Le nouveau filtre beauté de TikTok effraie et fascine par sa technicité, et devrait devenir illégal selon certains utilisateurs.
« Ce filtre doit devenir illégal », « je croyais que j’étais plutôt mignonne, mais en fait non », « vous n’êtes pas prêts pour la vraie version de moi-même », « ce filtre m’a donné des complexes »… Sur TikTok les réactions au filtre Bold Glamour, dont le hashtag cumule 250 millions de vidéos, s'enchaînent depuis quelques jours. Le scénario est souvent le même : l’utilisateur ou l’utilisatrice se présente avec le filtre, choqué, effrayé ou fasciné par sa propre apparence. À la fin, il ou elle dévoile son vrai visage, se prenant un sérieux coup à l’ego en constatant que sa version originale lui plaît nettement moins. Bienvenue dans le dysmorphophisme nouvelle génération.
Rien ne bouge
Ce filtre « beauté » mis en ligne par TikTok grossit vos lèvres, rétrécit vos narines, rehausse vos sourcils, sculpte vos pommettes, surmaquille vos yeux, marque davantage votre mâchoire… C’est vous sans être totalement vous. Une version Kardashian de votre personne, passée entre les mains d’un chirurgien esthétique ou d’un pro du contouring. Surtout, Bold Glamour est particulièrement bien fait. Contrairement à la plupart des filtres SnapChat, TikTok ou Instagram, celui-ci semble fixé à votre peau. Il n’y a pas de glitches – ces petits défauts qui apparaissent quand le visage bouge. Vous pouvez hausser les sourcils, pincer votre bouche, malaxer vos joues, passez votre main devant votre visage, votre Bold Glamour restera intact.
TikTok ne révèle pas les dessous techniques de ce filtre. Mais selon The Verge, Bold Glamour s’appuierait sur une technique d’intelligence artificielle baptisée GAN (General Adversarial Networks). Cette technologie, mise au point il y a plusieurs années, permet notamment de générer des vidéos deepfakes. Il s’agit de deux réseaux de neurones qui s’autocorrigent pour produire une image très réaliste. Cette technologie permet de « fusionner » deux images pour créer, par exemple, une vidéo où l’on voit Mark Zuckerberg prononcer des mots jamais prononcés.
Saut technologique
The Verge n’a pas eu de confirmation de la part de TikTok. Mais le média estime que les nouveaux outils d’IA récemment mis à disposition des créateurs de filtres par la plateforme, constituent une preuve de ce saut technologique.
Les filtres classiques s’apparentent à une sorte de masque 3D placé sur votre visage. Ce qui explique que lorsque vous passez votre main sur vos yeux, le maquillage du filtre apparaisse légèrement sur votre main par exemple. Mais dans le cas de Bold Glamour, la technologie GAN permet à l’outil de comparer votre visage à une banque d’autres photos (on imagine des personnes au visage retouché et maquillé façon Bold Glamour), et de recréer une image pixel par pixel, explique au média américain Luke Hurd, consultant spécialiste de la réalité augmentée. Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une superposition comme dans d’autres filtres, mais d’une image entièrement recréée.
Émus aux larmes devant Teenage Look
Des réactions très fortes ont également accompagné la mise en ligne d’autres filtres récents, qui utiliseraient aussi cette technologie selon Luke Hurd. Il y a quelques semaines, des quadragénaires s’émouvaient aux larmes devant une version rajeunie d’eux-mêmes, obtenue grâce au filtre Teenage Look de TikTok dont l’efficacité est presque aussi redoutable que Bold Glamour. Les filtres Gender Swap et Baby Face de Snapchat seraient également générés grâce à une IA, selon le consultant.
Très vite, le traitement médiatique de Bold Glamour a mis en avant le malaise et l’inquiétude suscités par ce filtre. Car Bold Glamour promeut une beauté très stéréotypée et irréaliste (marquée notamment par une absence totale de pores). Le filtre se montre aussi sexiste – les femmes semblent davantage transformées que les hommes.
La première génération de filtres a déjà largement contribué à créer une dysmorphophobie chez certaines personnes. Ces dernières redoutent leur véritable image, et vont jusqu’à passer au bistouri pour ressembler davantage à un filtre beauté. En 2021, l’université de Londres a publié une étude révélant que 94 % des femmes et personnes non-binaires interrogées ressentaient une forme de pression à ressembler à l’apparence promue par ces filtres. Il est donc probable que ces nouveaux effets de bien meilleure qualité exacerbent cette détresse psychologique. Il n'a pas fallu attendre longtemps avant de voir les premiers tutoriels make-up reproduisant l'effet Bold Glamour.
« Guerre psychologique »
Pour Memo Akten, professeur adjoint d'art et de design informatiques à l'UC San Diego Visual Artsun, qui a publié une série de tweets très lus à ce sujet, le déploiement de Bold Glamour s’apparenterait à une opération de « guerre psychologique » mise en place par TikTok. Puisqu’en créant ce filtre, la plateforme déstabilise les utilisateurs occidentaux. Cette opinion résonne plutôt bien avec la panique actuelle autour de l’application du géant chinois Douyin. Fin février, le Parlement Européen a banni TikTok du portable de ses fonctionnaires pour des questions de sécurité. Aux États-Unis, des élus plaident pour sa suppression pure et simple dans le pays pour les mêmes raisons.
D’autant que Bold Glamour n’est sûrement que le début d’une longue suite de filtres hyperréalistes dopés à l’intelligence artificielle. « Il s'agit d'une étape importante et d'un indicateur de la bizarrerie du monde post-réel qui nous attend », estime Memo Akten. On a hâte.
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