Eau de Javel vs Manspreading en Russie

Eau de javel V.S. manspreading :  la vidéo qui a enflammé la toile serait une opération de propagande

Il y a un mois, le web s'emballait devant une vidéo montrant une jeune femme arroser l'entrejambe d’hommes avec de l’eau de Javel. Cet acte militant était censé lutter contre le manspreading dans le métro. Mais il semblerait que ça soit plutôt un coup de propagande pour discréditer les mouvements féministes.

Après s’être attaqué aux fans de Star Wars, les trolls professionnels tentent-ils de semer la discorde et la confusion sur les mouvements féministes ?  C’est en tout cas la thèse de l’European External Action Service East Stratcom Task Force. Cette organisation a été créée en 2015 par la Commission Européenne pour lutter contre les campagnes de désinformation provenant de Russie. D’après son site UE V.S Desinfo, la vidéo publiée sur YouTube en septembre 2018 et reprise par le média en ligne In the NOW serait un bel exemple de la technique de manipulation des réseaux connue sous le nom « d'empoisonnement du puits ».

Le lien original de la vidéo ici.

In the NOW, le média viral du Kremlin

Pour rappel, In the NOW est une chaîne de vidéos virales s’inspirant des modèles de LoopsiderAJ+ ou Brut. Comme pour Russia Today, le média est financé par l'Etat Russe et met en avant des informations avec un angle pro-russe évident. Si elle n'est pas la première à diffuser la vidéo, elle a largement contribuer à rendre cette dernière virale. Dans cette dernière, on peut voir une jeune femme renverser un liquide sur l’entrejambe de plusieurs hommes dans le métro de Saint-Pétersbourg. Face à la caméra, l’activiste Anna Dovgalyuk prétend vouloir lutter contre le manspreading dans les transports en commun. 

Partagée sur Facebook, la vidéo a été vue 7,1 millions de fois et largement commentée dans des termes peu élogieux envers la jeune femme et les mouvements féministes. Or, le média en ligne russe Bumaga, a retrouvé et interrogé l’un des homme figurant sur la vidéo. Ce dernier indique qu’il a été payé pour jouer la victime offusquée. Quant au compte Instagram d'Anna Dovgalyuk, ce dernier ne contient aucun message féministe avant ce coup d’éclat. Cette jeune étudiante était surtout connue pour avoir réalisé une autre vidéo en octobre 2017. Sur cette dernière elle montrait sa culotte dans les couloirs du métro afin « de lutter contre les pervers ». D'après le site CheckNews, cette dernière serait amie avec Yury Degtyarev, le fondateur d'une entreprise spécialisée dans les vidéos virales My Duck's Vision.

Les méthodes du KGB

Pour Guy Philippe Goldstein, spécialiste en cyber-sécurité, on retrouve là un modus operandi typique de l’ère soviétique. « Le KGB était spécialisé dans ce genre de manipulation pendant la guerre froide, explique-t-il. Dans les années 50, ses membres avaient tagué des croix gammées en Allemagne de l’Ouest pour faire croire à un retour de groupuscules nazi. En 1984, ils avaient monté une fausse cellule du KKK qui menaçait les athlètes noirs. Aujourd’hui, on retrouve les mêmes méthodes autour de sujets qui touchent l’extrême droite comme le féminisme, la suprématie blanche et le soutien de régimes autocratiques ». 

La grande spécialiste de ce type de méthodes reste l’Internet Research Agency, un organisme responsable de nombreux cas de manipulations d’opinion depuis 2015. Cette « ferme de trolls » , comme on l’appelle, basée elle aussi à Saint-Pétersbourg, est spécialisée dans la mise en place de contre-feu médiatique et de manipulation d’opinion. En 2017, elle avait déjà créé au moins six groupuscules aux agendas politiques parfois diamétralement opposés. On y trouvait par exemple Blacktivists, situé dans la ligne de Black Lives Matter et United Muslims of America pour la défense des droits des musulmans. À l’autre bout du spectre les groupes Being PatrioticHeart of Texas, et Secured Borders défendaient une ligne politique à droite et anti-immigration. En jouant sur les deux tableaux, les trolls peuvent démarrer une polémique et l’alimenter en emportant avec eux d’autres groupes réels qui vont s’engouffrer dans la brèche. 

Si rien n'indique que c'est bien l’Internet Research Agency qui est responsable de cette vidéo, ce trolling ressemble bien à ses méthodes. « Hystériser les débats sur le féminisme par exemple, c’est un bon moyen de faire pencher les personnes qui sont psychologiquement instables vers des idées d’extrême droite, poursuit Guy Philippe Goldstein. Que ça soit l'AltRight américaine ou les extrêmes droites européennes, ces groupes et partis soutiennent généralement les régimes autocratiques comme ceux de Poutine. En pourrissant les débats public ils essayent de nuire à la démocratie. » 

De quoi se méfier la prochaine fois que vous tomberez sur une vidéo virale qui semble trop extrême pour être vraie. 

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
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