
Le « power posing », c’est l’idée qui nous a fait rêver qu’en adoptant les postures des super-héros (poings serrés sur les hanches l’air affirmé), on finirait par en devenir un. La proposition est alléchante et, étude à l'appui, avait rencontré un grand succès. Mais (grosse déception), tout ça pourrait n'être que du pipeau…
Amy Cuddy est une psychologue américaine. Son fonds de commerce ? Le langage corporel. Elle est celle qui a rendu populaire en 2010 le « power posing », cette théorie selon laquelle adopter une posture affirmée crée un bouleversement hormonal et induit un changement de comportement notable positif. Pour la faire courte : en vous comportant (corporellement) comme un gagnant, vous en devenez un instantanément.
Le discours séduit, au point que l’intervention d’Amy Cuddy sur la scène des TED Talks comptabilise près de 50 millions de vues et que les médias s’emparent du concept pour prodiguer à leurs lecteurs les conseils de la psychologue.
De son côté, elle est propulsée gourou du leadership et se voit offrir un job prestigieux à Harvard.
Problème : qui dit succès dit détracteurs, et ceux d’Amy Cuddy se réveillent petit à petit pour contrecarrer ce qu’ils qualifient de « pseudo-science ».
Crise de la reproductibilité
Le problème lorsqu'une théorie séduit, c’est que le grand public est prêt à la gober sans rechigner. Les profils académiques, en revanche, se font un devoir de débusquer les mythes. Évidemment, ça demande un peu de temps – histoire de mener des études de fond.
Ce qui s’est passé dans le cas du « power posing », c’est une « crise de la reproductibilité ». L’expression, qui fait référence à une crise méthodologique, exprime la difficulté ou l'impossibilité à reproduire des résultats d’études scientifiques. Depuis 2015, une dizaine de contre-études décrient la théorie d’Amy Cuddy – et particulièrement le changement hormonal. Même Dana Carney, co-autrice de la première étude aux côtés de cette-dernière, finit par admettre que les effets hormonaux du « power posing » n’étaient « pas réels » .
Oups.
Quand quelque chose est facile, on a envie d’y croire
Pour le journaliste scientifique Dalmeet Singh Chawla, le succès du « power posing » s’explique par la simplicité de la théorie. « Les gens sont séduits par l’idée que de petits changements comportementaux peuvent avoir des effets importants », explique-t-il dans un article publié sur Medium. Un point de vue partagé par Moin Syed, psychologue à l’Université du Minnesota. « L’idée du power posing, c’est qu’une action qui ne demande aucun effort permet de détruire toutes les barrières », analyse-t-il. C'est sûr que c'est moins chronophage ou compliqué que de lire un livre entier pour être plus performant.
Par ailleurs, le psychologue rappelle que bon nombre d’adeptes ont pris des décisions professionnelles selon cette théorie. « C’est difficile de faire changer d’avis les gens quand ils sont convaincus que ce qu’ils aiment est prouvé scientifiquement. » Stephanie Davies, CEO de Laughology, explique ainsi que l’effet placebo est parfois plus puissant que n’importe quel taux d’hormones dans l’organisme.
Que ça marche ou pas, le vrai problème, c’est la façon dont on appréhende les études
Quoiqu’il en soit, la guerre autour du « power posing déchire ». De son côté, Amy Cuddy a sorti un nouveau livre qui minimise l’impact hormonal de la posture. De l'autre, les équipes de TED ont ajouté une note à la vidéo expliquant le débat qui fait rage. Quant aux médias, c'est selon. Certains se rangent du côté de la psychologue et défendent leur protégée. D'autres font le choix du mea culpa. Pour Will Gervais, psychologue de l’Université du Kentucky, ce qui se passe est significatif de ce qu’il appelle « le réveil méthodologique ». « C’est important que le grand public comprenne que les critiques et les révisions des études est un procédé normal et sain en sciences », explique-t-il.
Et quand on sait qu’Amy Cuddy dit avoir été victime de menaces de mort suite aux contre-études… on se dit qu’effectivement, c'est assez important.
Crédit photo : Getty Images
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