des plantes et des pierres dans un bol en bois

Sorcières : elles reviennent et elles ont des choses à nous dire

© Joanna Kosinska

Les sorcières sont parmi nous. Cherchez-les et vous les trouverez, bien visibles, sur les réseaux. Elles défendent la cause du féminisme, de l’écologie, et nous parlent des exclus. La plasticienne Camille Ducellier témoigne de son parcours.

Camille Ducellier est plasticienne de métier, militante par nature, et sorcière en devenir, dit-elle. Son travail se nourrit de cette figure ancestrale dont elle aime présenter les visages d’aujourd’hui. La trentaine paisible, technophile et geek parfaitement assumée, elle filme la résurgence du mouvement, et pratique elle-même : cartomancie (son site rebootme.fr vous tire les cartes), voyage hors du corps (voir son documentaire sur Nicolas Fraisse), entre autres.

Les sorcières : une lignée de rebelles

Bref, les mondes invisibles la réjouissent. « J’ai appris qu’un terme négatif pouvait être pensé autrement. Au départ, je me sentais seule, au fil de mes recherches, j’ai découvert des alliées. Je me sens appartenir à cette lignée. » Lignée de quoi ? De boiteux, de bizarres, de hors normes, membres de ces minorités qui n’entrent pas dans les cases, et que l’on tient pour inférieurs. Une lignée qui a connu les bûchers, les lapidations, les trépanations… De tout temps, les sorcières ont fait partie du lot. Aujourd’hui, elles revendiquent de se tenir à la marge, les deux pieds campés dans l’alternatif, elles se rebellent contre les hiérarchies de l’ordre établi. « La nouvelle génération, la mienne, celle des 20-35 ans, questionne le système hétéro-blanc-patriarcal. Cela nous oblige à nous interroger personnellement : à quel endroit suis-je privilégiée ? Comment je peux me redéployer autrement pour, peut-être, changer les choses ? » Un travail introspectif d‘abord – spirituel et éthique – qui muterait en combat politique.

Une filiation historique, arty et pop culture

Oubliez sabbat, balais et nez crochu. Si les sorcières modernes veulent déranger, elles veulent surtout réveiller notre part d’intuition et d’irrationnel. Aux États-Unis, leur retour date. Les grandes figures du mouvement se sont rendues visibles dès les années 1980. Starhawk, écrivaine, militante et néopaïenne défend cette étrange union entre aspiration spirituelle et revendications politiques. Avec le mouvement Reclaiming, elle a développé cette pensée écoféministe qui connecte les luttes féministes avec celle de la défense de la nature, et dénonce notre rapport mécaniste et marchand à la Terre. « La question de l’écologie croisait rarement les revendications féministes. Aujourd’hui, ce courant les associe et cette union devient incontournable. »

En France, le terme a mis plus de temps à émerger mais il s’impose peu à peu. Les textes de ses ardentes fondatrices sont maintenant accessibles via la collection « Sorcières » des Éditions Cambourakis lancée en 2015. Et la pop culture a, à sa manière, contribué à alimenter le courant. Avec les séries (Charmed, Buffy contre les vampires, Grimm…), la littérature fantastique et la SF (avec en tête l’incontournable Harry Potter), les mangas…, les rituels magiques paraissent familiers aux plus jeunes, tandis que la figure de la sorcière a aussi fait son entrée au musée. Une série d’expositions se sont emparées d’elle : La Maison populaire de Montreuil avec « Plus ou moins sorcières » en 2012, Le Quartier de Quimper avec « L’Heure des sorcières » en 2014, les Archives nationales avec « Présumées coupables. Du xiv e au xxe siècle » en 2016. Camille le constate : « Quand j’ai réalisé mon film Sorcières, mes sœurs documentaire Camille Ducellier, personne ne s’intéressait au sujet, maintenant l’engouement est réel, et la réédition cette année de mon livre paru initialement en 2011 constitue aussi un signal. »

Sans complexe : de l'ombre à la lumière

Entre défenseurs de la lutte finale et autres partisans qui chantent, comment se situent ces nouvelles pasionarias ? Camille est allée à la source et a rencontré en Californie Starhawk. Elle y a découvert l’expression d’un autre type de force. « Les sorcières écoféministes pratiquent des rituels sous la forme de danses spiralées qui insufflent une énergie très positive. Il ne s’agit pas de sombrer dans le passéisme mais ce néopaganisme nous permet de renouer avec des choses essentielles qui sont en nous, dans notre mémoire. Pour nous qui sommes tellement attachés à la pensée, au mental, à la théorisation, ces expériences nous ramènent au corps. »

Rebouteux, voyantes, cartomanciennes… même des personnages politiques de premier rang ont eu les leurs. Ce qui était de l’ordre de l’inavouable pourrait-il désormais, sans complexe, s’exprimer au grand jour ? « C’est dans l’ombre que les sorcières agissent le mieux. On ne veut pas les prendre trop au sérieux, et c’est sans doute important de ne pas le faire. Moi, j’assume de me montrer. Je veux mettre de la lumière dans des espaces qui ont été tabous. Nous sommes tous des supports de projection et être identifiés comme tels permettra peut-être à d’autres de se lancer. »

À la dernière conférence donnée par la régie publicitaire de M6, dans l’inévitable top bag distribué à tous, on trouvait au fond du sac une petite pierre bleue, censée apaiser et ouvrir notre esprit… On vous le dit, ouvrez l’œil, les sorcières sont partout… Sur Instagram et YouTube, en chair et en os invitées dans les débats… cherchez-les et vous les trouverez.


Cet article vous intéresse ? Il est paru dans la revue 15 de L'ADN consacrée aux Générations.

Pour vous procurer votre numéro, c'est magique, il faut juste cliquer ici.

 

Béatrice Sutter

J'ai une passion - prendre le pouls de l'époque - et deux amours - le numérique et la transition écologique. Je dirige la rédaction de L'ADN depuis sa création : une course de fond, un sprint - un job palpitant.
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire