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Trop riche pour être aidée, trop pauvre pour bien vivre. La classe moyenne face à la peur de l’inflation

© Greg Rosenke via Unsplash

Pour tout une partie de la France à 2000 euros, la fin du mois commence dès le 10 du mois. Riadh Alimi, patron de la fintech FinFrog et Jérôme Fourquet de l’IFOP dressent le portrait de cette population ni pauvre, ni riche et préoccupée par le pouvoir d'achat.

En 2018, l'écrivain Nicolas Mathieu obtenait le prix Goncourt pour son roman Leurs enfants après eux (Actes Sud), un livre qui racontait la France qui vit sur le fil du rasoir. On pouvait y lire le quotidien de la petite classe moyenne et des classes ouvrières du Grand Est. « Chaque mois, il gagnait 7 000 balles (francs, ndlr). Son logement lui coûtait déjà la moitié de cette somme. Il avait sa voiture, l'essence, les clopes, les courses et divers crédits. Au total, ça faisait 4 000 balles. Chaque mois s'achevait sur un découvert de 500 balles minimum. Il suffisait qu'il fasse un écart, un resto, une soirée trop arrosée dans un bar, et il creusait le trou, sans espoir de le combler. » Ce quotidien, c'est celui de millions de Français et Françaises aujourd'hui. Un constat que dressent Riadh Alimi, patron de la fintech FinFrog et Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégie d’entreprise de l’IFOP, co-auteur avec Jean-Laurent Cassely de l’essai La France sous nos yeux (Seuil, 2022), dans une récente étude sur le stress budgétaire des Français et Françaises dans un contexte marqué par l'inflation.

À quoi ressemble cette France qui, à défaut d’être pauvre, n’est pas riche ?

JERÔME FOURQUET : Au fil de nos enquêtes ces derniers mois, nous avons fréquemment entendu ceci : « Je suis trop riche pour bénéficier des aides publiques mais je ne le suis pas assez pour bien vivre. » Le mouvement des Gilets Jaunes a contribué à mettre en exergue ce sentiment de contribuer sans recevoir en retour. Cette France des classes populaires et du bas de la classe moyenne vit à flux tendu, en ayant du mal à boucler ses fins de mois. Dans ce contexte, l’économie de la débrouille et le système D sont massivement pratiqués. Des dispositifs comme le paiement fractionné, le recours à des minicrédits ou le système de cashback émergent ainsi fortement.

Comment se traduisent ces difficultés à boucler les fins de mois dans le quotidien ?

RIADH ALIMI : La France qui gagne moins de 2 000 euros par mois vit dans un quotidien marqué par les privations et les renoncements. 76 % ont déjà renoncé à partir en vacances ; 45 % à aller chez le coiffeur. Certains font des arbitrages beaucoup plus inquiétants : ils sont ainsi 44 % à avoir déjà dû renoncer à se chauffer, 53 % à utiliser leur voiture, 40 % à recourir à des soins médicaux, 36 % à sauter un repas. L’économie de la débrouille vient fournir des revenus complémentaires de manière ponctuelle. Le recours aux sites d’achat d’occasion et de revente est ainsi massif chez ces Français et Françaises, notamment les plus jeunes. 56 % des moins de 35 ans vendent régulièrement sur des sites d’occasion.

Quel est l’état d’esprit de ces Français et Françaises qui marchent en permanence sur la corde raide ?

R. A. : Pour cette étude, nous avons choisi de jeter la lumière sur l’impact psychologique des difficultés à gérer son budget. Nous souhaitons traduire cet impact de manière concrète et humaine, à rebours des chiffres froids sur le découvert bancaire. 95 % des personnes interrogées dans l’étude se déclarent inquiètes par les hausses de prix à venir, dont 67 % que cela « inquiète beaucoup ». La peur de la précarité a un caractère aliénant : elle ne quitte jamais l’esprit, inquiète en permanence. 72 % des personnes interrogées décrivent ainsi la difficulté à boucler leur budget comme une source d’angoisse au quotidien, au premier rang desquels les parents (83 %) et les femmes (73 %), dans un contexte où l’égalité salariale est encore loin d’être acquise. Cette angoisse peut impacter fortement la qualité de vie, en provoquant par exemple des insomnies chez 52 % d’entre eux. Par ailleurs, ils sont 18 % à déclarer éviter de répondre au téléphone ou d’ouvrir leur courrier par peur de tomber sur leur banque ou un huissier.

J. F. : Ces Français et Françaises sont en permanence à la limite et vivent au jour le jour. Ils n’ont pas de réserves pour faire face aux coups durs, comme par exemple la réparation de la voiture si celle-ci venait à tomber en panne. Ces personnes n'aspirent toutefois pas forcément à dépenser plus. L’étude révèle que s’ils pouvaient disposer de 300 euros de plus par mois, le réflexe de ces Français serait d’épargner.

Le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français et Françaises aujourd’hui. Quelle a été l’évolution de cette thématique dans l’agenda politique ces dernières années et quelles sont les perspectives pour les mois à venir ?

J. F. : Le pouvoir d’achat a toujours été au cœur des préoccupations en France. Mais, ces trente dernières années, ce sujet arrivait derrière les questions d’emploi et de chômage. Depuis quelques mois, on assiste à un double phénomène : la diminution du chômage et la hausse générale du niveau des prix. Les dépenses contraintes augmentent ; les perspectives sont que les instabilités géopolitiques actuelles vont se traduire par une hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires. Tout ceci replace la question du pouvoir d’achat au centre. Dans nos sociétés désidéologisées, la consommation revêt une dimension statutaire forte ; le bonheur se cherche dans l’ici et maintenant, c’est-à-dire ce que je peux acheter à mes enfants. Il existe donc un risque que nombre de Français et Françaises ressentent un fort sentiment de déclassement lié à cette incapacité à accéder au panier moyen de biens et services.

R. A. : Ce sentiment de déclassement se retrouve dans l’étude. 45 % des personnes interrogées pensent que leur situation est moins bonne que ne l’était celle de leurs parents. 59 % se sont déjà dit qu'ils pourraient basculer dans la pauvreté, et le chiffre grimpe à 68 % pour les familles monoparentales.

Diffusée sur Brut, la vidéo qui montre le quotidien de Lizzie, une étudiante de 20 ans qui cumule 4 jobs et ne s’en sort pas financièrement est devenue virale. La jeunesse française s’est-elle massivement appauvrie ces dernières années ?

J. F. : L’appauvrissement est global et touche toutes les générations, pas seulement les jeunes. Ce qui a changé depuis les années 1980, c’est que l’accès à l’enseignement supérieur s’est largement démocratisé. Le nombre de jeunes en études supérieures à explosé et désormais les jeunes issus des classes populaires vont aussi à la fac. Les jeunes sont donc plus nombreux et plus divers socialement. Une mutation qui s’est accompagnée d’une forme de précarisation puisqu’une large part de ces jeunes doit travailler en parallèle des études. Ce cumul s’est normalisé alors que ce n’était pas le cas il y a quelques années.

R. A. : La précarisation d’une large partie des Français et Françaises a des conséquences sur les solidarités intergénérationnelles qui diminuent. Il est probable que les parents et les grands-parents de Lizzie soient eux-mêmes en difficulté. Ils ne peuvent pas lui glisser le billet de 20 euros qui lui permettrait d’améliorer son quotidien. La prolifération des petits jobs étudiants signale que la jeunesse entre plus tôt dans un âge de la responsabilisation budgétaire. Toutefois, cette jeunesse reste optimiste. Ainsi, 64 % des 18 - 24 ans considèrent que leur situation sociale est égale ou supérieure à celle de leurs parents. Cette jeunesse semble aussi plus susceptible de se tourner vers des modèles de consommation alternatifs, une forme de frugalité heureuse.

L’indemnité inflation de 100 euros mise en place par le gouvernement vous paraît-elle adaptée et suffisante dans ce contexte ?

R. A. : Chez FinFrog, nous constatons au quotidien que les Français et Françaises dépendent beaucoup des primes de l’État (allocation de rentrée scolaire…) ou des entreprises. 81 % des sondés déclarent que les primes leur sont indispensables pour équilibrer leur budget. Au-delà du montant, c’est la question du moment qui nous paraît déterminante. Nombre de personnes qui ont recours à l’offre FinFrog déclarent que le versement de telles primes aurait été utile plus tôt dans le mois. Cette question du moment opportun nous paraît cruciale.

J. F. : Les primes sont un complément de revenu essentiel. Toutefois cette mesure est ponctuelle alors que l’augmentation générale du niveau des prix est un phénomène qui est, lui, structurel. La prime inflation du gouvernement est donc une réponse circonstanciée qui ne règle pas le problème de long terme de la précarité.

Nastasia Hadjadji

Journaliste, Nastasia Hadjadji a débuté sa carrière comme pigiste pour la télévision et le web et couvre aujourd'hui les sujets en lien avec la nouvelle économie digitale et l'actualité des idées. Elle est diplômée de Sciences Po Bordeaux.
commentaires

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  1. Avatar LRDS dit :

    Quand on voit la misère qui règne en France, commençons d'abord par régler les problèmes que l'on a chez nous avant de s'occuper des problèmes des autres. Nos gouvernants nous donnent des leçons sur la manière de vivre : baisser d'un ou deux degrés le chauffage, mais les gens renoncent à se chauffer comme il est indiqué plus dans votre article, 44%. Certains n'arrivent plus à se nourrir ou se soigner. Il ne faut plus prendre de bains et prendre des douches ? Mais nous n'avons pas attendu qu'ils nous le disent pour le faire. Beaucoup se douchent à l'eau froide pour économiser sur la facture de gaz de fioul ou d'électricité.
    Ces gens qui nous dirigent ne vivent pas la réalité que nous vivons chaque jour.
    Ils ne nous protègent pas, ils ne s'intéressent qu' à eux, il suffit de voir tous les scandales financiers et autres dont sont auteurs nos dirigeants politiques. ils votent des lois pour se protéger et tous les délinquants en tout genre en profitent. Les valeurs de la famille qui étaient le ciment de notre société sont bafoués, on met en avant des groupes minoritaires et on veut imposer leurs idées.
    Comment un homme qui n'a pas eu d'enfant à élever pourrait savoir ce que c'est cette responsabilité ? Notre président en est le meilleur exemple, il ne sait pas ce que c'est, devenir adulte et sortir du monde de l'adolescence, avoir la responsabilité du futur de son enfant, je ne l'ai compris qu'après en avoir eu, car cette responsabilité durera toute ma vie. Avant on vit égoistement pour soi, après tout change, mais pour en avoir conscience il faut en avoir fait l'expérience. je ne pense pas que nos dirigeants aient des problèmes de fin de mois, qu'ils fassent attention au temps qu'ils passent sous la douche, qu'ils leur arrive de ne pas manger à leur faim, qu'ils fassent attention à leur plein d'essence, qu'ils fassent attention à leur chauffage, qu'ils ne puissent pas partir en vacances, qu'ils aient peur pour l'avenir de leurs enfants.... je vais aller voter, car c'est la seule manière qu'il nous reste pour nous exprimer, à condition qu'ils ne truquent pas l'élection...

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