Du JT de TF1 au plateau de Léa Salamé, Charles Sobhraj, dit « le Serpent » fait librement la promotion de sa biographie. Les tueurs en série ont-ils toujours été glamourisés à la télé ?
« Il y a eu beaucoup d’accusations, certaines sont vraies, d’autres sont fausses[…] je veux dire ma vérité. » Ce samedi 11 février, il a flotté une drôle d’ambiance sur le plateau de Quelle époque !. L’émission présentée par Léa Salamé avait invité Charles Sobhraj, plus connu sous le pseudo du Serpent, pour parler du livre qui raconte sa vie. Accompagné de son avocate et du journaliste d’enquête et documentariste Jean-Charles Deniau (le coauteur du livre), l’homme qui a passé près de 40 ans derrière les barreaux pour le meurtre d’au moins 9 personnes a pu dérouler son histoire alternative. D’après lui, il n’aurait jamais tué personne, aurait été accusé à tort à cause des médias et aurait volé des passeports, car il était un espion pour la CIA. Il compte d’ailleurs porter plainte contre Netflix qui a consacré une série au personnage avec Tahar Rahim dans le rôle-titre.
Attiré par la lumière médiatique
Ce n’est pas la première fois que Charles Sobhraj apparaît à la télévision française. Le 5 février, il a donné une interview en exclusivité à Harry Roselmack pour l’émission Sept à huit. Quelques jours plus tard, il est sur BFMTV. Cette mise en lumière médiatique n’est pas nouvelle. À la fin des années 1990, alors que le Serpent a fini de purger sa première peine de prison en Inde, il revient s’installer à Paris et donnera de nombreuses interviews contre une rémunération de 6 000 euros environ. Cette pratique qui consiste à payer des personnalités sulfureuses pour une interview est monnaie courante dans de nombreux pays (sauf en France), et d’autres criminels et assassins avant lui ont pu bénéficier de ce type de traitement. C’était notamment le cas d’Issei Sagawa, le « Japonais cannibale » qui fut arrêté à Paris en 1981 après avoir tué, puis mangé sa petite amie suédoise. Une fois retourné au Japon, le meurtrier a pu vivre grâce à ses interventions médiatiques et sa participation à des émissions de télé ou des films soft porno, grassement rémunérés.
Une interview presque trop normale
Le véritable malaise de cette interview tient dans son traitement. Les émissions de plateau sont généralement l’occasion de donner la parole à des personnalités au centre de l'actualité, des politiques, ou des artistes à l'occasion d’une promotion. Arrivée après un Dominique de Villepin ou un Philippe Lachau, l’interview du Serpent est trop « normale » pour ne pas provoquer une sensation de gêne. Est-ce à cause de la série Netflix ou parce que sa double condamnation ne laisse aucun doute sur sa culpabilité ? Mais ce malaise peut aussi s’expliquer par un autre phénomène qui a plus à voir avec l’évolution des traitements médiatiques liés à la criminalité.
Une « glamourisation » du crime ?
Traditionnellement, les médias français donnent la parole aux victimes, aux proches et aux avocats des criminels pour raconter ce type d’histoires. En revanche, dans les médias anglo-saxons, les documentaires et podcasts true crime tendent le micro aux assassins et aux escrocs présumés ou reconnus coupables. L’émission Real Story produite par la BBC en est un parfait exemple quand elle interview des meurtriers pour les confronter aux faits. Mais difficile pour autant de parler là de glamourisation.
En voulant aller sur la même voix, les médias français sont-ils en train de commettre l’erreur qui consiste à rendre ces personnages attrayants ? On peut trouver un élément de réponse dans les interviews données par Marco Mouly en 2022 pour les émissions Touche pas à mon Poste et Clique. Reconnu coupable dans l’affaire de la fraude à la taxe carbone, cet escroc à la verve truculente assume ses magouilles, s’enorgueillit de voir un documentaire Netflix consacré à son histoire tout en minimisant son méfait. Si l’interview de TPMP se fait sur un ton inquisiteur avec un public silencieux, elle n’empêche pas une certaine mise en valeur d’un homme qui a participé à l’un des plus grands vols d’argent public jamais réalisé. Dans les commentaires, on restera partagé entre une forme d’admiration pour un personnage plus grand que nature et un dégoût de voir cette personne libre s’exprimer à la télévision. La vidéo fera, quant à elle, 2 millions de vues. C’est finalement tout ce qui semble compter.
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