Captures TikTok de comptes parlant de TDAH

Sur TikTok, nous avons tous des troubles du déficit de l'attention

© TikTok

Le nombre de vidéos concernant les syndromes de trouble déficitaire de l'attention et d'hyperactivité a explosé sur la plateforme. Mais que cache ce phénomène ?

« Cinq choses que je fais et dont je n'avais pas idée que c'étaient des symptômes d'ADHD », « 4 choses que les gens qui ont un ADHD détestent », « Comment vous faire aimer d'une personne qui a un compagnon avec un ADHD ». Depuis quelques semaines, l'algorithme de TikTok me suggère des vidéos centrées sur la même thématique, celle des troubles de l'attention et d'hyperactivité que l'on appelle ADHD en anglais, et TDAH en français. Peut-être ai-je liké sans m'en rendre compte, peut-être ai-je eu le malheur de regarder, fasciné, ces vidéos jusqu'au bout. Quoi qu'il en soit, on dirait que la plateforme essaye de me dire quelque chose. Un peu à la manière de ces utilisateurs qui pensent recevoir des messages de l'univers à travers l'algorithme de la plateforme. Cette dernière semble me dire : « tu ne le sais pas, mais tu es toi aussi atteint de troubles de déficit de l'attention et ces vidéos sont là pour te mettre sur la voie ».

Il faut dire que le contenu de ces vidéos a de quoi attirer le chaland. Les vidéos mettent en scène des traits de personnalité dans lesquels on a très envie de se reconnaître. Moi aussi je remue la jambe quand je suis concentré (TikTok m'apprend que ça s'appelle l'akathisie). Moi aussi je déteste être mis en attente. Moi aussi je suis comme paralysé et n'arrive pas à travailler quand j'attends un rendez-vous médical ou une livraison prévue à une certaine heure. Et moi aussi, je fais beaucoup de choses en même temps et je me passionne de manière fugace pour un sujet. Un peu comme un test de personnalité qui me correspond à chaque fois, les vidéos de ce type fonctionnent, car elles semblent parler à beaucoup de monde. Il suffit de voir les audiences des hashtags #adhd (30 milliards de vues) ou #tdah (3,7 milliards de vues) pour comprendre l'ampleur du phénomène et l'intérêt qu'il suscite.

Éveiller les consciences en France

Camille, 29 ans, fait justement partie de ces tiktokeurs qui ont intégralement tourné leur contenu vers les TDAH. Sur son compte Cerveau TDAH, iel explique depuis un an en quoi consiste l'hyper concentration dans laquelle iel peut se plonger, pourquoi ses troubles le font parler vite et beaucoup, ou bien comment iel souffre de dysfonction exécutive, un syndrome qui fait que certaines taches peuvent paraître insurmontables. Cette mise en ligne presque frénétique de vidéos (on en compte 344 en l'espace d'un an) s'explique selon iel par un besoin de rendre ce trouble plus visible en France. « J'ai été en errance médicale de mes 7 à mes 27 ans, raconte Camille. On m'a diagnostiqué anxieux et dépressif chronique et on me disait que tout ça, c'était dans ma tête et tant pis si j'avais du mal à vivre. À l'occasion du confinement, j'ai passé du temps enfermé avec mon compagnon qui est neuroscientifique et c'est lui qui m'a suggéré d'aller faire une consultation pour du TDAH, un trouble dont je n'avais jamais entendu parler avant. J'étais en Espagne à ce moment-là et même si le parcours a pris du temps, car on sortait du Covid, on m'a diagnostiqué facilement et j'ai pu avoir accès à un traitement qui m'a fait comprendre après 20 ans ce que ça faisait de vivre normalement. Les médecins espagnols étaient très étonnés que les psychiatres français n'aient rien vu, et pourtant j'en ai consulté beaucoup. Je me suis dit qu'il devait y avoir plein de gens en souffrance comme moi en France et qu'il fallait faire quelque chose pour donner plus de visibilité au TDAH ».

@cerveautdah

Ça ne se voit pas de l'extérieur mais quand on est en dysfonction exécutive, dans notre cerveau ça hurle. On culpabilise et résultat non seulement on ne fait pas la chose mais en plus on s'épuise sans se reposer ni se divertir. Du coup non, avoir du Tdah ce n'est pas "juste avoir la flemme" #CapCut #tdah #pourtoi #tdahtiktok #tdahadulte #cerveautdah #conseilstdah #tdahfrance #tdahfemme #inattention #inertie #santementale #France #hyperactivité #distraction #flemme #dysfonctionexecutive

♬ original sound - CerveauTDAH

Glamouriser le TDHA

Si le compte de Marie est bien documenté et donne de bonnes informations sur les symptômes de TDHA, on peut dire que qu'elle est l'une des rares à faire correctement ce travail. Quand on parcourt une large portion de vidéos consacrées à cette thématique, on tombe surtout sur des mises en scène dramatiques ou glamour du déficit d'attention.

@nadout22

Pour ceux qui me connaissent vraiment. Me comprendront. #tdah

♬ son original - Nadège Tremblay

La maladie est présentée au choix comme un superpouvoir, ou bien comme une malédiction censée faire monter les émotions et les larmes. Dans les deux cas, elle permet à ceux qui font les vidéos et ceux qui s'identifient à leurs contenus de se sentir spéciaux et différents. Pour Jean-Victor Blanc, médecin psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine et auteur du livre Pop & psy, le TDAH ainsi que le trouble du spectre autistique (qui vont parfois de pair), ont bénéficié d'une vraie mise en avant ces dernières années. « On voit ces troubles de plus en plus souvent mis en scène dans des films et des séries, explique-t-il. Ils sont moins stigmatisants qu'une schizophrénie ou que des troubles bipolaires. En France, la question est encore plus complexe, car on a eu un manque de formation sur ce sujet, notamment quand les symptômes concernent les adultes. Avec la surexposition actuelle, il y a beaucoup de gens qui pensent avoir des troubles, d'autres qui s'identifient juste à de vagues traits de personnalité, et tous prennent des rendez-vous, surchargeant les centres de diagnostic. »

Pour Camille, l'effet TikTok n'est pas non plus à négliger. « La plateforme crée un gigantesque effet Barnum, explique-t-elle. C'est un biais cognitif qui fait que les gens s'identifient très facilement à des descriptions floues. C'est sur cet effet que reposent les horoscopes notamment. Pour l'éviter, je rappelle souvent à mes viewers qu'il faut consulter le DSM5 (le manuel officiel de diagnostic des troubles mentaux et psychiatriques) et vérifier si l'on coche les cases avec des exemples concrets et répétés dans le temps. Ça sert de base pour aller consulter ensuite. » Mais pour iel, il n'y a aucun mal à revendiquer une forme de fierté vis-à-vis de ce trouble. « C'est comme pour les LGBT qui expriment leur identité en ligne ou dans les Pride, indique-t-elle. C'est une question de retournement de stigmate. On nous a dit pendant toute notre vie qu'on n’était pas normal et qu'il y avait quelque chose qui clochait. Avec ces vidéos je revendique ma différence. »

Le business juteux de l'Aderall

Au-delà de cette revendication. La manière qu'a TikTok de transformer le moindre comportement et trait de caractère en pathologie mentale mérite d'être interrogée. Cette manie qu'ont les réseaux à nous diagnostiquer tout et n'importe quoi pourrait venir d'une « buzfeedification de la santé mentale et de l'identité ». Cette notion imaginée par l'écrivain P.E. Moskowitz fait référence au média célèbre pour ses quiz de personnalité et à la mécanique de catégorisation qu'opère Internet sur nous. D'après ce dernier, le sentiment d'insignifiance que l'on ressent quand on est connecté au Web nous incite à nous regrouper par microcommunautés au sein desquelles nous trouvons confort et acceptation.

Mais il existe une autre raison pour laquelle tout le monde est devenu ADHD sur TikTok. D'après une enquête de Vox, les prescriptions d'Aderall, le médicament utilisé pour traiter les troubles de l'attention, ont augmenté de 25% entre 2020 et 2021 sur la tranche des 22/44 ans. La raison de ce succès ? L'émergence des plateformes numériques dédiées à la santé mentale comme Cerebral qui ont recruté des centaines de milliers de patients pendant les confinements et qui permettent de délivrer rapidement des ordonnances d'Aderall. Or pour maintenir un flux de patients, une fois passée la pandémie, quoi de mieux que de pousser sur les plateformes sociales les plus populaires du moment de la publicité qui se trouve mélangée à un flux continu de publications faisant la « promotion » de cette maladie. C'est ce qu'a fait la startup Cerebral en dépensant 13 millions de dollars sur TikTok en 2022. De son côté l'application Done totalement centrée sur le ADHD, a dépensé 3,4 millions de dollars sur la plateforme sur la même période. Cet argent inonde les influenceurs ADHD les plus puissants de la plateforme comme Krista London (400 000 abonnés) ou Reece Palamar (775 000 abonnés) et qui n'hésitent pas à faire de la réclame sans indiquer qu'il s'agit de post sponsorisés et sans forcément prendre de précautions scientifiques.

D'après une étude publiée dans The Canadian Journal of Psychiatry, plus de la moitié des 100 vidéos les plus populaires de la plateforme sur le sujet étaient trompeuses et seules 21 % étaient jugées utiles. La preuve que TikTok n'est pas un très bon conseiller médical, mais plutôt un miroir de fête foraine pouvant renvoyer une image déformée de notre propre psyché.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Martin dit :

    Dommage, l'intitulé et la conclusion ignorent completement l'effet positif des reseaux sociaux dans l'awareness de la santé mentale et l'effet positif des recherches de diagnostic par des gens en errance.

    Quitte à parler de désinformation ca aurait été bien de plutot parler de HPI et HPE qui sont pas de diags medicaux mais dont les hashtags sur tiktok sont viraux plutot que de s'attaquer à une population qui vit déja une discrimination médicale et sociale, ou parler des algorithmes de tiktok, youtube, twitter et instagram qui priviliégient les informations controversées qui font du buzz et gardent les gens sur la plateforme pour pouvoir vendre plus d'espace de pubs a la place de privilegier l'info médicale qui est aussi donnée par plusieurs comptes que ce soit en francais ou en anglais (@docamen @dr.brein @brain.curiosities @bdccarpenter)

    La ca fait beaucoup boomer take sur les djeuns toujours sur leur telephone - mais les interview des personnes concernées et medecins au moins sont super interessantes!

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