Une forêt avec une ville en fond

Végétaliser les villes n'est pas suffisant, il faut les rapprocher de la nature

© Un Liu

Pour faire face au réchauffement climatique, la végétalisation est en train de faire naître un modèle urbain biodiversifié et régénérateur. Quelles sont les caractéristiques de cette évolution ?

Philippe Clergeau est professeur émérite au muséum d'histoire naturelle de Paris, et directeur du Centre d'écologie et des sciences de la conservation (CESCO). Il est responsable des programmes pluridisciplinaires nationaux sur les trames vertes urbaines. Il est également expert consultant en écologie urbaine et collabore avec des municipalités, des paysagistes et des architectes pour mettre en œuvre des programmes de végétalisation. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet. On lui doit notamment Une écologie du paysage urbain, Manifeste pour la ville biodiversitaire et Urbanisme et biodiversité, parus respectivement en 2007, 2015 et en 2020 aux éditions Apogée.

En ville, la végétalisation est devenue un passage obligé pour apporter une réponse à l'augmentation des températures. Où en est-on concrètement ? Quel bilan peut-on tirer ?

Philippe Clergeau : Depuis plusieurs années, la végétalisation fait clairement partie du programme de toutes les municipalités. La plupart du temps, elles vont mettre en place un plan vert, un plan canopée, un plan biodiversité... Les problèmes liés aux canicules, avec une ville qui devient proprement invivable, ont accéléré ce processus car les plantes et les arbres apportent de la fraîcheur et améliorent significativement la santé des citadins.

Cependant, la réalité des actions n'est généralement pas à la hauteur des enjeux. Le plus souvent, les municipalités vont faire pousser des platanes et des marronniers, toujours les mêmes espèces, sans avoir une réflexion à moyen ou long terme, alors que l'augmentation des températures fait peser un risque sur la survie de ces arbres, qui boivent beaucoup d'eau. Les stratégies de végétalisation doivent nécessairement tenir compte de l'évolution du climat. La durabilité de ce qui est planté doit rentrer dans la réflexion. Il y a donc urgence à diversifier le choix des espèces.

Il faut essayer de reproduire les écosystèmes tels qu'ils existent dans les forêts et dans les prairies, de retrouver les mêmes fonctionnements, les mêmes processus physiologiques. Il faut être beaucoup plus vigilant sur l'organisation des plantes entre elles, sur la façon dont on les fait pousser, sur la façon dont l'une va interagir avec l'autre. Rendre la ville durable nécessite de se rapprocher de la nature.

Ce qu'il faudrait, c'est une ingénierie de la végétalisation adaptée à chaque ville, car il peut y avoir des contraintes spécifiques en fonction de la densité urbaine, des réseaux souterrains, de la dimension patrimoniale du bâti... N'y a-t-il pas un manque de conseil ?

P.C. : Ça demande du conseil, tout à fait d'accord. Cependant, il y a aujourd'hui une volonté politique forte de faire bouger les lignes. Il y a des villes qui, comme Versailles ou Niort, ont eu une démarche différente en posant dès le début la question de savoir comment planter demain. Après, on ne peut pas faire de la végétalisation partout. D'ailleurs, ce n'est pas vraiment souhaitable. Tout est une question de seuil. Il faut faire les bons choix. Il faut tenir compte de ce qui existe, et l'adapter de la façon la plus pertinente possible.

La montée en puissance de l'agriculture urbaine, qui est une composante de la végétalisation, est également un moyen pour produire un modèle de ville durable. À ce titre, le développement des cultures semble inévitable pour renforcer la résilience alimentaire des métropoles...

P.C. : Certes, mais le problème reste toujours le même. Il sera difficile de nourrir les citadins avec l'agriculture urbaine. De la même façon que la biodiversité urbaine n'est pas l'avenir de la biodiversité, les cultures intra-muros ne pourront subvenir qu'en partie aux besoins des grandes agglomérations. C'est essentiellement de la production de rapports, avec des denrées qui sont beaucoup plus fines que des patates ou du blé.

Rappelons d'ailleurs que les premiers objectifs de ce mouvement étaient avant tout sociaux. Il fallait reconnecter les citadins à la nature, créer du lien entre eux, leur donner la possibilité de mettre les mains dans la terre. Rappelons également que les villes manquent d'espaces... Depuis peu, les toits terrasses, qui représentent des superficies considérables, sont mis à profit pour y installer des plantations. À New York et à Montréal, ce type de dispositif permet d'alimenter une petite épicerie située en dessous des zones de culture. C'est un phénomène ponctuel.

Je ne pense pas qu'on pourra aller très loin dans cette voie, mais l'agriculture urbaine est intéressante car elle fédère beaucoup d'objectifs de la ville de demain, le lien social, la nature, la pleine terre, la production alimentaire, la biodiversité, la lutte contre les infiltrations d'eau... C'est peut-être davantage dans le périurbain qu'on reviendra aux notions de maraîchage, avec des ceintures de production de denrées qui seront structurées et efficaces. Cela existe déjà. Ce sont les P.A.T, les plans alimentaires territoriaux. En termes de rendement, c'est beaucoup plus intéressant que les jardins partagés. Cela permet notamment d'approvisionner les cantines.

Ce qu'on voit émerger de plus en plus, c'est le modèle d'une ville régénératrice, économe en ressources, circulaire, désartificialisée, bio diversifiée, capable d'emmagasiner l'eau de pluie dans le sol pour faire face au stress hydrique... C'est le modèle de demain ?

P.C. : Oui, tout à fait. L'idée, c'est de se rapprocher du fonctionnement des écosystèmes, avec tout un ensemble de processus circulaires et de chaînes alimentaires intégrées dans une boucle écologique. C'est ce qui fait que lorsqu'un écosystème est en partie détruit, il peut se régénérer.

Il y a aussi cette idée que la nature est nécessaire au bien-être de l'être humain... Il y a la question de l'énergie, de la gestion des déchets, du recyclage de l'eau, de l'alimentation, de tout ce qui constitue le métabolisme urbain, qui est à prendre en compte. Parce qu'on sait mesurer les émissions de carbone et la production d'énergie solaire, mais dès qu'on parle de biodiversité, il est difficile de mettre au point des indicateurs. Or, c'est bien un ensemble qu'il faut gérer. Il faut apprendre à organiser la ville en y intégrant le vivant. Pour cela, il va falloir inventer une autre forme de gestion des flux.

Afin de renforcer les principes de circularité, de régénération et de résilience, est-ce qu'on va aussi vers un modèle de ville beaucoup plus poreux avec son environnement immédiat, avec les écosystèmes et les terres agricoles situés à proximité... ?

P.C. : Oui, bien évidemment. Si on veut limiter les effets négatifs de la mondialisation, notamment sur notre alimentation, il faut remettre en place des systèmes de production à petites et moyennes échelles et les rapprocher le plus possible des métropoles. En développant les circuits courts et en favorisant l'économie circulaire, il est possible à la fois de limiter l'étalement urbain et de gagner en résilience.

Quelles nouvelles synergies entre la nature et la ville pourraient apparaître demain ?

P.C. : Il y a deux échelles à prendre en considération. La première est locale. C'est le jardin. Quelles espèces choisir ? Comment les planter ? Ce sont des choses qu'on sait faire.

La seconde est globale. Il faut développer les continuités écologiques, qui sont une autre forme d'espace vert que celui fermé avec des grilles. Il y a de plus en plus de villes, comme Rennes ou Metz par exemple, où la façon d'aménager permet aux gens de circuler dans les quartiers, de faire du vélo pour aller du centre jusqu'à l'extérieur, ce qui favorise la dispersion des espèces végétales et animales. Il faut désormais planifier la végétalisation à grande échelle avec un modèle qui tiendra dans le temps. 

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commentaires

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  1. Avatar Charles dit :

    Excellent!
    Replace enfin le problème, non au coeur du dogmatiste politique écologique- régressif et ruineux- mais du Village de la Biodiversité stratégique intelligente.
    En Suisse, nous avons Julien Perrot (La Salamandre),,,

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