
Quand le shopping est partout, permanent et hyperfacilité…, les désirs mutent en dégoût. Mais la GenZ a déjà des parades pour reprendre le contrôle de leur consommation.
Le second volet d’une étude signée par Vogue Business et Archirival, agence américaine spécialisée dans les cultures des plus jeunes, souligne les tensions qui agitent les jeunes américains en matière de shopping (il est question ici des 16-28 ans). Ok, massivement, ils achètent en ligne – ils trouvent l'expérience simple et distrayante. Mais ce flux permanent de sollicitations provoque déjà chez eux des émotions contradictoires. Entre deux achats compulsifs et indésirables, se mêlent de la culpabilité et un certain dégoût. Une tendance qui nous vient d'Amérique mais qui en dit long sur la manière dont les plus jeunes contournent les ventes non sollicitées que leur imposent le social shopping et la traque algorithimque des plateformes.
Le shopping non sollicité est bizarrement angoissant
« Faire des achats en ligne, c’est un peu angoissant, confie Kanika Raman, 21 ans, du New Jersey. Quand je commence à scroller, je ne peux plus m’arrêter. Je peux passer des heures sur TikTok à faire défiler les contenus. Je n’ai aucun contrôle de moi-même, alors je fais constamment des achats. » Les jeunes Américains de la GenZ baignent en plein paradoxe. Alors qu’ils utilisent massivement les réseaux sociaux pour découvrir de nouveaux produits (92 % de la GenZ utilise TikTok dans ce but, 88 % YouTube et 87 % Instagram), ils sont aussi près d’un tiers à estimer que les réseaux sociaux ont rendu leur expérience d'achat « insensée » . Seuls 18 % des millennials ressentent la même chose.
Au-delà de la fatigue, la GenZ se sent tiraillée : ils sont 70 % à se sentir immédiatement coupables après un achat de produits dont ils n'ont pas besoin. Pour eux, acheter tient désormais plus de la sale habitude que du plaisir. Un vrai changement par rapport à leurs aînés, les millennials, qui envisageaient le shopping comme une expérience émotionnelle positive, on parlait carrément de « thérapie par les achats » .
Mais, avec l’explosion du social shopping, les jeunes Américains de la GenZ touchent aux limites de la vente en ligne. Autrefois, elle restait un loisir circonscrit. Il fallait aller volontairement sur certains sites, c’était une activité choisie, sur des moments dédiés. Mais avec le social shopping, le shopping vient à vous, il se déroule dans un scroll sans fin où les achats se font sans friction et sans limite. Ces nouvelles modalités révèlent que la consommation fonctionne comme les notifications : une sollicitation constante qui échappe au contrôle. Elles plongeraient les plus jeunes dans un « état dissociatif » où ils sont physiquement présents mais mentalement absents, sans véritable consentement. Conséquence : la génération Z se déclare épuisée par des achats devenus purement impulsifs, sans besoin réel ni désir authentique.
Pop-up store, liste d’attente et communauté
Face à ce que certains appellent un « nihilisme consumériste » , la GenZ opère un virage radical. Elle recherche activement des expériences qui demandent plus d'efforts et d’implication, plus de temps et de contacts humains. C’est le retour du magasin physique, le triomphe du pop-up Store : 70 % préfèrent participer à des événements de marque en présentiel plutôt que de scroller sur les réseaux sociaux.
Nick Pugh, étudiant à l'université de l'Illinois, se souvient d'une de ses meilleures expériences shopping : une journée spéciale chez Arc'teryx aux alentours de Noël. Au programme : DJ, pizzas et kombucha gratuits, et une réduction de 50 % sur tout le magasin. « Je rêvais d'un pull à demi-zip depuis un moment, et je l'ai acheté ce jour-là. Aujourd'hui, il me rappelle ce super souvenir », raconte-t-il.
Pour vivre une expérience forte, ils sont même prêts à se faire un peu malmener. Les fichiers d'attente deviennent un phénomène social. Pour accéder à une vente événementielle, il faut s’inscrire, les places sont limitées, et même les heureux élus doivent accepter de longues heures d'attente le jour J. Les files d’attente sont devenues l'expression d'une identité. Elles sont « the place to be » qu’on adore mettre en scène sur les réseaux. On y retrouve une tribu, on la rencontre et l'énergie qui y règne peut rivaliser avec l'évènement lui-même.
L'explosion de la seconde main répond aussi à ce besoin d’être actif avec son côté « chasse au trésor » qu'on ressent dans les friperies mais aussi en ligne (l’appli Depop continue de progresser). Sur TikTok, les vidéos #ThriftHaul (plus de 800 000 publications) détrônent les hauls de fast fashion. La GenZ a un double plaisir : avoir l'impression de "faire l'effort" et la certitude de dénicher des pièces uniques.
Fuir les algorithmes et utiliser la tech pour reprendre le contrôle
Autre tendance majeure : la migration vers des espaces en ligne plus intimes et privés, ce qu'Archrival appelle le dark retail. Fuyant les algorithmes et la saturation publicitaire, la GenZ consulte avec délectation la section des commentaires pour échanger avec les autres internautes plutôt qu’avec les vendeurs (52 % consultent les sections commentaires pour rechercher sur les marques, contre seulement 37 % qui visitent les profils officiels). « Les utilisateurs réguliers de TikTok ne sont pas payés pour promouvoir des produits dans les commentaires. C'est une interaction authentique », explique Isabelle Inthisone, 21 ans.
Les Z veulent éviter les pièges de l’algorithme et se tournent vers les plateformes qui fonctionnent sur d'autres modalités : Reddit où on peut parler librement des produits et des marques ; Pinterest où on peut épingler ses produits favoris, prendre le temps, à son rythme. Pour gagner en autonomie, c’est aussi vers l’intelligence artificielle que la GenZ se tourne : 75 % ont déjà utilisé ChatGPT, et 34 % l'emploient pour prendre des décisions d'achat... en magasin physique. « La GenZ n'aime pas qu'on lui dise quoi faire, analyse Bayla Metzger d'Archrival. Elle utilise ChatGPT comme partenaire de réflexion. » Une utilisation qui va bien au-delà du simple conseil produit : « J'utilise ChatGPT pour comprendre les valeurs d'une entreprise et voir si j'ai envie d'acheter chez elle », témoigne Isabelle Inthisone.
MÉTHODOLOGIE
Archrival a mené cette étude qualitative et quantitative auprès de 750 jeunes de la génération Z (16-28 ans) et de 250 jeunes de la génération Y (29-44 ans) aux États-Unis. Archrival et Vogue Business ont également organisé des groupes de discussion et des entretiens qualitatifs avec des dizaines de membres de la génération Z.





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