un carrefour au japon

« La cybersécurité va faire progresser la démocratie »

Une ville connectée sécurisée peut-elle servir à garantir les libertés individuelles et la démocratie ? Marko Erman, directeur technique de Thales répond à cette épineuse question.

Une ville du futur connectée ne veut-elle pas dire truffée de vulnérabilités ?

Tout système, tout réseau porte en lui des vulnérabilités. Et qu’est-ce que la ville du futur sinon un gigantesque réseau interconnecté : réseaux de transports, de communications, etc. Ces réseaux sont déjà les artères de nos sociétés.

Notre vie et celle de la cité seront nourries par les échanges d’informations véhiculées dans ces artères entre individus et objets. Plus le système est complexe, plus les éléments sont interconnectés et interdépendants, plus l’impact d’un dysfonctionnement local est susceptible de se propager et de déréguler l’ensemble. Les nouveaux usages et services sont apportés par les technologies du numérique qui progressent aujourd’hui à pas de géant, la connectivité, l’analyse du big data, l’intelligence artificielle. Mais pour que ces nouveaux services soient utilisés en toute confiance, il faut que l’ensemble du système soit cybersécurisé.

C’est ce à quoi nous nous employons chez Thales. Nous maîtrisons ces technologies clés mais surtout, du fait de notre expérience, nous avons un savoir-faire particulier en termes de sécurisation, ou pour être plus précis, de cybersécurisation tant les deux se confondent aujourd’hui. Nous avons la chance, si je puis dire, d’être sur des marchés et d’avoir des clients qui ont de grandes ambitions… et de très fortes exigences : aéronautique, spatial, transport terrestre, défense, sécurité. Les systèmes que nous imaginons et développons pour eux ne peuvent souffrir de faille ni d’interruption de service.

La révolution numérique est porteuse de promesses extraordinaires parce qu’elle va permettre de mieux répondre aux aspirations des populations urbaines, en termes de mobilité et de connectivité. Elle est aussi porteuse de vulnérabilités dont nous pouvons nous prémunir non pas en superposant une couche de sécurité sur les systèmes une fois qu’ils sont déployés mais en intégrant la cybersécurité dès leur conception.

Comment la cybersécurité peut-elle faire progresser la démocratie ?

Je suis bien conscient que dans beaucoup de pays, mais pas tous, le numérique fait peur et que nombreux sont ceux qui voient l’ombre de Big Brother se profiler.

Mais les technologies numériques ne sont que des technologies, ni bonnes ni mauvaises. C’est l’usage qu’on en fait qui est clé. Et c’est là que le législateur, mais aussi la société dans son ensemble, doivent décider de l’usage que l’on veut en faire. A condition, bien entendu, que toutes les parties soient correctement informées, et que les décisions soient prises de façon transparentes.

C’est pourquoi je crois qu’à l’instar de ce qui s’est passé dans l’automobile ou l’aviation, il va falloir édicter un code de (bonne) conduite, tout particulièrement pour ce qui relève des données personnelles. Je suis en droit de savoir ce qu’on fait de mes données, je dois pouvoir protéger mon identité numérique. Nous sommes en chemin comme en témoigne le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), qui va entrer en vigueur au niveau européen en mai prochain.

Dans ce contexte, je suis persuadé que la cybersécurité est à même de faire progresser la démocratie en ce sens qu’elle protège et permet aussi d’anonymiser nos données, nos transactions. Elle préserve notre identité, et donc nos libertés.

La sécurité peut-elle aussi réduire les libertés ? Certains spécialistes en cybersécurité avancent le principe : « plus de sécurité aura un coût sur la liberté ».

Sécurité, liberté, je n’aurais certes pas la prétention de trancher ce débat vieux comme le monde civilisé. Observons juste que c’est généralement dans les territoires (pays ou villes) où règne la plus grande d'insécurité qu’il y a aussi le moins de liberté. La cité depuis qu’elle existe est organisation de l’espace, et, par là-même, organisation des relations entre ses habitants. Pour que la cité puisse fonctionner dans une certaine harmonie, il faut que ces relations soient fondées sur la confiance.

Liberté d’entreprendre, liberté de circuler, liberté de s’exprimer, de s’informer… Toutes ces libertés auxquelles nous sommes tant attachés, nous ne pouvons les exercer que si nous nous sentons en confiance.

Une caméra de surveillance

Je ne peux entreprendre que si je sais qu’on ne peut pas me confisquer mon bien du jour au lendemain, je ne peux me faire une opinion sur ce qui se passe dans le monde que si je pense que l’information que je reçois n’est pas totalement biaisée, etc. Je voudrais vous donner l’exemple de la ville de Mexico City dans laquelle Thales a installé un grand système de sécurité urbaine, sans doute le plus avancé au monde. Résultats ? Le taux de criminalité a diminué de 56 %, le temps de réponse à un incident est passé de 12 à moins de 3 minutes, les commerces sont revenus dans le centre de la ville et les primes d’assurance ont diminué de 30 % pour les entreprises locales. La sécurité a de fait permis une plus grande liberté et aussi une meilleure qualité de vie.

Dans la ville de demain, cette notion de confiance sera encore plus fondamentale : je ne pourrais profiter des nouvelles formes de mobilité (véhicules autonomes, services partagés, etc.) que si je sais pouvoir compter sur la fiabilité des systèmes qui les sous-tendent ; de même, je ne pourrais réaliser mes transactions bancaires ou administratives ou communiquer avec autrui que si je suis assuré que les données que j’échange ne seront pas piratées ou utilisées contre mon gré à des fins malveillantes.

A leurs débuts, l’aviation ou l’automobile n’étaient régies que par bien peu de lois et la sécurité ne comptait guère. Au fur et à mesure du développement de ces technologies, il a fallu à la fois édicter des règles et augmenter le niveau de sécurité. Sans toutefois restreindre notre liberté de circuler. Je pense que le numérique va connaître exactement la même évolution, permettant ainsi d’accroître notre niveau de confiance sans limiter nos libertés.

Les hackers ne sont-ils pas les garants de la sécurité des villes de demain, en découvrant des failles ?

Tout dépend de leur intention ! Pas vraiment, s’ils utilisent leurs compétences uniquement dans un intérêt particulier, le leur ou celui de leurs commanditaires, avec des intentions de nuire, donc des intentions criminelles. Mais il y a aussi des hackers différents. Passionnés de cybersécurité, ils vont se mettre dans la peau d’un hacker malveillant, tenter – et souvent réussir – de pénétrer le système de leur entreprise pour mieux l’aider à se préparer et à se protéger.

En agissant dans l’intérêt commun, c’est-à-dire pour mettre en garde contre des vulnérabilités d’un système, on peut les considérer comme des veilleurs. On les appelle d’ailleurs des hackers éthiques.

L’avènement des objets connectés est-il un avant-goût de la ville connectée ?

A l’évidence oui, et nous faisons avec ces objets connectés l’apprentissage de ce que sera la ville connectée.

Demain, grâce aux technologies numériques, nous serons connectés en permanence et, donc, en capacité d’interagir en permanence avec les autres que ce soit dans la sphère professionnelle ou privée, avec la ville grâce aux informations qu’elle fournira en continu, et aussi avec soi-même, puisque l’on pourra adapter ses projets en fonction des informations reçues.

Demain, nous vivrons, travaillerons, nous déplacerons dans une ville à deux espaces : espace géographique réel et un espace virtuel. Les deux se superposeront pour mieux répondre à nos attentes « d’homo urbanus ».

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L'ADN est partenaire de la Maddy Keynote dont le thème principal est la Cité du futur. Mobilité, bien-être, habitat connecté, la rédaction s'interroge sur ses questions de fond. Véritables signaux de notre quotidien de demain.

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