
Une production locale 100% française, pour répondre aux attentes des consommateurs et sauver un tissu industriel sinistré, c’est le pari du Slip Français. Derrière la success story se cachent pourtant des difficultés. Alors, produire en France, est-ce si compliqué ?
Ces dernières années, vous avez difficilement pu passer à côté du Slip Français. La marque a fait beaucoup parler d’elle, autant pour son ton direct et ses campagnes de communication décalées que pour la personnalité de son dirigeant, Guillaume Gibault. Très courtisé par les médias, ce dernier incarne une certaine success story française portée par un modèle de production et de distribution original. Les DNVB (digital native vertical brands), du nom de ces marques natives du digital qui éliminent tous les intermédiaires et entretiennent une relation directe avec les consommateurs, voient en effet leur chiffre d’affaire décoller et leur succès se confirmer. Lancée en 2011, la marque le Slip Français réalise ainsi 30 millions d’euros de chiffre d’affaire et emploie 110 personnes en direct, et 220 dans 27 ateliers un peu partout en France.
La stratégie commune des marques nées en ligne pour convaincre les investisseurs https://t.co/9nxwCJyGUK #FrenchTech #eCommerce #DNVB pic.twitter.com/6j3a99dDj2
— ? ? (@frenchweb) May 10, 2019
Il faut dire que le Made in France suscite un intérêt réel. Tant auprès des consommateurs que des acteurs de la filière textile, qui encouragent les initiatives de relocalisation de la production. Cependant, pour parvenir à une production 100% française, il est nécessaire de franchir quelques obstacles. Mais le jeu en vaut la chandelle car, à la clé, se joue la survie d’une partie du tissu industriel français.
À l’heure de la mondialisation tous azimuts, se positionner sur le Made in France aurait pu être interprété comme un choix saugrenu. Quelle était votre intuition au lancement de la marque ?
GUILLAUME GIBAULT : Au tout début ce choix correspondait à un positionnement marketing. De manière pragmatique, je considérais qu’il était plus pratique pour moi de bosser avec un fabricant situé en Dordogne, à trois heures de train, qu’avec un atelier de fabrication à l’autre bout du monde. Il s’agissait à ce moment-là d’aller vite, car mon idée de départ tenait en une équation : savoir-faire produit + artisanat + made in France, le tout appliqué à un produit décalé. À cette époque, je ne me doutais pas encore que ça allait me coûter quatre fois plus cher !
La première collection du Slip Français, je l’ai donc ramenée dans le coffre d’une voiture de location, depuis cet atelier de Dordogne. J’avais l’intuition qu’avec les réseaux sociaux, on pourrait raconter l’histoire, et la montrer. De fait, on a vu très vite l’engouement du public autour du produit et de la marque. Le Slip Français, c’était presque une blague au début, et puis c’est devenu un nouveau modèle industriel à inventer.
Justement, puisqu’il est question d’un nouveau modèle industriel à inventer, quelle est la réalité du modèle actuel ?
G. G. : Dans l’industrie de la mode aujourd’hui, les grandes marques fabriquent avec un coefficient x8. Concrètement, lorsqu’une marque achète un produit à l’usine, elle le revend huit fois plus cher par la suite. Pour parvenir à de tels ratios, elles font fabriquer leurs produits dans des pays où le coût du travail est bas et où les normes de fabrication sont moins exigeantes : le Maghreb, la Chine ou le Bangladesh. Mais les chaînes de production sont déjà tellement saturées dans ces pays que certaines marques comme le groupe H&M lorgnent vers d’autres pays, comme par exemple la Somalie. En parallèle en France, où la législation interdit de vendre à perte, certaines marques se permettent d’afficher des réductions à -70%. C’est proprement scandaleux en termes de marges. On est donc dans une économie de volumes délétère.
Sur quelles variables se base cette économie de volumes ?
G. G. : La variable pour ces marques c’est le coût du travail, c’est ce qui explique que l’industrie textile en France ait été à ce point démantelée. Pour donner un exemple, dans les années 1990, la filière textile employait 460 000 personnes en France. Aujourd’hui, elle représente 60 000 emplois seulement. Depuis 2017, on voit ce chiffre remonter et se stabiliser. L’engouement autour des marques Made in France permet de redynamiser les ateliers de confection et de tissage.
Aujourd’hui, l’enjeu se situe dans la transmission des savoir-faire. On a un vivier d’ouvriers et d’ouvrières du textile très qualifiés en France, mais leur départ à la retraite approche très vite.
L’engouement du public est bien réel. Néanmoins, produire en France a un coût plus élevé. Dès lors, comment parvient-on à un modèle d’affaires à l’équilibre ?
G. G. : Pour cela il faut inventer un modèle différent, et donc réussir à vendre en direct. Concrètement, si le produit coûte quatre fois plus cher à la production, il faut donc être rentable en faisant quatre fois moins de marge. Cela oblige à être plus précis, à mieux anticiper les choses qui vont marcher.
Quelles sont les autres difficultés de la production Made in France ?
G. G. : Au début, il est difficile de trouver les bons ateliers. Souvent, on a en face de nous des entreprises familiales, parfois fragiles, car elles ont vu la plupart de leurs collègues mettre la clé sous la porte. Mais lorsque l’on arrive à tisser de vrais liens avec ces partenaires, on entre dans un processus de collaboration extrêmement fructueux. Nous travaillons par exemple avec les ateliers Lemahieu à Lille, pour toutes les étapes de la fabrication de nos sous-vêtements. Ils nous ont conseillé dans la fabrication des produits, ils nous ont même prêté de l’argent au lancement de la boîte.
Outre la dimension d’innovation et d’impact social, il y a évidemment la question de l’impact environnemental. On ne fait pas venir nos volumes en cargo ou en avion, donc on réduit notre empreinte carbone, mais derrière il faut mesurer l’impact environnemental de la fabrication des fibres : depuis la production du coton à la source jusqu'au transport de la matière première. La piste du coton recyclé reste d’ailleurs à approfondir. Le coton ne pousse pas en France, donc pour éviter de l’importer on pourrait s’appuyer sur les énormes gisements de matière textile disponibles. Il faudrait inventer la recette circulaire pour refaire une nouvelle fibre de coton à partir de cette matière première.
Et enfin, à l’autre bout de la chaîne, il faut faire de la pédagogie avec les clients : décortiquer les prix, expliquer la traçabilité des produits. Je suis persuadé que ceux qui font vraiment changer les choses, ce sont les clients. Il faut donc leur apporter la connaissance et l’information.
Où se situent les grands leviers d’innovation de l’industrie textile aujourd’hui ?
G. G. : L’enjeu aujourd’hui ce n’est pas d’aller plus loin et de faire moins cher, c’est d’automatiser la production en inventant la machine qui permettra d’aller plus vite et de faire mieux. Et grâce aux outils digitaux, on a les moyens de le faire. Ces investissements de productivité permettraient de résoudre la question du prix. Mais il y a encore une vraie rupture d’innovation à faire. Les premiers robots ou métiers à tisser numériques sont tout juste en train d’apparaître.
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