour acheter des goodies Amazon (autocollants, t-shirts…). Petit plus : les différentes équipes de l’entrepôt peuvent jouer les unes contre les autres, tout comme deux salariés en duel.

Uber et Lyft, les champions de la gamification

L’expérience n’est pas obligatoire. Si le salarié est d’accord, un écran est installé sur son poste de travail. Il peut y voir son avancée dans le jeu. Le graphisme est assez semblable aux premiers Super Mario Bros de Nintendo, explique un opérateur logistique interrogé par le quotidien américain.

Amazon n’est pas le seul à « gamifier » le travail de ses salariés. La tendance existe depuis presque dix ans. Uber et Lyft sont des maîtres en la matière. Pour pousser leurs chauffeurs à rester connectés le plus longtemps possible, ils mettent en place des systèmes incitatifs inspirés du jeu vidéo. Les chauffeurs peuvent gagner des badges en fonction de la qualité de leur service, des alertes les poussent à conduire un peu plus longtemps quand ils sont proches de gagner un montant au chiffre rond... En France, le concept prend aussi : Renault est friand des jeux sérieux pour former ses salariés. Utiliser les mécaniques du jeu fonctionne aussi pour séduire les clients et les pousser à consommer

Jouer pour gagner un déjeuner avec son DRH

Certaines start-up ont même fait de la gamification un business. La jeune pousse tricolore PushTalents a par exemple développé une application pour encourager les salariés à devenir des « ambassadeurs » de leur société. Pour chaque bonne action en faveur de l’entreprise, ils gagnent des points qu’ils peuvent échanger contre diverses récompenses : une journée off, un déj avec le DRH (génial ! )... StartupOnly et Bejoue proposent quant à elles un jeu de cartes pour des entretiens d'embauche plus fun.

Cette pratique part du principe que si les tâches ressemblent à un jeu, le salarié aura moins l’impression de travailler. Souvent, la méthode est utilisée pour augmenter la productivité des employés, explique Gabe Zicherman, un consultant spécialiste du sujet interrogé par le Washington Post.

Se battre contre son collègue n'est amusant qu'un temps

La gamification n’est pas sans risque pour la santé mentale des travailleurs. La compétition générée par le jeu n’est appréciable qu’un court laps de temps, explique la designeuse de jeux vidéos Jane McGonigal (grande prêtresse de la gamification) au quotidien américain. « Lorsque les salariés commencent à être moins performants et à perdre contre leurs collègues, cela devient moins amusant et contre-productif. »  

Amazon assure ne pas utiliser ses jeux comme un moyen d’évaluation des salariés. Mais la marque contrôle déjà leur productivité, et n’hésite pas à les licencier s’ils ne sont pas assez performants, révélait The Verge fin avril. Ne pas jouer pourrait donc être perçu comme de la fainéantise.

En avril, le géant du e-commerce s’est fixé comme prochain objectif de réduire les temps de livraison Amazon Prime de deux jours à un seul maximum. Les salariés vont devoir construire beaucoup de châteaux et faire des kilomètres de courses de dragon pour remplir cet objectif…

POUR ALLER PLUS LOIN :  

> Amazon paye ses employés pour qu’ils démissionnent et deviennent livreurs

> Des salariés vendent des données confidentielles d'Amazon à la concurrence

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Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.
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