
Des pensées suicidaires au harcèlement en passant par l’extrémisme, l’isolement social chez les jeunes hommes aggrave de nombreux phénomènes. Désocialisés, ils se réfugient dans les bras des masculinistes.
Selon deux rapports d'Equimundo, Center for Masculinities and Social Justice, intitulés « État des hommes américains d'Equimundo (2023)» et « Qu'est-ce que la manosphère ? (2024) », de nombreux jeunes hommes américains disent n’avoir aucun ami proche. Un phénomène qui n'est pas propre aux États-Unis puisque, selon une étude menée dans 142 pays, les plus concernés par la solitude sont les jeunes adultes : 27 % des 19-29 ans se disent « très » ou « assez » seuls, contre seulement 17 % chez les plus de 65 ans. Un constat qui inquiète. Car si les filles sont plus sujettes à la violence, les garçons sont en revanche beaucoup moins susceptibles de demander de l’aide. À la dérive, ils sont nombreux à trouver du réconfort dans les sphères masculinistes.
Désocialisés, les jeunes hommes se réfugient chez les mascu
Selon l'enquête de 2023 d'Equimundo, deux jeunes Américains sur trois de 18 à 23 ans déclarent : « Personne ne me connaît vraiment bien », révélant la fragilité de leurs liens et de leurs relations. Et pour cause. Sur une base hebdomadaire, 30 % des plus jeunes déclarent ne voir personne à l’extérieur de leur domicile. Méfiants, mais aussi déçus des adultes qui « jugent et ne comprennent pas », les jeunes hommes se tournent vers Internet à la recherche de communautés de référence et d’appartenance. Pourtant, si 48 % estiment que leur vie en ligne est plus intéressante et enrichissante que leur vie hors ligne, ils sont près de 40 % à avouer avoir pensé au suicide au cours des deux semaines précédant l'enquête.
Crise de la masculinité ou résistance masculine ?
Isolement et déception, deux facteurs qui créent les conditions idéales pour l'émergence de la « manosphère » . Des communautés d'hommes en ligne contre l'autonomisation des femmes, luttant contre les idées progressistes (ou « woke » ) sur l'égalité des sexes et des genres. Dans une spirale de solitude, de confusion et de difficultés relationnelles, plus de 40 % déclarent faire confiance à des représentants de cette sphère masculiniste tels qu’Andrew Tate, décrié pour ses discours sexistes, violents et complotistes ou Jordan Peterson, psychologue star du libéralisme conservateur qui justifie (entre autres) l’existence d’inégalités entre hommes et femmes au nom des lois de l’évolution. Un discours et des messages, qui selon l’étude, ont un impact réel, notamment en termes de violence (contre soi et les autres), de santé mentale, mais aussi de tendances antidémocratiques.
Les jeunes adultes isolés : des proies faciles pour la manosphère
Twitch, YouTube, Discord, Fantasy Football, paris sportif... Si, selon l'enquête, les plus grands espaces de rassemblement des jeunes hommes se trouvent en ligne, la distinction entre « vie réelle » (IRL) et « vie en ligne » tend à disparaître, les deux s’entremêlant pour former un tout. Ces espaces, où misogynie et théories du complot cohabitent, alimentent non seulement le mal-être (solitude, mauvaise communication avec la famille, dépression…) mais aussi la violence réelle (automutilation, suicide...). Mais, selon les deux rapports, ces espaces en ligne « malsains » ne reflètent pas seulement les sentiments des jeunes hommes : ils les exacerbent. À tel point que près d'un jeune homme sur trois déclare avoir renoncé à avoir des partenaires féminines ou à nouer des relations intimes. La majorité estimant que le féminisme « va trop loin ».
Masculinistes vs féministes : le clivage se polarise
Selon l'enquête, « Qu'est-ce que la manosphère ? (2024) « la violence dirigée contre les femmes est sans précédent. » Pour expliquer cette vague de haine, les chercheurs soulignent le rôle des nouvelles technologies dans la circulation massive de sentiments anti-femmes et anti-féministes et dans le développement de mouvements des « droits des hommes » . Les réseaux sociaux et les communautés en ligne offrant aux discours masculinistes et virilistes une caisse de résonance sans précédent, attirant les jeunes hommes se sentant aliénés dans un monde en mutation. « Cette période d’instabilité et de changement a donné naissance à une croyance omniprésente selon laquelle les gains de droits et de pouvoir des femmes signifient forcément que les hommes perdent quelque chose. » Indique Rachel Giese, auteure de Boys: What it Means to be a Man.
Un regain de la pensée masculiniste qui n'épargne la France. Dans son dernier baromètre sur le sexisme, le Haut Conseil à l’égalité tirait la sonnette d'alarme : 37 % des hommes en France considèrent que le féminisme « menace leur place » au sein de la société. « Plus l’engagement en faveur de femmes s’exprime dans le débat public, plus la résistance s’organise » indiquait le HCE.
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