
Tandis que deux milliards de personnes manquent d’un accès à une eau potable sûre, s’hydrater est devenu la lubie à la mode sur TikTok. Poudres aromatisées, gourdes surdimensionnées, promesses extravagantes… Le business se développe jusqu'à plus soif.
Pourquoi boire simple, quand on peut boire compliqué ? Voilà qui pourrait constituer le mantra de la communauté Watertok, chez qui l’action de boire – pardon, de s’hydrater – est devenue un rituel et une performance à exposer comme il se doit sur les réseaux sociaux.
Stanley Cup et station d’hydratation
Si la tribu Watertok avait un signe distinctif, à n’en pas douter celui-ci serait la Stanley Cup – cette grosse gourde d’1,2 litre, reconnaissable entre mille (ou presque, si l’on considère les copycats qui pullulent désormais) avec sa poignée et sa paille intégrée. Boostées par les influenceurs, les éditions limitées de ces grosses tasses à 45 dollars pièce créent désormais des scènes d’émeutes, comme la collab’ avec Starbucks chez Target… Ce qui ne cesse d’interroger sur notre capacité à dévoyer un produit, la gourde, qui a pourtant vocation à nous épargner le fléau de la surconsommation. Chez Stanley, en tout cas, on se frotte les mains : la société est passée de 70 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2020, à 750 millions de dollars aujourd’hui selon CNBC, et entraîne derrière elle tout un business d'accessoires douteux.
this whole stanley thing is really starting to feel like a cult bc why would you need all that for a tumbler? pic.twitter.com/m3X1PPxytL
— tofu⁷ 🍜 ia📚 (@milktealattae) January 4, 2024
Mais les watertokers ne sont pas seulement obsédés par le contenant. Au moment où le sucre est devenu l’ennemi public n°1 à éradiquer sans pitié de son alimentation healthy, il ne s’agirait pas non plus de continuer à s’enfiler des litres de soda à la fraîche. Mais que boire alors ? À l'ère du late-stage capitalism, un verre d’eau, une eau par exemple sortie du robinet, n’est pas une réponse acceptable. Depuis leur « station d’hydratation », qui ferait passer Tom Cruise dans Cocktail pour un petit joueur, les watertokers aiment donc à se préparer toutes sortes de décoctions, et partagent leur « water of the day » censées combattre l’ennui de l’eau plate : des recettes d’eau, agrémentées de sirops, de pastilles, de poudres, de liquides aromatisés, aux noms très marketés : Unicorn Water and Birthday Cake Water, Skinny Blue Mermaid…
Le business des water drops
Ces produits surfent sur la désaffection pour les boissons sucrées et les eaux aromatisées (trop de plastique, trop de sucre, etc.). Ils sont souvent commercialisés par des startups qui ne lésinent pas sur le marketing d’influence et les publicités ciblées pour en faire la promotion. Commercialisée par une jeune pousse allemande depuis 2019, AirUp est une gourde qui fonctionne sur le principe de la rétro-olfaction. Le principe consiste à tromper votre cerveau pour lui faire croire, grâce à des capsules odorantes fixées à son goulot coudé, que vous buvez un breuvage aromatisé, là où il ne s’agit que d’une eau plate toute bête. 34,99 euros la gourde en plastique et ses 3 pods, quand même. Issus du même tonneau (pardon), les Autrichiens de Waterdrop donnent eux dans la pastille effervescente. 9 euros, les douze cubes aux goûts fruités. Les deux entreprises cartonnent, notamment en France : d’après Le Monde, 70 % de l’audience TikTok de Waterdrop proviendrait de notre pays, tandis qu’Air Up revendique un chiffre d'affaires en hausse de 150 % en un an et 5 millions de clients.
Il ne suffit pourtant pas à un produit d’être sans sucre, ou sans calories, pour être sans ingrédients d’une part, et bon pour la santé ensuite. Ainsi, additifs et édulcorants sont constitutifs des produits ultratransformés dont la science commence à mesurer précisément les effets délétères sur le corps humain. Les édulcorants par exemple affectent notre microbiome, et pourraient augmenter les risques de maladies métaboliques. Les colorants, eux, peuvent tacher les dents, tandis que l’acide citrique (E330) se chargera d’en détériorer l’émail. Certains parents, rapportent The Guardian, craignent aussi que cette habitude formée autour d'une multitude d’arômes ouvre la voie au vapotage… En attendant que le filon s’épuise, une nouvelle tendance autour de l’eau vient d’émerger sur TikTok : Sexy Water, portée par l’influenceuse Kelly Stranick. Il s’agit cette fois de pimper son eau avec des ingrédients supposés bons pour la santé : collagène, sels minéraux, chlorophylle, vitamines, etc.
Le tout faisant partie, sous une nouvelle forme, d’un marché plus large, celui de l’hydratation dite fonctionnelle, à l’image des boissons énergétiques old school, type Gatorade. Que faut-il en penser ? Sans doute la même chose que d’autres compléments alimentaires en gélule, dont l’efficacité peut être sujette à question. Sans parler des risques d’interaction médicamenteuse et autres surdoses… On ne pourra alors que rappeler quelques conseils de bon sens : lisez les étiquettes. Mais surtout : buvez de l’eau, « rien que de l’eau », comme dit la chanson.
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