Un homme en train de se prélasser dans un fauteuil avec une guitare

Vous voulez être meilleur que vos concurrents ? Faites-en le moins possible !

La proposition de Morten T. Hansen, auteur et professeur en théorie managériale, est alléchante. Il la développe dans son dernier ouvrage, Great at work.

Petite immersion historique. En 1911, les explorateurs Roald Amundsen et Robert Falcon Scott se lancent à la conquête du Pôle Sud. L’un est norvégien, l’autre anglais. C’est Amundsen qui arrive en premier, alors que l’équipage de Scott meurt 14 jours plus tard – de froid, de faim et de fatigue.

Ça vous paraît hors-propos ? Pour Morten T. Hansen, c’est tout à fait significatif de ce qui se passe dans le monde professionnel aujourd’hui : à chances égales, qu’est-ce qui fait que certains leaders réussissent là où d’autres échouent ? Comment gérer les doutes dans un monde qui change ? Comment devenir le Roald Amundsen de votre temps ?

En faire le moins possible – et devenir un obsessionnel compulsif

Prenons le contexte de base – deux explorateurs bien décidés à faire la fierté de leur pays en étant le premier à planter un drapeau dans un bloc de glace. L’objectif est le même, mais les moyens employés pour y parvenir, eux, sont différents.

« À l’époque, Scott et Amundsen disposaient de 5 options pour déplacer leurs hommes et leur matériel. Des traineaux tirés par l’équipage, des skis, des chiens de traineaux, des poneys sibériens ou des motoneiges. Scott a choisi les 5 parce que son budget le lui permettait, explique Morten T. Hansen. L’avantage ? Si l’une des solutions n’est pas la bonne, il y a d’autres options. L’inconvénient ? Personne ne peut réussir à maîtriser ces 5 techniques parfaitement. »

Amundsen, de son côté, a choisi de se concentrer sur les chiens de traineaux. Il a misé sur les meilleurs chiens – et les meilleurs « pilotes » -, et les a entraînés sans relâche avant de partir en expédition. « Pour gagner quand on fait peu, il faut être le meilleur. Il a choisi un domaine spécifique et l’a maîtrisé comme personne ne l’avait fait auparavant. »

Le rapport avec le business ? Morten T. Hansen pense qu’il faut adopter la même stratégie : développer des objectifs très clairs, les réduire au maximum et apprendre à dire non. « C’est l’une des meilleures qualités dans le monde professionnel. »

En définitive, moins vous en faites, plus vous avez de chances d’être le meilleur dans votre activité. Essayez donc de vous concentrer sur une seule zone géographique plutôt que de vouloir être le maître de l’Europe. Réduisez votre to-do list au strict minimum et toutes les tâches seront accomplies plus vite. Plutôt que de développer 5 activités, consacrez votre énergie à une seule.

Histoire de vous convaincre que c’est la bonne chose à faire, il partage l’extrait d’une interview du maître en la matière. Mesdames et messieurs, Steve Jobs, sur l’origine de l’iPhone - réalisé au détriment de l’iPad alors que le projet existait avant :

« C’était plus important ». Voilà tout.

Poser les questions dans le bon sens

Morten T. Hansen est cash. Le problème des entreprises qui veulent innover, c’est qu’elles « ont de mauvais objectifs, et cherchent les mauvaises métriques. » Il explique que plutôt que de scruter les data à la recherche d’un problème à résoudre, il est bien plus intelligent de faire l’inverse. A savoir d’identifier un problème, puis de regarder comment les données accumulées peuvent permettre d’y répondre.

De son point de vue, on a tendance à toujours poser la question dans le mauvais sens. « Dans les hôtels, tout le monde se plaint de l’attente à la réception. Les directeurs des établissements en déduisent que les clients veulent des files d’attente moins longues. Faux ! Ce qu’ils veulent, ce n’est pas de file d’attente du tout. Ils veulent pouvoir arriver à l’hôtel et aller directement dans leur chambre sans passer par la case formalités. Et il y a des solutions pour arriver à ce type de propositions, précise-t-il. Je pense que d’ici 5 ans, il n’y aura plus de réceptionnistes : on recevra une clé directement sur notre portable. »

Indice de taille : en général, les problèmes ne peuvent pas être identifiés en se basant sur les données récoltées en interne. Il partage l’exemple du manager d’une société de livraison qui se félicitait que l’ensemble de ses camions partaient à l’heure (à 99%). Aucun problème de ce côté-là donc, du moins a priori. En réalité, 65% des clients se plaignaient que leurs colis arrivaient en retard. « Il y a une énorme différence entre les métriques internes et la valeur d’une société. Quand on part du problème plutôt que des données, on peut les résoudre. Dans ce cas précis, il s’agit d’optimiser la chaîne logistique grâce à des technologies prédictives. »

Collaboration organisée

Ça paraît tout bête dit comme ça… Mais fonctionner en équipe, et non en silos, est primordial pour être le meilleur. Morten T. Hanson rappelle le triste épisode de Sony Connect. Vous ne vous en souvenez pas ? Normal, il s’agit d’un des échecs les plus cuisants de l’entreprise. Lancé à peu près en même temps que l’iPod et iTunes, l’idée était similaire : un service de musique en ligne et un lecteur numérique. Apple, qui partait de zéro, a explosé les compteurs tandis que Sony, leader du marché, est resté sur la touche.

Ce qui a fait la différence ? La capacité d’Apple à réunir des équipes a priori éloignées autour d’un même projet. « Sony devait faire collaborer des équipes du Japon et des Etats-Unis. Certaines étaient dédiées aux PC Vaio, d’autres au Walkman, à la musique ou à l’électronique. Toutes étaient habituées à travailler en silos. »

Il identifie 4 freins à la bonne collaboration entre équipes – certains relèvent de la bonne (ou mauvaise) volonté des individus, d’autres de leur capacité à réussir :

  1. « Ça n’a pas été inventé ici »  : les équipes refusent de s’emparer d’un projet dont elles ne sont pas à l’origine. Cela crée des tensions d’un point de vue méthodologique et un rejet de « ceux qui viennent d’ailleurs. »
  2. Rétention d’informations : il existe toujours des compétitions indirectes entre les départements s’ils sont habitués à avoir des objectifs séparés… et les bonus qui vont avec ceux-ci. Dans ce cas, si j’ai à disposition la connaissance des données et/ou l’expérience (et donc le pouvoir), pourquoi les partager puisque je serais récompensé si je réussis seul ?
  3. Difficulté de trouver : plus une entreprise est grande, plus il sera difficile de créer la bonne équipe, l’expert nécessaire au projet, et les informations dont on a besoin. « C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. »
  4. Implosion des « équipes »  : promouvoir le travail d’équipe, quand on impose à des gens quasi-étrangers les uns aux autres de bien s’entendre, c’est compliqué. « Ça implose forcément à un moment donné. »

Pour les franchir, il suggère plusieurs pistes. La première, c’est de créer des objectifs communs, capables de transcender les départements (et pourquoi pas les continents), ainsi que des récompenses qui y seraient associées. La deuxième, c’est d’adopter, en amont des projets, des outils qui permettent de collaborer tout au long de l’année (Slack, vidéoconférence…).

Enfin, il s’agit de former continuellement les employés aux bénéfices des données. « Il y aura toujours un moment où l’expérience de certains se heurtera aux data des autres. Les entreprises regorgent d’individus dont la carrière repose sur l’intuition et l’expérience. Quand quelqu’un arrive avec un nouveau paradigme, appuyé par l’analyse de données, ça crée un clash de culture. Il y a besoin de créer une culture collaborative capable d’intégrer l’intelligence statistique ». 


Morten T. Hanson est intervenu sur la scène du Teradata Analytics Universe, à Las Vegas. En savoir plus.

Great at work, éd. Simon & Schuster (2018), 320 p.

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.

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