Dans son documentaire Low-tech, les bâtisseurs du monde d'après, Adrien Bellay montre comment les low-tech peuvent contrecarrer un système à bout de souffle et infléchir une trajectoire sociétale mortifère.
« La civilisation moderne n'est plus qu'un véhicule gigantesque, lancé sur une voie à sens unique, à une vitesse sans cesse accélérée. Ce véhicule ne possède malheureusement ni volant, ni frein, et le conducteur n'a d’autres ressources que d'appuyer sans cesse sur la pédale d'accélération, tandis que grisé par la vitesse et fasciné par la machine, il a totalement oublié quel peut-être le but du voyage », écrit en 1964 Lewis Mumford, historien de la technique. C'est avec cette citation que le réalisateur Adrien Bellay débute son documentaire Low-tech, les bâtisseurs du monde d'après diffusé depuis début juin. Quelque 60 ans après les mots de l'historien, la vitesse n'a pas faibli, poussant le réalisateur à formuler une question simple : « Et si on y regardait à deux fois avant de foncer tête baisser dans les promesses du progrès technique ? »
Tout commence avec une imprimante
Le point de départ du documentaire : une simple panne d'imprimante. On connaît tous l'histoire : la garantie dépassée prévient sa réparation et impose le rachat d'une machine dont l'usage pourrait être facilement prolongé. La solution, Adrien Bellay la trouve dans un atelier de bricolage partagé de quartier. Dans une logique d'éducation populaire, l'atelier ne répare pas à la place des participants, mais invite à « démystifier la technique » et « ouvrir les objets ». Et ce malgré les garde-fous des industriels qui transforment à dessein les objets en « boîtes noires ». Une proposition qui conduira le réalisateur à sillonner la France dans un combi jaune à la recherche des solutions pour repenser notre dépendance à la multitude d'objets qui nous entourent et participent au désastre écologique. La réponse, il la trouve du côté des low-tech, dites aussi les technologies douces.
Les low-tech : rompre avec l'impuissance
Agriculteurs, ingénieurs, entrepreneurs... En France, ils sont de plus en plus nombreux à bricoler, expérimenter et partager les techniques développées au travers de manuels, stages ou tutos diffusés en ligne, le tout sans propriété intellectuelle. Parmi eux, Barnabé Chaillot, passé maître dans la gestion de l'énergie, ou encore les ingénieurs regroupés dans une ancienne ferme laitière qui apprennent à une poignée de jeunes à fabriquer une éolienne artisanale. À l'horizon, une forme de liberté immédiate et palpable. « Les premières fois où j'ai utilisé une perceuse, ou une scie sauteuse étaient des moments hyper forts. Parce qu’on ne sait pas qu'on peut. (...) Et se rendre compte qu'on peut, c'est assez incroyable. (...) Cela rassure sur sa capacité d'action sur son monde », raconte Alice Bodin, formatrice à l'association Atelier du Zéphyr. Chacun de leur côté, ils bidouillent, fabriquent et partagent, tous convaincus d'une chose : « La croissance, a priori, est plutôt mortifère, il faudrait que les gens en prennent conscience, et la décroissance, ce n'est pas vivre dans une caverne à la bougie », résume Barnabé Chaillot. Derrière les low-tech, c'est tout un projet de société qui émerge.
Car l'autonomie énergétique n'est pas le seul horizon des technologies douces : « C’est tout ce qu'on apprend qui nous permet de nous rendre compte de ce qu’est l’énergie, où on la consomme, où est-ce qu’on peut ne pas la consommer, comment on la fabrique, comment on la fabrique avec de l’énergie collective... », rappelle Alice Bodin. À Concarneau dans le Finistère, les deux ingénieurs du Low-Tech Lab ont bâti une tiny house utilisée comme outil pédagogique. Derrière la petite habitation cosy au design soigné, se révèle autre chose qu'une optimisation de l'espace et des ressources : « Ce qui est dingue, c'est tout le bien-être que l'on ressent à vivre là-dedans, qu'on avait pas anticipé (...) Il ne faut surtout pas que cela reste un prisme de technicien, il faut que cela soit quelque chose qui nous fait plaisir, qui est agréable à vivre, à regarder, à sentir, à toucher, c'est important », souligne Clément Chabot.
Technologies douces, un projet de société plus qu'un procédé
Pour Philippe Bihouix, ingénieur et auteur de L'âge des low-tech, les technologies douces s'inscrivent dans « une logique de techno discernement » et de « recherche de la sobriété, de l'économie de matière, de l'économie de ressource, de la recyclabilité, de la longévité des objets. » Arthur Keller, ingénieur spécialiste des risques systémiques, complète : « Les low-tech, ce n'est pas le no tech. C'est le plus bas niveau technologique possible, sans surenchère. » Et sans forcément bannir moteurs et électricité. Même logique de parcimonie chez les agriculteurs rencontrés par le réalisateur, agriculteurs bricoleurs qui entendent se poser comme « alternative crédible à la surenchère des industriels. » Et sans forcément bannir moteurs et électricité. Même logique de parcimonie chez les agriculteurs rencontrés par le réalisateur, agriculteurs bricoleurs qui entendent se poser comme « alternative crédible à la surenchère des industriels », ou chez des ingénieurs fraîchement diplômés, qui après avoir longtemps cru au mythe de la technologie salvatrice, arrivent à la conclusion qu'il faut tout simplement « faire la révolution. » En filigrane, se dessine la question du temps, celui dont il faut disposer pour pouvoir adopter durablement ces gestes et usages, et les intégrer de manière indolore à sa routine. Une proposition qui s'impose comme une nécessité.
« Dans la panique, on n'innove pas »
« Ce qui est certain, c'est qu’on va vers des catastrophes. (…) Les systèmes complexes ont des points critiques, des seuils de ruptures. Il y aura un moment où cela va vraiment s’accélérer d’un coup, et dans ce moment-là, (…), il va y avoir une forme de surprise, de panique. Et dans la panique, on n'innove pas. (...) Dans la panique, ce qui est important, c’est qu’il y avait déjà suffisamment de choses qui existent (…) pour qu’à ce moment-là on puisse s’en emparer », explique Arthur Keller. Et ce n'est pas gagné, même s'il convient de rester optimiste. « On dira tout ce qu'on veut, la transition écologique n'a pas commencé. Et c'est là que les low-tech ont un rôle à jouer. (...) Je pense qu'on a une bonne fenêtre de tir », affirme Alain Fustec, fondateur du cabinet de conseil Goodwill-Management.
Optimiste mais naïf. « Restons lucides, dans la plupart des grandes entreprises, les freins au changement sont nombreux, note Adrien Bellay. Perdre du confort, décevoir le marché, rendre les objets moins performants, tout cela empêche l'implémentation des low-tech. Le monde industriel préfère souvent investir dans un marketing vert que dans la transformation des modes de production. » Pourtant, pour dépasser la catastrophe écologique, il faudra bien que les low-tech imprègnent non seulement les foyers, mais aussi les entreprises, relève le réalisateur. « J'ai grandi dans un monde sans limites, sans garde-fous. L'objectif était de vivre intensément, dans l’insouciance du temps présent. Mais ce monde n'existe plus, il est sur le point de basculer, dans un désordre écologique, dans une folie technologique. Voulons-nous alimenter un système, ou au contraire en changer la trajectoire ? »
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