Un adolescente avec des lunettes de soleil

Depop : les e-chineurs de la hype

© Sergey Sokolov via GettyImages

Ils sont jeunes, très jeunes, ils adorent la mode, les pièces vintage surtout, et ils sont bien décidés à bâtir leur fortune sur cette passion-là. Bienvenue dans le monde des e-chineurs de Depop.

Quand on dit fortune..., restons modestes. La plupart des e-chineurs font tout juste assez d’argent pour assurer leur petit train de vie d’étudiant. Mais, quels que soient leur ambition et leur niveau de réussite, tous utilisent la même recette. Ils ouvrent une boutique en ligne sur Depop.

En France, le site est moins connu que son cousin lithuanien Vinted. On y trouve aussi des articles de mode de seconde main, mais tout y est plus pointu, plus pimpant. Ici, l’esthétique est soignée, et à la une sont montrées les meilleures trouvailles. Qui sont ces e-chineurs qui font du vide-grenier le business le plus hype de la mode ? On vous les présente.

« J'adore vivre au milieu des vêtements »

Amy Bohan a 15 ans. La jeune lycéenne irlandaise a la voix enjouée, l’énergie adolescente et l’émoji généreux. Avec le confinement, elle a commencé à repriser de vieux t-shirts, elle les transforme en crop tops pour les vendre une vingtaine d’euros sur Depop. En quelques mois, elle a écoulé des dizaines de modèles et réinvesti son profit dans l’achat de matières premières.

Laurel Darr, 18 ans, lycéenne américaine, ne dort pas beaucoup. Derrière ses lunettes oversize – vintage évidemment – et ses boucles romantiques, elle affiche un air déterminé. En plus de ses classes du soir et d’un emploi à mi-temps dans le domaine de la santé mentale, elle tient une page sur Depop depuis janvier 2019. Son truc à elle, ce sont les tenues des années 60 et 70, avec une sélection particulièrement pointue de déshabillés de soie. « J’adore vivre au milieu des vêtements, toucher les matières », dit-elle, entourée de porte-manteaux qui envahissent sa chambre d’étudiante près de Savannah, Géorgie.

L'esprit entrepreneur

Jim Koli a l’accent épais du sud de Londres et le look qui va avec : un bob typique de la jeunesse branchée et un pantalon un poil baggy, customisé par ses soins. Il est étudiant en graphisme et fait partie de la promotion confinement de la plateforme. À 17 ans, Jim a l’esprit entrepreneur. Pour constituer le stock de sa page Heist Vintage, sur laquelle il espère à terme vendre ses propres créations, il a investi toutes ses économies – près de 2 800 euros. Il met en ligne 20 à 30 articles par jour, dit-il. Et ses marchandises, achetées en gros, occupent le quart du salon de l’appartement familial.

Avant de parier sur le textile, il avait un compte Snapchat. « J’étais une sorte d’influenceur. Quand j’étais à l’école, j’allais parfois au travail avec ma mère. En une journée, je faisais trois fois plus d’argent qu’elle avec mon business Snapchat », dit-il. Son objectif serait de pouvoir fournir un emploi à toute sa bande. Pour l’instant, il peut s’offrir les services occasionnels de sa sœur, à coups de billets de 20 euros.

De la mode, oui, mais avec beaucoup de green dedans

Faire tourner sa petite affaire, donc, tout en étant sensible à la cause environnementale. C’est ce que tous affirment vouloir faire. « Au bout du compte, le but est de réduire l’empreinte carbone de la fast fashion, de ses immenses magasins et de ses ateliers de misère », énonce Jim Koli, comme un défi évident. George Wilkins, 21 ans, en activité depuis trois ans, acquiesce. « C’est la raison pour laquelle moi et beaucoup d’autres vendeurs faisons ça : pour empêcher tous ces articles d’être jetés. Un de mes fournisseurs est une entreprise de recyclage. Lorsque les gens jettent des vêtements, plutôt que de les brûler ou de les envoyer dans des décharges, cette compagnie fait appel à des gens comme moi. » Administrateur d’un groupe Facebook dédié à Depop, il fait office de parrain pour les nouveaux arrivés. Avec le calme confiant du pionnier, il distille ses conseils et ses expériences.

Certains poussent l’engagement écologique au cœur de leur projet. Katrina Lanni, ancienne étudiante en communication, a ainsi lancé Lanni Swim, sa marque de maillots de bain faits à partir d’anciens filets de pêche. Pour son enseigne Thubaara, Rain Gilani, Londonien coquet et engagé, reverse 25 % de ses profits à No sweat UK, une association qui soutient les travailleurs du textile à travers le monde.

Un petit boulot mais un énorme taff

Sous ses airs cool et ultraconnectés, le métier de vendeur vintage est un vrai métier. Savoir trouver les fournisseurs de modèles recherchés mais qui restent à bon prix, être capable d’évaluer un bien rare... les e-chineurs ont acquis en ligne les mêmes savoir-faire que les brocanteurs d’antan. Certains sites, comme la Vintage Fashion Guild, proposent des ressources. « On peut aller sur eBay et voir ce qui s’est précédemment vendu, il y a aussi quelques vidéos YouTube, mais la plupart de mes connaissances viennent d’autres vendeurs », rapporte George Wilkins.

« Tout le monde veut connaître le secret de tes sources, comme s’il existait des voisins magiques qui donnent des caisses de supervêtements pour 5 euros, abonde Gregory Hartley, vendeur de 21 ans spécialisé en Ralph Lauren vintage. Ça ne marche pas comme ça. C’est un travail acharné de création de contacts. Mais ce qu’il faut surtout, c’est savoir ce que tu cherches. »

Autre compétence essentielle, être capable de repérer le vrai du faux – ce qu’on appelle le « legit check ». Sur les groupes Facebook, l’expression fleurit et on profite de l’intelligence collective pour authentifier ses achats. Pour les vendeurs, les faux sont fréquents et une erreur peut coûter cher. « Si tu vends un article falsifié ou que tu donnes de mauvaises informations, Depop peut fermer ton compte, et il peut y avoir des actions légales », résume Wilkins.

Quelques gros succès...

Comme toujours, les premiers arrivés ont été les premiers servis. Les débuts de Depop ont porté une génération d’entrepreneurs d’à peine 20 ans censés empocher des salaires à cinq chiffres. En 2018, les vendeurs les plus populaires de la plateforme donnaient leurs conseils sur Vice. « Les gens sont souvent prêts à payer dix fois le prix de vente dans les dix minutes après qu’un article a été annoncé en rupture de stock », expliquait l’un d’eux, qui, à 19 ans, revendiquait plus de 78 000 euros de revenus annuels.

Un autre disait suivre les actualités du monde de la hype sur des comptes Instagram dédiés, puis utiliser des bots pour dégoter les articles les plus en vue et payer des gens pour faire la queue en magasin. « Les adultes avec des métiers à responsabilités qui aiment porter du Supreme ou d’autres marques de streetwear de luxe n’ont pas le temps d’aller faire la queue quand une nouvelle collection sort. Moi si. C’est là qu’il y a un marché », concluait-il.

Et beaucoup de galériens !

Pour Harr, Laurel, Jim et tant d’autres, la réalité est nettement moins bling-bling. La concurrence est rude, et les magasins de seconde main qui ont bien senti le filon ont déjà augmenté leurs prix. Tous font part de ventes très aléatoires, difficiles à ramener à un revenu moyen. « Le marché est très variable, et influencé par plein de phénomènes, comme les prêts étudiants par exemple, rigole Gregory, étudiant en philosophie, politique et littérature anglaise. Lorsque le premier paiement tombe, généralement, on fait quelques ventes. »

Sur leur page Depop, la plupart des vendeurs ne se font pas d’illusions et affichent toujours rêver d’une carrière dans leur domaine d’étude. « J’aime tellement ça, acheter, porter ces vêtements, trouver quelqu’un à qui l’article aille et qui l’apprécie vraiment... Tant que je ne perds pas d’argent, ça me va de ne pas faire de bénéfice. Je ne vois pas ça comme un métier », partage George. Précurseur sur la plateforme, il touche néanmoins environ 1 600 euros par mois, de quoi subvenir à ses besoins d’étudiant en psychologie criminelle. Même conclusion pour Gregory : « C’est une passion. Je ne veux pas gâcher ça. »

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