
Woke. Quatre lettres qui affolent les Internets et saturent le débat médiatique. Tout le monde en parle, mais de quoi on parle au juste ? Plongée en quelques dates dans l'histoire d'un terme devenu radioactif.
Éric Ciotti, député LR des Alpes-Maritimes, parle de « nouvelle terreur du siècle ». Eugénie Bastié, journaliste du Figaro, évoque une « idéologie pire à contrer que le communisme ». Brice Couturier, journaliste et producteur sur France Culture fustige une « police de la pensée » incarnée d’après lui par une génération, les millennials, accusée d’ « hyper-susceptibilité et de narcissisme victimaire ». Le « woke » déchaîne les passions pamphlétaires et ses opposant·es ne font pas vraiment dans la rhétorique en dentelle. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Importé des États-Unis, où il renvoie à la conscience politique des populations noires, le terme « woke » a été largement réinterprété depuis son irruption dans le débat public. Aujourd’hui, il sert plus facilement à jeter l’anathème sur un adversaire qu’à désigner un mouvement unifié.
Brève histoire du mot « woke » :
1896
L’éveil politique des Noirs
Après la guerre de Sécession, Booker T. Washington, un ancien esclave devenu professeur, écrit le texte The Awakening of the Negro, dans lequel il appelle à un éveil politique des consciences noires.
1930
The Scottsboro Boys
Le bluesman Leadbelly écrit la chanson The Scottsboro Boys en hommage à neuf jeunes Noirs de l’Arkansas accusés à tort de viol sur une femme blanche. La chanson appelle tous les hommes noirs à aiguiser leur conscience politique. Le bluesman parle déjà d’esprit « woke ».
1940
Argot noir
Le terme « woke » résonne dans la bouche des jazzmen de Harlem. Mot d’argot noir dérivé de « awake » (éveillé), il prend déjà une coloration politique pour faire valoir le cool anticonformisme des musiciens de jazz.
1962
« If You’re Woke You Dig It »
Dans le New York Times, l’écrivain afro-américain William Melvin Kelley invite ses pairs à être conscients de leur condition particulière dans la société américaine. Il est surnommé le « parrain du woke » et défend une posture combative face aux inégalités qui préfigure le mouvement Black Lives Matter.

1965
Lutte pour les droits civiques
On retrouve l’idée d’un éveil des minorités dans la bouche du pasteur et militant pour les droits civiques Martin Luther King. À l’université Oberlin (Ohio), il exhorte les étudiants à s’engager pour la défense des droits des minorités et contre le racisme.
2008
Rester éveillé·e
La chanteuse Erykah Badu se pose en alliée des luttes pour la justice sociale et l’égalité raciale. Le titre Master Teacher tiré de son quatrième album New Amerykah Part One (4th World War) reprend le mantra « I Stay Woke », scandé à 44 reprises. Être « woke » devient synonyme de conscience des injustices et du système d’oppression qui pèsent sur les minorités.
2014
Stay Woke
Dans le sillage du mouvement Black Lives Matter #BLM, des manifestations géantes et pacifiques ont lieu à Ferguson (Missouri) à la suite de l’assassinat par la police de Michael Brown, jeune Afro-Américain de 18 ans. Le hashtag #StayWoke se popularise comme signe de ralliement face au racisme systémique.
2016
Politique de l’identité 2.0
Les adversaires du mouvement #BLM se saisissent du terme « woke ». Repris par la droite conservatrice et l’extrême droite, il sert à critiquer la matrice idéologique des politiques de l’identité. David Brooks du New York Times monte au créneau pour dénoncer un nouveau moralisme victimaire.
2018
Social Justice Warrior
Les combats pour la justice sociale sont souvent disqualifiés dans le débat public et sur les réseaux sociaux. Les militant·e·s sont raillé·e·s en « social justice warriors » (SJW) aux postures de façade. Parce qu’elle met en avant les identités particulières de groupes discriminés, on accuse l’idéologie « woke » de faire le lit du communautarisme en France.
2019
Snowflake
Certains intellectuels néoconservateurs parlent de « génération snowflake » pour désigner les jeunes générations « woke ». Ils raillent ainsi leur fragilité émotionnelle et leur supposée incapacité à tolérer des opinions contraires.
2021
Haro sur le « Wokistan »
Le terme « woke » et son dérivé « wokisme » sont instrumentalisés à des fins politiques par la droite conservatrice et l’extrême droite. Le terme devient une arme de disqualification massive utilisée à tort et à travers par la droite conservatrice. Sur Twitter, le « woke » sert à justifier, pêle-mêle, les fractures de la République, la montée des questions identitaires, la dérive d’une frange de la gauche ou même parfois l’augmentation du prix de la baguette. La twitta @MontreFlorivore tient à jour un thread, photographie ironique de l'obsession droitière sur le « woke ».
Participer à la conversation