
Après avoir annoncé le gel de ses actifs sous gestion, la plateforme de prêt en cryptomonnaies Celsius Network pourrait rapidement déclarer faillite et entraîner d’autres acteurs dans sa chute. Doit-on redouter un effet domino ?
L’annonce est tombée le 13 juin dernier. Celsius Network, l’un des poids lourds des cryptomonnaies, déclarait « mettre en pause tous les retraits, échanges et transferts » sur sa plateforme. Celsius Network proposait aux particuliers et aux entreprises des rendements annuels de plus de 18 %. Une promesse difficilement tenable dans le contexte actuel où la valorisation de la plupart des cryptoactifs est en chute libre. Pour justifier leur décision, les dirigeants parlent de « conditions extrêmes de marché ». Dans le sillage de Celsius Network, ce sont d’autres acteurs qui présentent des difficultés, comme son concurrent BlockFi, le courtier Voyager Digital ou encore le fonds d’investissement Three Arrows Capital.
Pourquoi comparer Celsius Network à Lehman Brothers ?
Comme Lehman Brothers dans le secteur bancaire, Celsius Network est un poids lourd du secteur des cryptomonnaies. De nombreux fonds et sociétés d’investissement utilisent ses services. Ainsi, en mai 2022, la plateforme de prêt en cryptomonnaies revendiquait près de 12 milliards de dollars d’actifs sous gestion, pour 8 millions de prêts octroyés. Comme Lehman Brothers, Celsius pourrait faire faillite. L’entreprise a sollicité les services du cabinet américain Alvarez & Marsal, spécialisé dans le redressement d’entreprises, indique le Wall Street Journal. Ce type de rapprochement laisse entendre que l’entreprise pourrait se trouver prochainement en défaut. Comme Lehman Brothers, la société a été pointée du doigt pour des mauvais choix et des activités suspectes dans les mois qui ont précédé l’annonce du gel des actifs des utilisateurs. Certains experts ont souligné le rôle de la plateforme dans le crash du stablecoin Terra au mois de mai. Quelques mois auparavant, Celsius a perdu 22 millions de dollars de fonds suite au hack de BadgerDAO, une plateforme de finance décentralisée (DeFi). L’un des anciens hauts cadres de l’entreprise, Roni Cohen-Pavon, a été accusé d’avoir organisé des fraudes aux cryptomonnaies en Israël, comme l’a révélé une enquête du quotidien The Times of Israel. Depuis quelques mois, la plateforme était également dans le collimateur des régulateurs américains qui l’accusaient d’enfreindre certaines règles de sécurité relatives à l’enregistrement de ses produits financiers.
Comment comprendre la décision de Celsius ?
Celsius opère comme une « banque » décentralisée de l’écosystème DeFi, c’est-à-dire qu’elle place des cryptos, emprunte et prête à la manière d’une banque mais sans s’appuyer sur l’infrastructure bancaire traditionnelle. L’une des conséquences est que ce type de structure ne dispose pas de filet de sécurité, comme la garantie de dépôts qui permet d’assurer les fonds des clients en cas de faillite bancaire. Le gel des retraits et des échanges décidé le 13 juin est le signe que les clients de Celsius ne reverront jamais leur argent, ou en perdront une grande partie. « On peut comparer un investissement dans Celsius à la détention d’actifs pourris lors de la crise des subprimes. Alors qu’on vous assurait un investissement de qualité "triple A", vous risquez de vous retrouver avec un titre valant zéro », explique Grégory Raymond, cofondateur et rédacteur en chef du média spécialisé The Big Whale. Près d’1,7 million de déposants seraient concernés, d'après le Washington Post. Parmi les plus exposés on trouve un fonds de pension québécois, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).
Quelles sont les conséquences possibles d'une faillite ?
Le risque d’une faillite de l’entreprise est de plus en plus clairement évoqué, ce qui pourrait déclencher une crise de confiance. « On pourrait ainsi assister à du “credit crunch”, comme au pire de la crise financière de 2008, lorsque les banques refusaient de se prêter des fonds entre elles. » Car ce qui caractérise le marché des cryptomonnaies c’est son degré d’interconnexion. De nombreuses entreprises se prêtent entre elles et investissent les unes dans les autres, sur un marché encore largement dérégulé. Si Celsius tombe, l’effet domino pourrait donc être enclenché et mener à des faillites en série.
« En 2008, Washington avait mobilisé des milliards de dollars d’argent public via le plan Paulson pour sauver Wall Street, mais on imagine mal que l'État viendra en aide au secteur crypto. » Dans ce contexte, ce sont d’autres acteurs de l’écosystème qui se portent aujourd’hui volontaires pour jouer le rôle de prêteur en dernier ressort et éviter ainsi la contagion à l’ensemble du marché des cryptomonnaies. Le crypto-milliardaire Sam Bankman-Fried, qui détient la plateforme d’échange FTX et le fonds Alameda, a ainsi débloqué un prêt de 250 millions de dollars pour aider la plateforme BlockFi et 200 millions de dollars pour soutenir le courtier Voyager Digital. Deux sociétés qui, selon lui, sont saines et pourront se relever grâce à l’injection de liquidités. [L'entreprise Voyage Digital a depuis officialisé sa mise en faillite auprès du tribunal de commerce de New York, mise à jour du 6 juillet 2022]
Cette contagion ne menace pourtant pas l'économie réelle car, contrairement à Lehman Brothers qui était une banque systémique, c'est-à-dire reliée aux autres poumons mondiaux de l'économie, le marché des cryptomonnaies est relativement clos et le volume de transactions peu important au regard de la finance traditionnelle. « Le poids des cryptos dans l’ensemble de la finance ne pèse qu’une goutte d’eau : 951 milliards de dollars (902 milliards d'euros). Il n’y a aucun risque de contagion avec la finance et l’économie », nuance ainsi Grégory Raymond. Seuls les crypto-investisseurs tremblent donc aujourd'hui.
Que peut-il se passer dans les semaines à venir ?
Du côté de Celsius, plusieurs options sont envisagées. La mise en faillite de l'entreprise pourrait lui permettre de « continuer à opérer tout en organisant le paiement de ses dettes – les clients récupérant leurs fonds en dollars au prix actuel du marché », indique le média The Big Whale. Mais cette option est pour le moment rejetée par les dirigeants de Celsius. Les prix du marché étant particulièrement bas, cela reviendrait à acter une perte importante en capital pour les utilisateurs. Optimistes, les dirigeants de l'entreprise affirment au contraire que « les clients seraient prêts à attendre une éclaircie du marché pour récupérer leurs fonds, quitte à étendre la durée du blocage des retraits. Pour faire valider ce scénario, Celsius réfléchirait à faire voter ses clients. L’idée serait de leur permettre d’activer le mode “HOLD” (conserver) sur leur compte utilisateur ». Une proposition qui ne serait avantageuse qu'en cas de hausse des cours. Or la tendance est fortement baissière depuis plusieurs mois.
L'effet domino est-il enclenché ? Le fonds d'investissement singapourien Three Arrows Capital (3AC) pourrait être le prochain sur la liste des faillites annoncées.
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