
Le nouvel or bleu. Alors que les ressources en eau se raréfient et que la demande ne cesse de croître, les financiers font de l'eau douce un objet de spéculation et une marchandise comme les autres.
Après l’or et le pétrole, voici venu le temps de la ruée vers l’eau. Croissance démographique, pollution, réchauffement climatique… Selon les Nations Unies, d'ici 2030, la demande mondiale en eau douce devrait augmenter de 50 %, entraînant un déficit de 40 % des ressources en eau douce. En 2050, au moins une personne sur quatre vivra dans un pays affecté par des pénuries d’eau récurrentes. De quoi attiser les convoitises des géants de la finance qui s’attaquent à ce secteur à coups de milliards. Dans le documentaire, Main basse sur l'eau, Jérôme Fritel enquête dans les coulisses du marché de l’eau, et ça fait froid dans le dos.
Transformer une ressource naturelle et gratuite en actif financier
De la Californie à l'Australie, de Londres à New York, l'eau est désormais entrée sur les marchés spéculatifs. Goldman Sachs, HSBC, UBS, Allianz, la Deutsche Bank, la BNP… Tous se jettent sur l'or bleu. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, les « seigneurs de l'eau » sont appuyés par certaines ONG écologistes, voyant dans la démarche un moyen de protéger l'environnement et de lutter contre le réchauffement climatique.
En Australie, continent le plus chaud de la planète, la marchandisation de l'eau est portée par Mike Young, un économiste qui comprend bien que l'abondance appartient au passé. Pour lui, le marché de l'eau est une « révolution » qui consiste à transformer la rareté de l'eau en variable de marché concurrentielle afin d'en optimiser sa gestion. La logique est implacable : « les agriculteurs n’ayant plus les moyens de se payer de l’eau devront changer de secteur d’activité pour laisser la place à ceux qui en ont les moyens ». Un nouvel ordre libéral qui a déjà acculé de nombreux fermiers à la faillite, au profit de l'agriculture industrielle. Banques, assureurs, gérants de fonds d'investissement et de retraite ont progressivement pris le contrôle de l'eau, qu'ils louent aux agriculteurs comme d'autres loueraient leur terre.
L'eau, une marchandise comme les autres ?
Transformer l'eau en matière première, la faire coter en Bourse, parier sur son prix... La privatisation de l’eau australienne, considérée comme un succès pour les investisseurs, a inspiré Wall Street. À la manœuvre aux États-Unis, les géants de finances à la recherche de nouveaux territoirex à investir après la crise des subprimes. C’est le cas de CitiGroup, l'une des plus grandes banques américaines, qui annonce la fin de l’eau gratuite après le sommet international sur la crise climatique à Paris en 2015. Pour eux aussi la privatisation de l'eau se ferait pour protéger la ressource et assurer un « monde meilleur ». Une vision résumée par Willem Builer, conseiller économique spécial pour Citigroup, fervent défenseur de la fin de la gratuité de l'eau. « Il faut faire en sorte que les gens paient le vrai prix de l'eau, pour qu'ils comprennent qu'il y a un coût à chaque gorgée. […] Comment pouvez-vous les convaincre de réduire leur consommation si vous le leur donnez gratuitement ? [...] » Il poursuit : « Ce n’est pas parce que l’eau c'est la vie [water is life] qu’elle ne doit pas avoir un prix. »
La financiarisation de l'eau, une menace pour les droits humains
Face à cette redoutable offensive amorcée en Grande-Bretagne dès Thatcher, la résistance citoyenne s'organise. L'objectif : défendre le droit à l'eau pour tous et sanctuariser cette ressource vitale limitée dont dépendront 10 milliards d'habitants sur Terre à l'horizon 2050. (Rappelons que seuls 3 % de l'eau utilisée dans le monde sont recyclés et que plus de 80 % des eaux usées issues de l'activité humaine sont rejetées dans les rivières ou la mer sans aucune mesure de dépollution.)
En tête de file de la résistance : Maude Barlow. Nommée conseillère principale en matière d’eau auprès de l'ONU en 2008, son travail a joué un rôle déterminant dans la résolution de 2010 de l’ONU qui reconnaît « l'accès à une eau potable propre et salubre comme un droit humain fondamental ». Dans le détail, 122 pays ont voté en faveur de la résolution et 41 se sont abstenus, dont les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie, trois pays en pointe pour transformer l’eau en une marchandise et un investissement financier. La militante, récipiendaire du prix Nobel alternatif, met en garde contre la marchandisation et la privatisation de l'eau : « Les crises écologiques et des droits humains doivent être abordés avec de bonnes politiques publiques. Il faut prendre soin de l'eau, il faut arrêter l'exploitation et les prélèvements incontrôlés, arrêter de la polluer et garantir le droit d'accès à l'eau potable pour tous. Cela n'arrivera pas si les grandes entreprises continuent de contrôler l'eau. »
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