Femme en train de fabriquer un bijou

La Ruche qui dit Oui !, Etsy… Ces sites sympathiques qui cachent des travailleurs précaires

© pixelfit via Getty Images

On parle souvent des chauffeurs d’Uber, moins des vendeurs d’Etsy et des responsables de la Ruche qui dit Oui !... pourtant tout aussi précaires. Séance de rattrapage avec l’enquête sociologique Les Nouveaux travailleurs des applis.

On commence à connaître le quotidien harassant des livreurs Deliveroo ou Frichti, des chauffeurs Uber ou encore des travailleurs du clic qui entraînent des intelligences artificielles pour quelques centimes. Moins celui des travailleurs des applications dont le modèle – favoriser les circuits courts ou les petits artisans par exemple – paraît louable : La Ruche qui dit Oui !, Etsy ou encore La Belle Assiette. Le livre Les Nouveaux travailleurs des applis, des sociologues Sarah Abdelnour et Dominique Méda, nous fait changer de regard sur ces plateformes en apparence bien sous tout rapport. Sous couvert de proposer de vivre de sa passion elles cachent souvent des situations de précarité.

À La Ruche qui dit Oui !, des heures de travail pas toujours rémunérées

Le site qui met directement en relation petits producteurs et consommateurs est souvent associé à l’économie sociale et solidaire (ESS), l’économie du partage ou l’économie collaborative laissant penser à un capitalisme plus éthique. La réalité est en fait beaucoup moins reluisante. Les responsables des ruches, appelées « abeilles reines » sont des auto-entrepreneurs qui travaillent une quinzaine d’heures par semaine selon La Ruche qui dit Oui !, pour un revenu correspondant à 8,35 % du chiffre d’affaires hors taxes des producteurs. « La dimension marchande est minimisée face aux clients, désignés comme les "abeilles", dont les responsables seraient les "reines". Les salariés soulignent à l’inverse l’exigence de rentabilité à laquelle ils sont soumis », notent les sociologues.

La Ruche qui dit Oui ! insiste sur le fait qu’être une reine n’est pas un emploi, mais un engagement qui consiste à « soutenir les agriculteurs de sa région ». Mais les abeilles doivent tout de même créer une « ruche », c’est-à-dire trouver un lieu adéquat, réunir des acheteurs, contacter des agriculteurs, organiser les distributions, envoyer des e-mails... Autant d'heures de préparation qui sont difficilement chiffrées par les responsables des ruches, et donc pas toujours rémunérées, alors qu’elles contribuent au rendement de l’entreprise. La Ruche qui dit Oui ! estime qu’ « être abeille » n’est qu’une activité d’appoint. Mais sur les quinze responsables interrogés par les sociologues, seuls deux cumulaient cette activité avec un emploi stable.

Etsy : seul 1 % des vendeurs dégagent un revenu correct

« Faites de votre passion un métier ». C’est le slogan d’Etsy, cette marketplace où des artisans et amateurs peuvent vendre leurs créations. Sauf que gagner convenablement sa vie sur Etsy est mission quasi-impossible. Les revenus sont répartis de manière très inégalitaire entre les vendeurs : 10 % captent 90 % des revenus, constatent les sociologues. Seul 1 % d'entre eux parviennent à dégager un revenu au moins équivalent à un salaire minimum. 50 % gagnent moins de 10 euros par mois. Les happy few qui gagnent mieux leur vie ont un profil particulier : ils abattent un gros travail numérique en étant très actifs sur la plateforme et sur les autres réseaux sociaux. Or, la valeur économique de ce travail, qui demande un investissement en temps considérable, « est en grande partie captée par les plateformes elles-mêmes », écrivent les sociologues.

Elles observent de plus que la promesse de démocratisation du travail que vantent des plateformes comme Etsy n’est pas tenue. Les femmes sont surreprésentées : elles constituent 84 % des vendeurs. Mais elles gagnent moins en moyenne que les hommes présents sur la plateforme. Leur salaire mensuel est de 84 euros, contre 150 euros pour les hommes.

La Belle Assiette, l’illusion de l’autonomie

Ce site met en relation des cuisiniers à domicile et des clients. Il offre la possibilité à des amateurs d’y proposer leurs services, mais il attire en réalité essentiellement des professionnels. Ceux-ci viennent sur la plateforme pour gagner en autonomie et ne plus subir le rythme de la restauration. Sauf que, comme sur Etsy, il est très compliqué de gagner convenablement sa vie sur La Belle Assiette. Les chefs inscrits doivent de plus apprendre de nouvelles compétences en s’adaptant notamment au matériel non professionnel des clients chez qui ils cuisinent, soulignent les sociologues. Les prix ne sont pas fixés par le chef mais par la plateforme.

La Belle Assiette semble une nouvelle illustration de l’illusion vendue par la gig economy sur la magie de l'entrepreneuriat. Comme le rappelait Dominique Méda sur France Culture en septembre 2019, un vrai entrepreneur « choisit sa clientèle, définit ses tarifs, la manière dont il travaille... il est complètement libre. (…) Les travailleurs des plateformes n’ont quasiment aucune liberté. »

Les nouveaux travailleurs des applis, Sarah Abdelnour et Dominique Méda, Puf, septembre 2019

Marine Protais

À la rubrique "Tech à suivre" de L'ADN depuis 2019. J'écris sur notre rapport ambigu au numérique, les bizarreries produites par les intelligences artificielles et les biotechnologies.

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