Des troubadours dans la fôret

La mode médiévale ne meurt jamais

© Sunforest

Depuis presque deux siècles, la mode néomédiévale revient cycliquement sur le devant de la scène.

Apparue en 2010, l’esthétique cottagecore qui encense la vie à la campagne, les fleurs fraîches et les tasses de thé en vieille porcelaine, s'est cimentée au début de la pandémie, lorsque le monde entier rêvait de vivre dans un décor champêtre idéalisé. En ligne, c'était aussi le temps du knightcore, qui explore l'univers des chevaliers, du royalcore, qui aime se parer des attributs de la royauté, du fairycore, qui vous emmène au pays des fées ailées et des dragons, ou encore du goblincore, qui s'inspire du folklore médiéval européen pour célèbre la nature. « Ces esthétiques peuvent être assimilées à un désir d'évasion, et c'est particulièrement vrai pour celles issues de la fantaisie (...). À une époque de liberté vestimentaire relative, nous nous tournons vers un passé que nous pouvons réinterpréter comme nous le souhaitons », souligne en vidéo la youtubeuse Kaz Rowe.

@halcybella

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C'est quoi la mode néomédiévale ?

Cela est particulièrement vrai pour la cousine du knightcore : la mode néomédiévale, pensée ici de manière quasi exclusive comme la reprise des styles qui prédominaient en France et en Grande-Bretagne entre le Vème et XVème siècle. Sur TikTok, les #medieval et #medievalfashion cumulent plus de 3,5 milliards de vues, et donnent lieu à tout un déballage de tenues des plus historiquement précises aux plus farfelues. Entre brocards chatoyants, manches évasées et corsets à lacets, cela part dans tous les sens, et c'est le but. « Le passé sera toujours un lieu d’interprétation et de réinterprétation (...) Il est non linéaire, souvent trouble, et la mode elle-même fonctionne de la même manière. Quand elle convoque et réinvente une vision du passé, la mode le fait sur la base de fragments de souvenirs. De fait, notre réinterprétation moderne de l’esthétique médiévale ne se base pas directement sur le Moyen Âge, mais plutôt sur l’interprétation d'une interprétation d'une interprétation », explique la youtubeuse. Ainsi, la mode néomédiévale sur les réseaux évoque davantage la Renaissance ou les tenues paysannes du 18ème siècle, même si subsistent quelques éléments du Moyen Âge, comme la houppelande, les manches évasées et les bijoux en métal.

C'est quoi le médiévalisme ?

Pour l'historien médiéviste William Blanc, « le Moyen Âge est source de fantasmes ». Puisque la période s'étire sur plus de 1000 ans, elle est fertile en évènements historiques à réinterpréter et attributs vestimentaires à réinventer. Le phénomène porte un nom : le médiévalisme, qui désigne les représentations post-médiévales du Moyen-Âge formulées à partir d’enjeux contemporains. Et ce phénomène a commencé très tôt. « Depuis la Renaissance, le classicisme n'est jamais tombé en disgrâce, et le palladianisme anglais (ndlr : un style architectural) comme le mouvement néoclassique du XVIIIe siècle n'ont fait que renforcer la haute estime accordée aux Gréco-romaines. Les partisans les plus intransigeants du gothique (ndlr : art développé à partir de la seconde partie du Moyen Âge jugé barbare par rapport à l'art de l'Antiquité) espéraient une anti-Renaissance, dans laquelle l’Europe moderne se rendrait compte que le Moyen-Âge n’était pas l’âge des ténèbres, mais plutôt un Âge d’Or », écrit Derek D. Churchill dans Modern Gothic. Un engouement qui réapparaît périodiquement. L'historienne britannique Inga Bryden écrit : « Le médiévalisme du 19ème siècle se définissait par deux volets clés : le naturalisme, qui tendait à assimiler des sentiments plus simples et un code de conduite héroïque à la nature et au passé ; et le féodalisme, perçu comme le garant d'une structure sociale stable et harmonieuse. »

Deux éléments qui dans un contexte d'industrialisation rapide parlent aux artistes et penseurs : le mode de vie pastorale est supplanté par un monde mécanique, qui excite et effraie à la fois. L'attrait pour le Moyen Âge cantonne toutefois à l'esthétique. Le Moyen Âge séduit aussi le mouvement artistique préraphaélite, qui renouvelle l’intérêt pour la légende du Roi Arthur, et voit en la période une source d’inspiration. Les peintures de John William Waterhouse, Johen Everet Millais et Dante Gabriel Rosetti infusent l'esprit des Victoriens et contribuent à esquisser un style et des silhouettes à l'allure vaguement médiévale, reprenant l'imagerie chevaleresque des contes de fées. Suffisamment plastique, la figure du Roi Arthur peut être remodelée à l'envie. Pour les partisans de la colonisation, il est dépeint comme un empereur conquérant hors des frontières ; pour les pacificateurs, il est caractérisé comme un souverain juste, comme pour les femmes, comme un mari aimant et stoïque. Naturellement, les femmes victoriennes en vinrent à intégrer de plus en plus d'éléments dits médiévaux à leur garde-robe, notamment dans le cadre de fêtes déguisées. Pour cela, elles consultent l'ouvrage Les costumes historiques de Camille Bonnard écrit en 1829.

Une brève histoire de la mode néomédiévale moderne

Dans les années 60, l'usage des psychédéliques dans la scène artistique influence la musique mais aussi la mode. « Le monde des psychédéliques conduit les gens vers le spiritualisme romantique, ce qui les conduit inévitablement aux romances médiévales et aux contes de fées », souligne la youtubeuse. Sous acide, les musiciens deviennent obsédés par Le Seigneur des anneaux, Alice aux pays des merveilles ou Le Monde de Narnia. C'est le cas par exemple de l'artiste Donovan ou de certains morceaux du groupe Jethro Tull. Peu après, la montée de la folk stimule le goût pour la nature, le passé et la magie. Ces inclinaisons mystiques furent portées par des groupes comme The Incredible String Band, fascinés par les tarots, les druides ou les ruines porteuses d'histoires, ou Sunforest et The Fool, dont les membres se considèrent comme de joyeux troubadours, loin des images communément associées au Moyen Âge : saleté, noirceur et désespoir.

Quelques décennies plus tard encore, le néomédiéval revient par le biais de la sorcellerie et du regain d’intérêt pour la Wicca. Dans la culture pop, cela se traduit par la notoriété de films comme The Craft, et de séries télé comme Charmed et Buffy contre les vampires. « Dans Buffy, Willow portait régulièrement des robes gothiques et des bijoux médiévaux. Et bien sûr, toute sorcière des années 90 qui se respectait gravitait vers un mélange de style médiéval et purement gothique né dans les années 80, lui-même fortement inspiré par la mode victorienne », explique Kaz Rowe. Aujourd'hui, les Z puisent inlassablement dans la figure de la sorcière des années 90. Cela donne lieu à l'esthétique baptisée whimsygoth, qui mêle mysticisme et vintage, motifs célestes et silhouettes éthérées, contes de fées et époque médiévale, ou encore l'enyacore, en hommage à la chanteuse des années 90 Enya, qui mélange ésotérisme et vie de château.

Dans Retromania, l'essayiste Simon Reynolds explique que l'espace occupé par le futur dans l'imagination des jeunes créateurs a été réinvesti par le passé, « là où se tapit la romance », où il est toutefois impossible de se retrancher. La paix du cottagecore, la magie du whimsygoth, le pouvoir du knightcore... Autant d'éléments qui semblent faire cruellement défaut à l'heure de la montée des eaux, de l'extrême droite et des algorithmes surpuissants. Pour de nombreuses critiques, cette surdose d’esthétiques nées de la réécriture du passé étouffe le présent. Une thèse contredite par la youtubeuse, pour qui ces esthétiques parlent plus de nous que du passé. Elles ne seraient pas de simples souvenirs dans lesquels on aime se réfugier, mais à la fois une lettre d'amour à nos ancêtres et un éternel support de créativité.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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