l'eannimateur de TPMP avec un air soucieux

TPMP, « la machine d’abrutissement du débat public »

Dans son essai Touche pas à mon peuple, l’historienne des médias Claire Secail revient sur les multiples transformations de l’émission de Cyril Hanouna : du talk-show trash à un outil de sape de notre démocratie.

Humiliation à coups de nouilles dans le slip, menaces violentes, et sentiment d’impunité totale. Depuis de nombreuses années, Cyril Hanouna a réussi à devenir un objet médiatique clivant et omniprésent. Son émission Touche pas à mon poste garde cette image de show télévisé de divertissement populiste. Pourtant, elle a largement évolué au fil de ses 14 ans d’existence. Si elle a su garder un vernis de talk-show trash et presque inoffensif, TPMP a opéré une mue sociétale et politique qui nivelle par le bas le débat démocratique et penche clairement vers les idéologies d’extrême droite. 

Plongée dans 370 heures de TPMP

Ce postulat, c’est celui de l’historienne des médias et chercheuse au CNRS, Claire Secail, qui vient de sortir l’essai Touche pas à mon peuple aux éditions Seuil Libelle. Pour mieux décrypter les mécanismes de cette émission et retracer son évolution, elle s’est immergée dans son univers et a visionné près de 370 heures d’archives. Un travail « qui lessive » d’après ses propres termes. « Je n’ai jamais vu une émission évoluer autant, explique-t-elle. On peut vraiment identifier plusieurs périodes. À son lancement en 2010, c'est une émission avec des chroniqueurs qui donnent leur avis. C'est entre 2015 et 2016 que Cyril Hanouna commet ses premiers dérapages et doit faire de la réparation d’image. Il va recruter des gens comme Rachid Arhab, ancien membre du CSA pour pouvoir être cadré. Le chroniqueur ne restera pas longtemps et le regrettera. Cyril Hanouna va également inviter plusieurs associations qui luttent contre les discriminations, notamment l’homophobie. Il commence à s’ouvrir sur des questions de société. Ça coïncide avec l’arrivée de Marlène Schiappa qui a fort bien compris qu’elle pouvait placer son agenda politique sur l’émission. C'est vers 2018 que l'émission semble être enrôlée dans le projet idéologique de Vincent Bolloré. Mais TPMP n’est pas encore taillé pour ce projet. Cyril Hanouna va donc créer Balance ton poste, une émission qui va se pencher sur des sujets de société avec des thématiques très axées sur le communautarisme, l’avortement, la place de la religion catholique... Des sujets conservateurs que l’on retrouve régulièrement sur CNews. En 2018, le mouvement des Gilets jaunes va être souvent mis en avant dans TPMP. La mue s’achève vers 2021 avec l’arrivée de plus en plus régulière de personnalités politiques issues de l’extrême droite. »

« Mes petites chéries »

En parallèle de ces changements, TPMP va aussi mettre en scène son audience et son public comme la figure du « peuple ». Mis à contribution dans des sondages sur les réseaux sociaux, choyé par Hanouna (« mes chéris ») et pris en exemple par les chroniqueurs sur n’importe quel sujet de société, ce peuple imaginaire est placé au centre de l’émission et sert de caution à son présentateur qui devient une sorte d’intermédiaire entre les « petites gens » et les puissants. Claire Secail indique que son audience est effectivement composée de jeunes issus de catégories populaires et votant généralement pour des partis antisystème. Mais l’historienne dénonce aussi l’instrumentalisation de ce public à l’avantage d’Hanouna. « En invitant les Gilets jaunes sur le plateau, Hanouna a pu se forger une forme de légitimité populaire, explique-t-elle. Ils ont cristallisé l’idée selon laquelle il était un représentant du peuple. C’est un travail très politique, car quiconque critique l’émission critique le peuple. Le seul souci, c’est qu’il n’a jamais mis en avant les aspirations de ce fameux peuple. Il n’a eu de cesse de défendre le gouvernement durant les émeutes et au moment de la présidentielle, il n’a jamais évoqué le pouvoir d’achat sur le plateau alors que c’était le sujet de préoccupation numéro 1 des Français. »

À droite, toute !

Fort de cette nouvelle légitimité, Cyril Hanouna dès 2019 va opérer une bascule vers l’extrême droite. Dans Balance ton poste, il invite Jean Messiha, haut fonctionnaire au ministère de la Défense, homme politique et polémiste français d'extrême droite, qui deviendra chroniqueur régulier sur TPMP à partir de 2021. Il interviewe Jean-Marie Le Pen à son domicile, comme un « papi cool », en lui faisant jouer le jeu du « Darka/Rassrah » (j’aime ou j’aime pas). Toujours en 2021, Jordan Bardella aura les honneurs du plateau de TPMP six fois en six mois. Mais c’est surtout Éric Zemmour qui va profiter des largesses de l’animateur avec un temps d’antenne écrasant entre septembre et décembre 2021. Au-delà des invités, ce sont surtout les sujets et les modalités des débats d’opinions entre chroniqueurs qui vont contribuer à ouvrir la fameuse fenêtre d’Overton (une allégorie selon laquelle certaines idées sont plus ou moins acceptables à un instant T). Climatoscepticisme, appel à la peine de mort et à une justice expéditive, soutien des policiers face « aux racailles », discours anti-avortement : TPMP embrasse largement la ligne éditoriale de CNews et met toutes les opinions au même niveau. Alors qu’il pense tenir le rôle de « grand frère » qui voudrait ramener les plus jeunes vers les sujets de société et la citoyenneté, Cyril Hanouna finit surtout par niveler par le bas et même dévoyer le débat démocratique en dépolitisant continuellement les enjeux. À partir du 3 février 2024, TPMP va passer à un rythme de diffusion de 7 jours sur 7 contre 5 jours actuellement. De quoi saper un peu plus les fondements de notre démocratie.

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.

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commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Pas d'accord avec cet article, pas objectif. Dommage d'avoir gaspillé 370 pour se tromper comme ca.

  2. Avatar Rrroulio dit :

    J'ai du regarder environ 1h d'émission répartie sur toutes ces années. A chaque fois, j'étais affligé. Je n'ai lus la TV et quel plaisir de zapper tout ça sur les réseaux. 370 heures de TPMP, la pauvre... Merci pour cette analyse Claire Secail. Malheureusement, j'ai pu également remarqué un changement sur Europe 1 depuis 2 ans, avec l'émission de l'ancienne gloire de TF1 qui y sévit en début de soirée. L'objectivité du journaliste, mais qu'est-ce que c'est, passez votre chemin... Un virage similaire à ce qui est décrit dans cet article, même pas très subtile. C'est tellement tentant de se laisser séduire. Il me semble que les réseaux sociaux ont donné le ton. Comment, aujourd'hui, un jeune de 16 ans peut-il faire la différence?

  3. Avatar sibylle de Villeneuve dit :

    Excellent résumé. Merci bcp

  4. Avatar Anonyme dit :

    Alors je ne comprends vraiment pas comment on passe de "TPMP a une ligne d'extrême droite", qui monopolise 95% du contenu de cet article, à "donc TPMP dévoit la démocratie"

    Tout l'enjeu d'un tel essai, et donc de l'article qui en fait le résumé est d'expliquer justement en quoi les mécanismes utilisés dans son émission ont un impact sur la dite démocratie : polarisation du débat, compétences très limités de ses intervenants, piètre qualité dialectique des échanges...
    Même parler de la structure sociale offerte par l'émission, avec un furieux dictateur qui joue avec ses marionnettes aurait été intéressant ici.

    A moins que l'objectif est ici d'amalgamer l'extrême droite et l'absence de démocratie: si il y a un fond de vrai, peut être un jour accepterez vous que dans un pays qui vote à 40% bleu foncé, cet argument est très dur à défendre et est contre productif.

    En bout de chaine, on a un article court, pas clair, avec un titre bien putaclick pour générer du trafic. L'ADN m'a habitué à mieux.

  5. Avatar Anonyme dit :

    Je viens de découvrir votre interview , une semaine après la dissolution de l'assemblée, elle tombe à point nommé. Depuis bien longtemps je supposais un lien entre ce type d'émission, parmi tant d'autres et la déconstruction de la pensée qui en découle tout comme l'appauvrissement du langage qui en émane. Le résutat est sous nos yeux, la construction d'un électorat d'extrême droite alimenté car diffusé par des médias abjectes qui ont basculé vers un papotage terrifiant de vide.

  6. Avatar Nath dit :

    J'ai honte, je me suis faite berner par cette emission très longtemps, sans me rendre compte du travail de sappe pour l'extrême droite qu'ils operaient envers le public.
    Je ne la regardais pas tout le temps et a l'époque je ne m'informais pas de l'actualité, trop de choses à faire,femme seule avec deux enfants, en difficulté financière.
    Je suis pourtant intelligente et cultivée... La preuve qu'ils peuvent habilement tromper les gens.
    Pour moi c'etait l'image d'une émission sympathique, agréable à regarder apres l'eprouvante journée de travail et les enfants à s'occuper.
    On retient l'antenne des gilets jaunes. On pense qu'il est là pour aider les inégalités, qu'il a de la gueule pour defendre les pauvres gens et pour certains une légitimité à peut etre se presenter aux presidentielles
    ( où va-t-on ?). Il est vu par un sauveur par les auditeurs incultes ou manipulés ( comme moi )...
    Heureusement je me suis informée dans les journaux qui ne sont pas politisés, et autres du centre-gauche.
    Et bien je suis écœurée de cet homme, de ses chroniqueurs, des idées qu'ils vehiculent devant des millions de français, car maintenant j'entends et je vois les techniques de manipulation qu'ils opèrent.
    Voilà, mea-culpa pour mon ancienne passivité des vraies infos, et le regard neuf, libertaire et démocratique de ce qui se passe devant nos yeux.
    J'essaie de les leur faire ouvrir à certaines personnes faisant partie de mon entourage, mais c'est peine perdue car ils défendent farouchement l'animateur car pour eux, apres une journée de travail, ça les fait se divertir dans un faux cadre de bienveillance.
    Maintenant je me bats contre les dictateurs, j'ose parler tout haut et defendre le droit des femmes, en etant bienn informée de ce qu'il se passe réellement autour de nous.

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