Ces chaînes YouTube proposent des déambulations silencieuses et en haute définition des quartiers les plus chauds de la planète. Un spectacle au service de quelle cause ?
Embarquée à bord d’une voiture, la caméra du compte YouTube Kimgary filme les rues de Philadelphie. Devant nos yeux défilent les quartiers les plus pauvres et les plus louches de la ville américaine. Le montage met surtout en scène l’état de saleté de la chaussée ainsi que les hordes de passants drogués qui errent à la manière de zombies. Leurs corps sont faméliques et arc-boutés. Beaucoup sont habillés de guenilles et tiennent à peine debout.
Cette vision d’horreur urbaine est livrée sans commentaire audio ni aucun texte de mise en contexte. On ne sait pas que le quartier qui est filmé est celui de Kesington Avenue, considéré par les médias américains comme le plus grand marché de drogue à ciel ouvert de la côte est. On ne sait pas non plus que les toxicomanes consomment du « tranq », une mixture de tranquillisants pour chevaux et Fentanyl qui détendent les muscles et leur donne des allures de morts-vivants. Si la chaîne Kimgary ne donne aucune de ces informations, c’est dans un but précis : ces vidéos ne sont pas là pour informer, mais plutôt pour satisfaire la curiosité morbide et voyeuriste de ses utilisateurs. Et elle est loin d’être la seule à être sur ce créneau.
« Car le monde est tout petit »
Si je vous parle de la chaîne Kimgary en introduction, c’est parce qu’elle est la première à avoir lancé ce style de vidéos, à la croisée du reportage d’immersion trash et de la slow TV qui propose des vidéos de balades urbaines ou de voyage en train sans commentaires. Lancée en octobre 2020, la chaîne a connu le buzz un an plus tard avec la vidéo « Streets of Philadelphia, Kensington Ave Story, What happened today, September, 2021 » qui va être vue plus de 8 millions de fois. Largement reprise par les médias, la chaîne va donner des idées à plusieurs youtubeurs à travers le monde. La chaîne City Life par exemple montre les soirées arrosées des grandes villes britanniques comme Londres ou Manchester. On y voit surtout des jeunes filles en tenues légères vomir dans les caniveaux. Asian Night va, quant à elle, traîner son objectif du côté des rues animées de Bangkok ou Pataya pour y filmer les prostituées tandis que Thailand Vlog nous montre l’ambiance des pool parties.
Même chose pour Virtual Walking qui se balade sur les plages du Danemark ou le quartier rouge d’Amsterdam avec à chaque fois des plans insistants sur des femmes qui bronzent en bikini ou des prostituées en vitrine.
Le business du voyeurisme
Quand on regarde les chiffres de ces chaînes, on comprend mieux pourquoi elles sont si nombreuses. Ces vidéos peuvent être produites en continu. Il suffit de se balader à pied ou en voiture dans des quartiers interlopes avec une petite caméra haute définition sans même prendre la peine de flouter les visages. Kimgary a ainsi diffusé un peu plus de 500 vidéos en l’espace de 3 ans ce qui représente l’équivalent de 13 vidéos par mois. D’après Social Blade, le compte génère entre 375 et 6 000 dollars par mois. D’autres chaînes peuvent gagner le double voire le triple en fonction du contenu. Pour comprendre ce qui attire les viewers, on peut aussi regarder du côté des commentaires. Les visites nocturnes des quartiers de prostitution sont souvent l’occasion pour les internautes de marquer leur préférence, en précisant le timecode.
Pour les vidéos montrant des jeunes britanniques alcoolisées, c’est la qualité de l’image, en full 4K, qui est appréciée pendant que certains y voient une forme de « documentaire anthropologique ». Les sans-abri ou des toxicomanes de Philadelphie génèrent quant à eux des réactions d’indignation et de pitié. Dans tous les cas, c’est avant tout le frisson de l'émotion qui est le moteur de ces chaînes qui font de la pauvreté, de la toxicomanie ou du tourisme sexuel des spectacles qui drainent des vues et de l’argent.
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