Puisque les marques veulent récolter vos données, autant se faire un peu d'argent avec. Des plate-formes comme Wibson, Datum et Weward proposent aux internautes rémunération contre data. Mais avant de quitter votre job pour vous lancer, sachez que le butin est parfois bien maigre.
Facebook, Amazon et consorts s’enrichissent en vendant vos données. Pourquoi ne pas obtenir une part de ce marché juteux ? Depuis quelques années, des entreprises proposent aux consommateurs de reprendre le contrôle sur leur data et d’obtenir un revenu. Elles s’appellent Wibson, Embleema, Datum, Doc.ai, Weward. En échange de votre dossier médical, vos données de géolocalisation ou vos infos Facebook déposés sur une plate-forme, vous obtenez de l’argent, généralement en crypto-monnaie et bons d’achat.
Une tendance (surtout active aux États-Unis) qui répond à la perte de confiance des individus envers les GAFA. À cela s’ajoute la méfiance vis-à-vis du trafic opaque de nos données, qui passent par d’obscurs data brokers (des entreprises qui achètent et revendent les données).
Gagner de l’argent en marchant
En France, les applications qui permettent de se rémunérer avec ses datas restent peu nombreuses. La start-up tricolore Weward est l’une des premières du genre dans l’Hexagone. Elle lancera son application fin mars. Le principe : vous gagnez des sous en marchant (et en partageant vos données de géolocalisation par la même occasion). Globalement, si vous marchez entre 7 500 et 10 000 pas par jour, la moyenne conseillée par les organismes de santé, vous obtenez environ 100 euros par an. Pas de quoi payer son loyer.
Vos données de géolocalisation permettent à Weward de cibler vos goûts : si vous allez souvent à la salle de sport… Et bien c’est que vous aimez le sport, ou vous voulez perdre du poids. L’application vous conseillera ensuite des lieux ou magasins, où vous seriez susceptibles d’acheter quelque chose. Si vous allez dans ces lieux, vous obtenez de l’argent. Environ deux euros par visite, parfois dix. Le prix est fixé par les magasins partenaires de Weward.
Données au rabais : moins d'un centime le kilo !
Être payé pour marcher, aller au musée ou faire du shopping… la proposition est alléchante. Mais combien peut-on réellement gagner en étant son propre data broker ? Le journaliste Gregory Barber de Wired a fait le test en décembre 2018. Le résultat est peu concluant : en vendant certaines données médicales sur Doc.Ai, ses données de géolocalisation sur Datum et ses infos biographiques Facebook sur Wibson, il a obtenu… 0,3 centime de dollars.
« Empowerment illusoire »
Car en réalité, la valeur de nos données brutes est très faible. « Votre âge ou votre pointure de chaussure a très peu de valeur. Ce qui crée de la valeur c’est de croiser vos données avec d’autres et de les analyser. Ce sont les bases de données agrégées qui intéressent les annonceurs », explique Alain Rallet, professeur à l’Université Paris Sud et auteur d’un article universitaire sur la valorisation des données. Pour lui l’ « empowerment » qu’offrent ces applications est « illusoire ».
Toutes les données ne se valent pas. La valeur varie d’abord selon qui vous êtes. « Ceux qui mènent une vie intéressante, qui sont perçus comme des influenceurs, qui disposent de grands réseaux et dont les données comptent, car elles pourraient influencer les achats des autres, gagneront plus que la personne lambda qui mange chez McDonald’s », résume le futurologue Rohit Talwar, interrogé par la BBC en septembre 2018.
Les gros consommateurs gagnent plus
La valeur varie aussi selon le style de vie et les événements qui la rythment. « Si vous êtes à un moment clé de votre vie, comme un mariage ou un déménagement, la valeur de vos données augmente beaucoup. Parfois avec un facteur 100. Car vous êtes davantage enclin à consommer », explique Yves Benchimol, fondateur de Weward. Dans le cas de Weward, un utilisateur qui se déplace souvent, et surtout qui consomme dans les lieux qu’on lui indique gagnera plus qu’un utilisateur casanier, hermétique aux incitations publicitaires. « Ce qui a de la valeur ce n’est pas tellement la donnée en elle-même, mais la capacité à influencer quelqu’un à acheter quelque chose », précise Yves Benchimol fondateur de Weward.
Le danger d’un tel marché est de créer de nouvelles formes de travail très précaires. À l’image des travailleurs du clic, qui réalisent de petites tâches payées quelques centimes pour entraîner les algorithmes. « La vente de données par des individus pourrait creuser les inégalités. Les riches n’auraient pas besoin de les vendre, contrairement aux plus pauvres », note Alain Rallet.
S’allier à son voisin pour vendre ses data
Pour véritablement reprendre le contrôle sur nos données et en tirer bénéfice, le chercheur suggère la création de collectifs. « On pourrait par exemple imaginer que des voisins rassemblent leurs données sur leur consommation de chauffage et les vendent à des entreprises. Certaines associations de patients le font déjà avec les dossiers médicaux de leurs membres. Les données d’un individu, croisées avec d’autres, ont ainsi plus de valeur. » Une piste à creuser.
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