Une étude démontre que l'exposition à un flux quasi constant d'interactions numériques rendrait les adolescents (encore) plus sensibles à l'avis des autres.
Des neuroscientifiques de l'Université de Caroline du Nord ont effectué des scans cérébraux sur des collégiens âgés de 12 à 15 ans, une période de développement cérébral clé. Les chercheurs ont découvert que le cerveau des jeunes qui consultaient régulièrement leurs réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat) évoluait différemment de celui d'adolescents moins connectés.
L'effet secondaire des réseaux sur le cerveau
En effet, la sensibilité aux gratifications sociales des jeunes qui activent assidûment leurs réseaux augmenterait dans le temps par rapport à celles des autres adolescents, dont l'intérêt pour ce type de marque de reconnaissance suivrait le chemin inverse, note The New York Times. Publiée début janvier dans JAMA Pediatrics, l'étude compte parmi les premières tentatives pour photographier sur plusieurs années les changements de la fonction cérébrale en corrélation avec l'utilisation des réseaux sociaux. En guise d'expérience, les chercheurs ont scanné les cerveaux d'adolescents alors qu'ils jouaient à un jeu vidéo qui récompensait les joueurs avec des sourires ou des mines renfrognées, et ce une fois par an durant trois années.
Ces scans montrent que les parties du cerveau affectées correspondent à celles régissant la motivation, les affects et le contrôle cognitif. Les conclusions indiquent qu'une exposition importante aux réseaux sociaux (avec une fréquence de connexion supérieure à 15 fois par jour) modifie la trajectoire du développement neurologique, modulant considérablement la façon dont l'adolescent réagit à son environnement. Ainsi, les adolescents qui grandissent en multipliant les connexions sont plus réceptifs aux commentaires de leurs pairs, et donc plus enclins à répondre aux mécanismes de récompenses (rewards) et de punitions (punishement) sociales.
Des résultats à mettre en perspective
Les chercheurs restent toutefois prudents quant aux conclusions à tirer : « Nous ne pouvons pas affirmer de manière causale que les médias sociaux modifient le cerveau », souligne Eva H. Telzer, professeure agrégée de psychologie et de neurosciences ayant participé à l'étude. Ses auteurs précisent également que les résultats obtenus ne saisissent pas l'ampleur des changements cérébraux observés, ni ne leur permettent de statuer sur la nature bénéfique ou nocive de ces changements. Cette propension des adolescents pourrait aussi bien conduire à un apprentissage plus aigu de la connexion aux autres qu'à un état d'anxiété sociale et de dépression lorsque les besoins sociaux ne sont pas satisfaits.
D'autres chercheurs spécialisés dans les réseaux mettent en garde contre l'élaboration de conclusions tranchées sur la base des résultats obtenus par l'équipe de l'Université de Caroline du Nord, expliquant que de nombreuses autres variables auraient pu contribuer à stimuler ces changements chez ces adolescents. « Et si ces personnes rejoignaient une nouvelle équipe – de hockey ou de volley-ball – et commençaient alors à développer beaucoup plus d'interactions sociales ? », interroge Jeff Hancock, Directeur du Stanford Social Media Lab. Pour lui, les chercheurs auraient tout simplement pu « enregistrer le développement de l'extraversion » chez des sujets « plus susceptibles de consulter leurs réseaux sociaux. » Il poursuit dans The New York Times : « Nous ne sommes pas tous les mêmes, et nous devrions arrêter de penser que les réseaux sociaux sont les mêmes pour tout le monde. »
Complexité, quand tu nous tiens...
Selon le Pew Research Center, 97 % des adolescents américains se connectent tous les jours et 46 % d'entre eux déclarent être en ligne « presque constamment », un pourcentage qui augmenterait chez les jeunes afro-américains et latinos concernant les réseaux sociaux. Si certaines études établissent une connexion entre l'utilisation des réseaux et la dépression ou l'anxiété, d'autres réfutent les liens de cause à effet. D'autres encore mettent en avant des résultats plus mitigés : c'est le cas d'une étude publiée en 2018 et menée sur des adolescents bisexuels et homosexuels, qui indique que les réseaux leur apportent réconfort et soutien tout en les exposant à des discours de haine.
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