Des pillules

Santé : « Nous avons transposé nos croyances religieuses aux médicaments »

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Oubliez le transhumanisme. Pour vivre en bonne santé, la solution se trouverait déjà dans notre corps. Interview de Jeremy Howick, auteur de Docteur Vous.

Il y a ceux qui font leurs cosmétiques à la maison, ceux qui font leurs produits ménagers eux-mêmes, et aussi ceux qui préfèrent se soigner tout seuls. Loin d’être des originaux réfractaires à la science, les défenseurs de l’autoguérison appréhendent surtout la relation à notre corps via une nouvelle grille de lecture.

Philosophe des sciences et chercheur en épidémiologie à l’Université d’Oxford, Jeremy Howick n’a pas pris de médicaments depuis 10 ans et travaille à prouver l’efficacité de la méthode placebo. Sans jamais renier ses bienfaits, il décrypte les dérives de la médecine actuelle et nous invite à réapprendre à faire confiance à notre corps.

Dans votre livre Docteur Vous, vous décrivez un système de la médecine moderne qui a fait ses preuves mais qui arrive à bout de souffle. Où en sommes-nous ?

J.H : La médecine moderne a effectivement fait ses preuves mais la science médicale a aussi des effets indésirables. Le premier, c’est que nous prenons trop de médicaments. C’est un problème de santé publique autant qu’un problème de dépense publique. J’ai même été contacté par l’armée américaine qui a peur que son budget santé l’oblige à rogner sur son budget d’équipement.

Le deuxième effet indésirable de la médecine moderne est que nous avons oublié que nous possédons notre propre chirurgien, notre propre psychologue et notre propre usine de médicaments interne. Par exemple, endorphine veut dire « morphine créée par le corps ». Nous sommes donc capables de la produire tout seul mais on a du mal à s’en souvenir.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

J.H : La médecine actuelle dissocie complètement le corps de l’esprit. Or, le fait de penser n’est pas uniquement psychologique. En réalité, il n’y a rien qui soit uniquement du domaine de l’esprit ou uniquement du domaine du corps. C’est une façon de penser qui nous vient de Descartes. Avec son « je pense donc je suis », le philosophe a séparé le corps et l’esprit. Avant lui, nous avions une vision plutôt animiste du monde. Tout était animé, tout était création divine. Même avec la religion, il n’y avait rien d’étrange à croire aux miracles. Après Descartes, nous sommes devenus matérialistes. Mais le corps et l’esprit fonctionnent ensemble. D’ailleurs, à mon sens, on ne devrait pas utiliser deux mots distincts.

Que peut-on faire pour réconcilier le corps et l’esprit ?

J.H : Il faut sortir d’une vision passive de la médecine selon laquelle le médicament agit sur le patient sans que ce dernier ne fasse rien. Au Moyen-Âge, à l’époque où les gens étaient très religieux, dès que quelque chose n’allait pas, on priait. C’était une forme de passivité. Aujourd’hui, nous avons transposé nos croyances religieuses aux médicaments. Dès que quelque chose ne fonctionne pas normalement, nous voulons un médicament avant même de considérer le fait que notre corps puisse se défendre seul. C’est une attitude complètement passive.

Or, même les gens qui prennent des drogues récréatives ne le font pas de façon passive. Techniquement, la cocaïne ne produit pas d’effet. C’est la dopamine, produite par notre corps, qui agit. La cocaïne empêche simplement le corps de réabsorber normalement la dopamine produite. Il y a donc un pic de dopamine qui crée l’effet de la « cocaïne » mais c’est notre pharmacie intérieure qui fournit la drogue. Il faut donc redonner à notre corps son pouvoir actif.

Dans votre livre, vous nous invitez à devenir des « citoyens actifs en matière médicale ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

J.H : Il faut redéfinir notre rôle de patient. Un peu à la manière des philosophes, nous devons questionner notre perception du monde, de la santé, de notre corps. Mais il faut le faire correctement. Aujourd’hui, les gens « actifs » vont sur Google. Ils recherchent des symptômes et concluent qu’ils ont une maladie horrible. Ça ne leur apporte rien à part de la confusion et de la méfiance. Aujourd’hui, 1 patient sur 3 ne prend pas les médicaments comme indiqués sur l’ordonnance. C’est donc important que les patients soient engagés et actifs.

Pour devenir un « citoyen actif en matière médicale », il suffit de poser quelques questions simples à son médecin. La première : « que va-t-il m’arriver si je ne prends pas ce médicament ? ». Ensuite, il faut se renseigner sur la méthode de l’étude qui a conclu à l’efficacité de la substance. Est-ce une étude randomisée, c’est-à-dire que les sujets sont choisis au hasard, ce qui permet d’éviter certains biais ? Ensuite, chacun peut faire des choix éclairés. Tout le monde ne peut pas devenir un expert. Mais les bases sont faciles à comprendre.

Vraiment ?

Par exemple, il y a eu un essai clinique effectué pour traiter les asthmatiques. Il comportait trois groupes de patients asthmatiques : ceux qui n’étaient pas traités, ceux qui avaient un inhalateur placebo et ceux qui avait un inhalateur avec le médicament. Deux mesures principales ont été effectuées : le VEMS (volume expiratoire maximal par seconde) et le nombre de marches d’un escalier que les patients étaient capables de monter sans être essoufflés. L’étude a démontré que le médicament était plus efficace que le placebo en ce qui concernait le VEMS. En revanche, l’efficacité du placebo et du médicament étaient similaires pour montrer l’escalier. Les scientifiques ont conclu que le placebo ne fonctionnait pas vraiment. Sauf que ce qui compte pour les gens, ce n’est pas d’avoir un meilleur VEMS, qui est une mesure scientifique, mais de pouvoir monter les marches de l’escalier. Dans ce cas, la mesure subjective est plus intéressante et tout le monde peut s'en rendre compte facilement.

Quel rôle les médecins ont-ils à jouer dans un système où les patients sont actifs ? N’y a-t-il pas un risque néfaste pour la relation entre patient et docteur ?

J.H : C’est notre vision globale de la médecine que nous devons modifier. Il faut donc également redéfinir et revaloriser la fonction du médecin. Le docteur doit retrouver un rôle de guérisseur, un rôle d’écoute et non pas seulement celui de prescrire des médicaments. À travers mes études, je démontre que la communication des médecins a le même pouvoir que les médicaments dans des cas de dépression légère ou d’anxiété légère. Associée aux médicaments, la communication empathique et positive permet de mieux soigner. Et dans certains cas, de se passer de médicaments.

En vantant les mérites de l’autoguérison, vous prônez un système de médecine hyper-personnalisée. Est-ce vraiment possible ?

J.H : L’idée que, grâce à la science, on peut comprendre le corps dans son entièreté est fausse. Notre corps est composé de 30 millions de cellules qui interagissent entre elles, c’est impossible de comprendre parfaitement ce qu’il s’y passe. C’est pourquoi il est nécessaire de faire confiance à nos sens. Nous devons être empiristes avec notre corps. La méthode empirique est aussi une méthode scientifique. C’était celle utilisée par les scientifiques au XIXe siècle qui touchaient, goûtaient, testaient pour valider leurs hypothèses. Bien sûr, ce n’est pas une méthode parfaite. Tout comme l’observation objective, l’observation subjective peut être biaisée.

Couverture du livre Docteur Vous

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