Photomontage reprenant l'oeuvre American gothic

DIY, exode urbain, junk déco... Pourquoi on veut tout changer à la maison

© Alex Green via Pexels

Changer de vie commence souvent par changer de maison. Qu'il s'agisse de renouveler la déco du salon ou carrément de tenter l'aventure néorurale, zoom sur les dernières tendances de l'habitat moderne.

Et vous, avez-vous tout envoyé bouler après le Covid ? Et en premier lieu, ces mégalopoles épuisantes qui perdent leurs derniers attraits lorsqu’une pandémie s’avise de frapper la planète ? En tout cas, il y a bel et bien du mouvement. Selon une étude Meilleurs Agents réalisée en mars 2021, près d’1 actif sur 3 avait alors déménagé ou envisageait de le faire dans les huit mois suivants. Des projets qui se sont accélérés dans la capitale, puisque le ratio s’élevait même à 1 Parisien sur 2.

Réalité de l’exode urbain

Bien sûr, les confinements ont créé un effet loupe sur la réalité de l’exode urbain. Interrogée par le média spécialisé 18h39, Valérie Bauhain, à l’origine du podcast Ciao Paris, rappelle que Paris perd des habitants depuis 2017. Selon l’INSEE, la capitale s’est vidée de plus de 50 000 habitants en moins de cinq ans, au profit de la banlieue ou de la province. Et la journaliste de rajouter que le phénomène ne se cantonne pas à la capitale : de grandes villes comme Toulouse ou Montpellier enregistrent aussi des départs vers les villes moyennes.

Dans leur note de conjoncture 2020, les notaires de France confirment cette tendance, qualifiant par la même occasion le marché immobilier de résilient. Car malgré le choc historique, la baisse sur l’ancien a été contenue à 4 % sur la période. Et les volumes de transaction sont repartis à la hausse dès septembre 2020. Mais l’Île-de-France ne tire plus le marché, avec des ventes en retrait de 12 % en volume sur l’année – même si en valeur les prix y ont crû de 6,4 %. Et ce sont désormais les villes de première et deuxième couronnes qui portent le marché. Mais le marché du neuf a souffert, avec un décrochage de près de 25 % des réservations en 2020, et des autorisations et des mises en chantier en berne.

Ville ou campagne, pourquoi choisir ?

Mais finalement, entre ville et campagne, pourquoi choisir ? De nouveaux modes de vie immobiliers émergent, rendus possibles par le numérique, indiscutablement accéléré par la pandémie, et l’essor consécutif du télétravail et de l’école à distance. Des concepts tels que la résidence semi-principale surgissent dans le jargon immobilier : fini, la maison de campagne fermée 350 jours par an, bienvenue dans la base de retrait flexible et toujours disponible pour accueillir la famille.

Et selon l’anthropologue Jean-Didier Urbain, interrogé par Les Échos, ces stratégies ne sont pas réservées aux cadres supérieurs : la « multirésidence » ne s’incarne pas seulement dans la villégiature avec piscine, mais concerne toutes les catégories sociales, « des ouvriers aux employés, en passant par les retraités modestes, et bien sûr les CSP+ ». Le professeur cite ainsi l’exemple des campings, dont 1 emplacement sur 2 est aujourd’hui loué à l’année.

Réinventer son logement pour vivre mieux

De ces confinements, nous avons tiré bien des leçons. Parmi lesquelles le besoin vital de lumière et de nature. Or, 14 % des Français ne peuvent profiter ni d’un jardin, ni d’une terrasse, d’après un sondage Odoxa réalisé en mars 2020. Et si c’était le moment d’en finir avec la fenêtre étriquée et standardisée ?

En plein cœur de la crise, c’était en tout cas l’objet d’une tribune de l’architecte Clémence Laville pour le Pavillon de L’Arsenal, plaidoyer pour une fenêtre qui relie « d’une façon sensible les pièces de vie avec la nature extérieure ». En attendant que ces larges ouvertures s’imposent ailleurs que dans les maisons d’architecte (même si les Tiny Houses intègrent souvent cette donne dans leur schéma contraint), et parce que vous n’allez pas vous mettre la copropriété à dos en défonçant vos meurtrières au marteau-piqueur, d’autres solutions existent pour se sentir mieux dans sa maison.

44 % des Français bricolent régulièrement

Car malgré les déconfinements, l’intérêt des Français pour leur home sweet home ne s’émousse pas. Chez les particuliers, le désir de rénovation fait le bonheur des acteurs du marché de la décoration, du bricolage et du jardinage, dont la croissance demeure très dynamique. Selon une étude OpinionWay pour Alkemics publiée en mars 2021, près de la moitié des Français sont des bricoleurs réguliers. Et l’effet Covid est bien là : 27 % bricolent plus qu’avant les confinements – tandis que seuls 7 % se déclarent définitivement rétifs aux joies du DIY. Le budget annuel devient important : 681 euros de dépenses bricolage par an en moyenne. Logiquement, le marché ressort parmi les gagnants de la crise.

Télétravail, habitat intergénérationnel et autosuffisance alimentaire

Il a d’abord été question de repenser les volumes disponibles : après des années à vouloir « ouvrir » l’espace, l’essor du télétravail – dont nous avons vite compris (et souhaité, pour 72 % d’entre nous, selon un sondage Malakoff Humanis) qu’il serait là pour durer – nous a donné quelques raisons de le refermer. Plusieurs solutions pour créer cette pièce supplémentaire et renouer avec l’indépendance, sans toutefois empiéter sur le besoin de lumière : de la plus abordable avec les cloisons amovibles, qui rencontrent un vif succès, aux versions plus sophistiquées, façon cabine ultradesign à installer dans le jardin.

Nos choix d’aménagements racontent aussi l’évolution des modes de vie. Les familles recomposées, bien sûr, et l’allongement de la durée de vie, dont nous avons pris conscience de la dimension dramatique avec la situation dans les Ephad. Un garage transformé en chambre, un studio dans le jardin… les Français sont de plus en plus nombreux à chercher des solutions pour développer l’habitat intergénérationnel et accueillir leurs anciens au sein du foyer.

Autre tendance cristallisée à la faveur de la crise : on aspire à l’autosuffisance alimentaire. Encore une fois, les approches sont diverses. Quitter la Défense pour tenter la vie néorurale et autonome – le « néoautonomisme », pour faire court – dans le Tarn, c’est le choix de Brian, dont la chaîne YouTube réunit aujourd’hui plus de 150 000 abonnés. Ou alors, faire avec la contrainte urbaine comme Valéry Tsimba, autrice de Mon balcon nourricier en permaculture, qui exploite ses 4 petits mètres carrés façon corne d’abondance, entre tomates, poivrons, aubergines ou aromates.

Une rénovation énergétique pas si simple

Enfin, la rénovation énergétique est une question clé pour le futur de nos logements. Car l’impact du bâtiment résidentiel-tertiaire (regroupant les consommations d’énergie des ménages et du secteur tertiaire hors transport) est bien réel, avec 27 % des émissions des gaz à effet de serre et 44 % de la consommation d’énergie en France, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Autant dire que l’édiction de normes plus strictes en la matière, comme la RE 2020, ainsi que la rénovation de l’existant sont des leviers majeurs dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Diminuer de 20 % la consommation d’énergie à horizon 2030, viser la décarbonation pour 2050, et œuvrer par la même occasion contre la précarité énergétique qui touche les habitants des 4,8 millions de « passoires thermiques » en France : voilà les objectifs annoncés. Toutefois, les obstacles existent.

Pour Carine Sebi, professeure d’économie et coordinatrice de la chaire Energy for Society à Grenoble École de Management, et Patrick Criqui, directeur de recherche au CNRS, ils sont de plusieurs ordres : le manque de lisibilité des aides incitatives, mais aussi un écart d’efficacité énergétique entre l’attendu et le réel, voire un effet rebond dans nos habitudes de consommation après travaux. Il ne suffira pas d’isoler, mais bel et bien pour chacun d’acquérir des réflexes de sobriété au quotidien. Côté offre, la filière de la rénovation énergétique doit aussi se structurer pour faire face aux enjeux.

Cottage core, trompe-l’œil et fast-déco

Une fois les grands travaux réalisés, il est temps de s’atteler aux finitions. Le désir de campagne et de nature, accéléré par la pandémie, s’invite aussi dans nos choix esthétiques. La tendance « cottage core » , qui a déferlé sur TikTok, célèbre les charmes de la vie rustique, avec gros renfort de fleurettes servies sur imprimés ou sur porcelaine. En décoration, ce nouveau « agricool » s’entiche de bois et de rotin, ne s’interdit pas la vaisselle dépareillée, le lin, le coton aux tons neutres, ou la dentelle.

Rien d’étonnant alors de constater le retour en force du bibelot, selon M Le Monde. Après des années de minimalisme froid et désincarné, « l’attrape-poussière » confère à nos intérieurs un « supplément d’âme », raconte notre personnalité – voire, dans une époque qui déconstruit les codes, s’inscrit dans un « retour du laid » déjà constaté dans la mode. Autre écriture déco en vogue dans nos vies post-pandémie, les trompe-l’œil et panoramiques à la gloire de la nature déferlent sur nos murs.

Gare cependant à ne pas tomber dans le trou sans fond de la « fast-déco ». Cette dernière existe bel et bien, issue des pratiques des géants du textile qui ont investi le secteur dès le début des années 2000. Et l’explosion des réseaux sociaux, Instagram et Pinterest en tête, ne fait que nourrir nos appétits, au risque de tendre vers la « junk-déco ».

Quid de la maison connectée ? La prépondérance des technologies, accélérée depuis la pandémie, n’incite guère à opter pour des équipements qui posent finalement plus de questions – notamment quant à l’usage de nos données – que de solutions. Plus qu’un habitat intelligent, l’époque pourrait-elle inaugurer l’ère de l’habitant intelligent ? Réinvestir ses pénates, qu’on entretient et améliore grâce à un tuto Internet ou une communauté bienveillante, en faire un refuge confortable, durable et sain, qui sait combiner intime et ouverture sur le monde. Quitte pour cela à en passer par un poster panoramique jungle.

Cet article est extrait du Livre des Tendances 2022 de L'ADN, 20 secteurs-clés de l'économie décryptés.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances de L'ADN. Computer Grrrl depuis 2000. J'écris sur les imaginaires qui changent, et les entreprises qui se transforment – parce que ça ne peut plus durer comme ça. Jamais trop de pastéis de nata.

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