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« Faire ses propres recherches » : l’injonction qui enfonce les internautes dans le complotisme

© montage © Ron Lach

Une étude montre que les recherches en ligne pour vérifier la véracité d’une fausse information ont tendance à renforcer sa crédibilité. 

« Bien sûr que la Terre est plate, que les extraterrestres ont construit les pyramides, et que le climat est contrôlé par l’État profond à l’aide des chemtrails. Réveillez-vous les moutons et faites vos propres recherches ! » Cette injonction à aller vérifier une théorie complotiste en farfouillant Google, on l’a tous reçu au moins une fois dans notre vie d’internaute. Outre la possibilité qu’elle offre d’affirmer tout et n’importe quoi sans jamais avancer aucune preuve, cette petite phrase permet aussi de donner un sentiment de supériorité à celui qui la lance, impliquant que lui, a fait ces fameuses recherches. D’une efficacité redoutable, cette demande incite les gens à plonger dans un « terrier de lapin » – une expression qui désigne une obsession liée à un sujet en particulier – au risque de perdre la notion du vrai et du faux.

Un peu plus loin de la vérité

On pourrait penser que faire quelques recherches sur Google permet généralement de tomber sur des sources crédibles qui permettent de décrédibiliser la théorie du complot ou la fake news. Il n’en est rien. D’après une étude publiée dans Nature et menée par Kevin Aslett, professeur adjoint à l'Université de Central Florida, les recherches menées en ligne pour vérifier la véracité d’une fausse information ont tendance à renforcer la crédibilité de cette dernière. Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont donné à cinq groupes d’internautes plusieurs articles de presse dont beaucoup avaient été jugés faux par des fact-checkers. Les participants devaient lire les articles et effectuer une recherche en ligne pour évaluer leur véracité. Cette méthode a augmenté de 19 % la probabilité pour qu’un article bidon soit considéré comme vrai. Dans les cas où les internautes devaient estimer la véracité d’un article avant de faire une recherche, les résultats sont encore plus éloquents. 17 % de ceux qui estimaient qu’une information était fausse changeaient d’avis et crédibilisaient la fake news après « avoir fait leurs propres recherches ». Le chiffre passe à 18 % si l’article est plus ancien et passe même à 20 % quand il s’agit d’un sujet sur le Covid.

Tomber dans un « vide de données »

Pour expliquer cette constance, l’étude s’appuie sur le concept du data void ou « vide de données », découvert en 2018 par les chercheurs Michael Golebiewski et Danah Boyd. Il s’agit de requêtes ne contenant pas ou peu d’informations et qui donnent peu de résultats sur les moteurs de recherche comme Google. Ces vides de données sont aussitôt occupés par des médias, vidéos ou blogs complotistes qui vont profiter de l’aubaine pour saturer cet espace avec des informations redondantes. L’aspect « extraordinaire » de ces histoires donne un ensemble de mots-clés peu référencés qui vont mener tous ceux qui les tapent dans une barre de recherche. 

L’exemple du pizzagate

L’histoire du pizzagate en est l’exemple parfait. Pour rappel, il s’agit d’une rumeur partie du piratage de la boîte mail d’Hillary Clinton pendant la campagne présidentielle américaine de 2016. D’après cette rumeur, les pontes du parti démocrate se réunissaient dans les sous-sols de la pizzeria Comet PingPong de Washington pour pratiquer des rituels pédosataniques. Avant l’éclatement de cette fake news, il aurait été impossible de trouver quoi que ce soit en tapant les mots-clés « Comet pingpong, Hillary, viol, enfant, sataniste, sous-sol ». Avec la viralité toujours plus grandissante de cette histoire, cet enchaînement de requêtes a commencé à faire sens pour Google qui a répertorié les différentes pages web, complotistes, qui les évoquaient. Étant donné que les éditeurs de fake news et de théories du complot ont une certaine maîtrise de l’optimisation des mots-clés pour faire ressortir leurs articles, ils arrivent à créer une sorte de couloir d’articles et de médias ne présentant que leur point de vue de l’affaire. Un récit de l’ampleur du pizzagate finit toujours par être débunké et au bout d’un certain moment, les articles journalistiques de factchecking finissent par prendre la première place dans les requêtes. Mais étant donné que la plupart des fake news sont fabriquées de manière industrielle, la plupart ne donnent pas naissance à un article contradictoire et peuvent donc rester maîtres de leur niche écologique médiatique. 

« Je connais le "Google-Fu" »

Pour éviter de tomber dans ces pièges tendus par les complotistes il n’y a pas 36 solutions : il faut améliorer son « Google-Fu ». Ce mot-valise dérivé du terme kung-fu et qui désigne les compétences numériques et notamment la capacité à faire de bonnes recherches sur Google. D’après l’étude, les internautes ayant le « Google-Fu » le plus bas ont tendance à copier-coller directement les titres d’articles fake news dans la barre de recherche Google, ce qui mène pour 77 % d’entre eux vers d’autres contenus trompeurs qui vont valider la fausse information. Ce chiffre tombe immédiatement à 21 % quand il s’agit d’une requête différente. On en revient donc au même constat : quand il s’agit de lutter contre la désinformation et le complotisme, l’éducation aux médias numériques est sans doute la meilleure des solutions à long terme.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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